L’invention de la religion

mis en ligne le 15 mars 2012
« Voilà comment c’est arrivé. » Un adolescent et un jeune enfant discutent dans un parc de la religion et de la naissance de Dieu. Cette conversation a au moins un témoin, le narrateur qui nous la rapporte. L’adolescent invente une histoire pour répondre aux questions du plus jeune. Il se souvient peut-être de Rahan, l’homme des âges farouches, en tout cas son récit débute il y a quarante milles ans, quand Yonk, un préhistorique quelque peu fainéant mais plein de ressources, et Kashi, son animal de compagnie au pedigree indéfinissable, sont chassés de la tribu de ceux qui se lèvent tôt pour travailler plus.
Ça s’engage mal pour Yonk cette histoire, d’autant que comme il se doit, la nature luxuriante du coin recèle autant de trésors que de dangers mortels. Dans les heures qui suivent son bannissement, Yonk va par trois fois frôler la mort, et trois fois va s’en tirer sans une égratignure. Ni tigre aux dents de sabre, ni bisons, ni foudre ne l’atteignent, c’est la chance ou l’intelligence, et chaque fois des membres de sa tribu sont là pour dire à leur façon ce qu’ils ont vu ou plutôt ce qu’ils ont cru voir…
Et au final : « Une litanie s’élève : “Yonk n’est pas comme nous ! Yonk n’est pas comme nous !” C’est l’apparition du rythme : un chant accompagne la croyance. » Voici la naissance de la prière, voici Yonk devenu être de grande vénération, son pouvoir n’est pas sur la nature, il le sait, mais bien sur les hommes qui en le croyant dieu vont se soumettre à sa volonté. Mon petit doigt me dit que le jeune fainéant a touché le gros lot, les femmes se jettent littéralement à ses pieds ; quant au travail, en tant que membre du nouveau clergé, il en sera absolument exempté.
C’est en quelques lignes la trame de l’histoire simple et belle racontée par Jack Fournier et mise en lumières par Bruno Moreau, car Yonk n’est ni tout à fait un livre ni tout à fait une bande dessinée, plutôt un album illustré d’images aux traits volontairement simples, aquarelles de paysages lointains, de pluie, d’orages, de fauves, rehaussées de couleurs naturelles. Parfois quelques touches suffisent à donner vie au feu à l’entrée d’une grotte quand la pluie strie le ciel et la foudre l’obscurité.
C’est un livre tout public que nous offrent les Éditions libertaires, et vous l’aurez compris, à mettre entre toutes les mains pour dire avec l’innocence enfantine l’origine terriblement humaine de toutes les religions.

Thierry Guilabert