Deux doigts d’insécurité sociale

mis en ligne le 29 mars 2012
Gouverner par la peur est un art privilégié de l’exercice du pouvoir. Les messages du style « Pour votre sécurité, nous vous informons que… », quotidiennement assénés sur nos esprits, sans compter le spectre de la crise financière internationale, tout comme le martelage médiatique à propos du tueur de Montauban et de Toulouse, en pleine campagne d’élection présidentielle ; les éructations salvatrices des Zorros politiciens auto-érigés en thaumaturges sont autant d’écrans de fumée pour masquer la principale insécurité aux yeux des exploités : l’insécurité économique, les violences patronales et étatiques.
L’attentisme du monde du travail, nourri par l’idée du capitalisme indépassable et aussi par la renonciation à la lutte des directions syndicales plus enclines à êtres des interlocuteurs valables du patronat et du gouvernement, nous conduit à un constat de faillite sociale effroyable. Face aux promesses les plus démagogiques des candidats à la présidence de la France, il convient de faire un petit inventaire (même incomplet !) de la casse de nos droits sociaux sur dix ans.
Cette casse organisée a certes commencé il y a bien plus longtemps, mais la décennie écoulée témoigne à la fois d’une accélération et de la mise en œuvre des volontés du patronat. La feuille de route des gouvernements passés et actuels a été nourrie par des Seillière, Parisot et De Virville. Force est de constater la frénésie de l’activité législative pour imposer démocratiquement des mesures antisociales tous azimuts. Même si certaines ont pu être abrogées ou modifiées, d’autres étaient des tests de la résistance syndicales (CNE-CPE), mais toutes traduisent une seule logique : satisfaire les appétits capitalistes en réduisant à peau de chagrin les quelques droits du prolétariat.

Salarié, soit précaire et isolé !
La précarisation s’est faite sur deux formes. La première, en terme contractuel : avec la création de nouveaux contrats de travail (CDDOD, CNE et CPE), avec l’assouplissement de la rupture du contrat de travail par la mise en place de la rupture conventionnelle et avec la création de nouvelles formes d’emploi dont le portage salarial et le statut auto-entrepreneur – comprendre « auto-exploité ». Ces formes d’emploi maintenant les travailleurs dans une situation de forte dépendance mais les dénudant des garanties attachées au statut de salarié.
La seconde en terme de détérioration des conditions de travail : par l’intensification du travail, par la réduction des temps de repos en permettant la « monétisation » des jours de congés, avec le compte épargne temps, la réduction de la durée de repos pour certaines catégories, et l’augmentation du contingent d’heures supplémentaires ; et par la flexibilité du temps de travail avec l’annualisation, l’allongement de l’amplitude de durée du travail… Des réalités lourdes de conséquences pour la santé. Des réalités lourdes de conséquences inégalitaires puisque chaque salarié a des horaires et un nombre d’heures de travail propre avec un salaire différent. La flexibilité couplée à l’individualisation – prime sur objectifs, participation et intéressement – font les revenus individualisés soumis aux aléas du marché et surtout à la « bonne » volonté de l’employeur. L’individualisation et la flexibilité ont aussi la vertu de casser les collectifs de travail, donc de dissiper les préoccupations et situations communes. De véritables contraceptifs à l’élaboration de revendications collectives !

Le travail coûte à mes profits

Symbolique mais importante : le vol d’une journée de travail non rémunérée (lundi de Pentecôte). Et la multiplication d’exonérations de cotisations sociales afin de « baisser le coût du travail » qui favorise soi-disant la création d’emplois et sans effet sur l’emploi, qui aggrave les déficits des budgets de la Sécurité sociale. Ces dernières ont fourni l’excellent prétexte pour mettre en place la contre-réforme des retraites et exploser nombre de garanties collectives.

Trop de règlement nuit à l’entreprenariat

L’objectif est de substituer le contrat (et la convention collective nationale) à la loi. Alors même que les possibilités de négocier des accords en deçà de la loi ne cessent d’augmenter. La loi de 2007 est une forfanterie car, dans les faits, l’État a limité sa portée en instrumentalisant la négociation. Des négociations et des accords calamiteux dans lesquels toutes les centrales syndicales se sont compromises au moins une fois, si ce n’est plus. Depuis la mise en application de cette loi, ce ne sont que 4 textes sur 26 projets de lois et sur 38 textes au total qui ont fait l’objet d’une négociation préalable. Il y a aussi eu de nombreux abus de force avec l’usage abusif de la procédure d’urgence.
Aujourd’hui, ce qui est réclamé, par la droite comme par le Medef (mais pas seulement !), c’est la modification de la Constitution française afin de reconnaître aux organisations patronales et syndicales de salariés un rôle de législateur en droit du travail. En gros, une volonté d’accélérer le processus de déréglementation du Code du travail. De cette façon, la dérogation à la loi devient la règle et elle ne peut pas être remise en cause par un nouveau gouvernement. Une belle substitution de la négociation à la loi.

La douleur, c’est le droit de grève

Sous le prétexte de mettre en place des dispositifs favorables à l’emploi, deux lois sont intervenues pour restreindre le droit de grève. Le gouvernement peut mieux déclarer ensuite la grève invisible et indolore pour le patronat… Ces restrictions vont nécessairement concourir sinon à l’extinction, au moins au non-exercice du droit fondamental à la grève. Gageons que la lutte contre la crise va fournir de nouveaux prétextes à l’assouplissement des règles encore existantes.

Rendre impossible le recours aux juges
Faute de rapports de force évidents en faveur du travail aujourd’hui, le recours aux Prud’hommes est la carte ultime que beaucoup de salariés utilisent. La justice a été une cible de choix des attaques des gouvernements successifs : réforme de la carte judiciaire avec 62 conseils de Prud’hommes supprimés pour un seul créé et réduction des moyens de fonctionnement.
De même que différentes mises en œuvres légales nouvelles garantissent le contournement des juges : la non-motivation de la rupture conventionnelle, l’augmentation de la durée de la période d’essai, l’abaissement des délais de contestation. L’accès à la justice est devenu plus difficile économiquement avec : l’obligation pour les justiciables d’être défendus par un avocat en Cour de cassation, demain en cour d’appel ; l’octroi de l’aide juridictionnelle de plus en plus réduit ; et, tout récemment, le paiement de 35 euros pour pouvoir introduire une instance en justice.
Enfin, gageons aussi que la remise en cause des élections des conseillers prud’homaux au suffrage universel des salariés va permettre l’évacuation de la justice du travail vers les juges civilistes (professionnels). Ce sera plus cher que 35 euros pour les salariés ! Ce sera la fin de la gratuité de cette justice. Un enjeu majeur que la CFDT a entérinée et que la CGT fait mine d’ignorer, au moins à sa tête, puisque aucune déclaration confédérale dénonce la remise en cause des élections prud’homales malgré des débats houleux en interne.
À la vue de ce triste tableau, il serait illusoire de croire qu’un changement à la tête de l’État va modifier toutes ces restrictions de nos droits sociaux. La lecture des programmes électoraux nous confirme qu’aucune remise en cause du capitalisme est à l’ordre du jour… pour le grand régal des riches. Seules des luttes d’ampleur et fédérées permettraient, sinon une révolution, au moins de reconquérir ces droits perdus. Mais encore faut-il livrer la bataille, et ce n’est pas dans l’esprit du plus grand nombre. Les combats perdus sont d’abord ceux qu’on a renoncé à mener.

Kintpuash