Merveilleux monde du travail : les salariés de plus en plus surveillés

mis en ligne le 5 avril 2012
La surveillance au travail, une vieille histoire
L’idée du panoptique, sorte de prison modèle, permettant l’observation permanente des faits et gestes des détenus, imaginée par Jeremy Bentham, philosophe, jurisconsulte et réformateur britannique dérive de plans d’usine ! En effet, l’œil au centre du fronton de la Saline royale imaginée par Claude-Nicolas Ledoux était déjà dans la logique du panoptique, mise au point pour une surveillance et une coordination efficace des ouvriers. Son objectif théorique était de simplifier la prise en charge d’un grand nombre d’hommes. Si le panoptique ne vit pas le jour du vivant de Bentham, le philosophe Michel Foucault y voyait plus tard, dans son incontournable ouvrage Surveiller et Punir, une technique moderne d’observation transcendant l’école, l’usine, et l’armée. Aujourd’hui, la technologie ayant tellement évolué, les entreprises utilisent des méthodes beaucoup plus discrètes de surveillance et de flicage à tous les étages…

Mais, que fait la Cnil ?
En 2011, la Cnil, institution indépendante chargée de veiller au respect de la vie privée et des libertés, a reçu environ 6 000 plaintes, dont environ un quart concernait la surveillance au travail (soit un doublement sur trois ans). Entre 2010 et 2011, les plaintes liées à ces dispositifs ont également augmenté de 13 %. Au cours de la même période, les plaintes liées à l’accès aux dossiers personnels constitués par les employeurs sur leurs salariés ont augmenté de 20 %, ce qui n’est pas anodin. Selon le secrétaire général de la commission, « avec les nouvelles technologies, les moyens de surveillance deviennent très accessibles, donc la surveillance se développe. D’autant que la mise en œuvre de tels dispositifs sur les lieux de travail n’est pas par principe illégale ». En matière de surveillance au travail, la marge de manœuvre laissée à la Cnil consiste à s’assurer que les dispositifs de vidéosurveillance ne remettent pas en cause la liberté des salariés. C’est-à-dire, en filmant des vestiaires, des locaux syndicaux, ou encore en surveillant de façon constante des salariés sans que cela soit justifié. Face à ces dispositions, on voit donc de plus en plus de mouchards placés par les entreprises dans les ordinateurs, ou le développement de la géolocalisation des salariés par leur smartphone.

Huit caméras pour huit salariés !
Naturellement, les grandes entreprises profitent des moyens modernes de surveillance, mais elles doivent aujourd’hui le faire avec une certaine parcimonie. Pour en avoir abusé, Ikea s’est fait remarquer récemment. Mais, dans ce cas de figure, la direction avait choisi le recours à des enquêteurs privés pour obtenir des renseignements sur certains salariés et clients. Cependant, quel que soit le moyen plus moderne utilisé, l’employeur doit justifier d’un intérêt légitime à l’utilisation de la vidéosurveillance, de la géolocalisation, à l’usage de badges, de fichiers ou encore de la cybersurveillance (enregistrement des conversations, filtrage des sites, logiciels mouchards). En cas de plainte liée au travail, la Cnil sollicite l’entreprise pour lui demander de se conformer à la loi informatique et libertés et peut effectuer des contrôles inopinés sur place. Avec une vingtaine d’agents chargés des contrôles, elle en réalise aujourd’hui environ 400 par an, contre seulement 30 en 2004. Récemment, la commission a ainsi mis en demeure publiquement une société toulousaine qui avait installé huit caméras… pour huit salariés !

Patrons tricheurs
Les dérives observées par la Cnil peuvent prendre différentes formes. Décathlon, la Macif ou encore Capgemini avaient eu recours au fichage des salariés avec des commentaires individuels codés tels que « individualiste », « sournois », « cas social ». Dans la majorité des cas, les documents sont le plus souvent découverts par hasard, mais il est même arrivé qu’ils soient envoyés par erreur aux personnes concernées à la suite d'une manipulation informatique erronée ! De plus, la Cnil rappelle que la plupart des employeurs ignorent souvent que les salariés ont le droit de demander l’accès aux informations les concernant, mais les salariés, eux, commencent à le savoir. En cas de plainte, la commission peut effectuer des contrôles et imposer des sanctions financières. Mais l’arme la plus redoutée par les entreprises est la publicité. Ce fut le cas de l’entreprise de soutien scolaire Acadomia qui, en 2010, en a fait les frais, en recevant un avertissement public pour un fichier particulièrement odieux, classant autant les enseignants que les parents et élèves sous des vocables tels que « gros con », « saloperie de gamin », ou encore « Parisien frustré ». Le Monde libertaire s’en était fait l’écho à l’époque.

Les entreprises s’adaptent
Cependant, toujours selon le rapport de la Cnil, avec l’influence des cas médiatisés, les entreprises sont de plus en plus vigilantes sur une législation « très bien encadrée ». Certaines, dans le doute, se mettent en conformité légale. Mais, parallèlement, un chercheur du CNRS souligne un phénomène beaucoup plus insidieux : « Avec les smartphones notamment, les gens sont de plus en plus sous laisse électronique. » En effet, ces outils, souvent appréciés des salariés, permettent aux employeurs de suivre tous leurs déplacements, même si, en principe, il est interdit par la loi de géolocaliser des salariés qui ont une liberté d'organisation dans leur travail. Mais comme c’est le cas pour les entreprises pollueuses, souvent les patrons préfèrent passer outre les lois et payer des amendes.