Europe du Sud : les peuples contre la finance

mis en ligne le 23 février 2012
1661GreceEn Europe, les plans d’austérité se succèdent, votés par les « représentants » des peuples, mais rejetés par ces mêmes peuples qui décidément ne veulent pas comprendre qu’il s’agit de les sauver. La contestation est montée d’un cran dans trois pays du sud : Grèce, Portugal et Espagne. En Grèce, les rassemblements devant le Parlement sont devenus habituels et se transforment la plupart du temps en affrontements extrêmement violents avec les forces policières, comme on a pu le voir ces dernières semaines. Il faut reconnaître qu’en matière d’austérité, le peuple grec a été largement servi ; un énième plan de rigueur prévoit une réduction de 22 % du salaire minimum garanti ainsi que des coupes dans les pensions de retraite, sans oublier évidemment de nouvelles suppressions d’emplois dans la fonction publique. Autant de décisions jugées « douloureuses, arrachées au gouvernement par ses créanciers » : il ne s’agit pas d’une déclaration d’un opposant radical mais du secrétaire d’État au Travail, Iannis Koutzoukos, qui a présenté sa démission pour protester contre ces mesures imposées par ces créanciers, c’est-à-dire la troïka Union européenne-BCE-FMI. Ça n’a pas empêché le Parlement grec aux ordres de cette troïka d’adopter ces mesures douloureuses, par crainte qu’un refus ne provoque un « chaos économique et une explosion sociale ». Pour ce qui est d’une explosion sociale, les parlementaires n’avaient qu’à regarder par la fenêtre pour voir ce que pensait d’eux ce peuple qu’ils sont censés représenter : 100 000 manifestants à Athènes exprimant leur colère et leur rejet des nouvelles mesures votées pour « leur bien ».
On reste dans le sud, mais on part au Portugal où les mêmes causes produisent les mêmes effets : à Lisbonne, la plus grande manifestation de ces trente dernières années s’est déroulée : 300 000 personnes dans la rue pour crier « Non à l’exploitation, non aux inégalités, non à l’appauvrissement ». Dans la foulée, la restructuration des transports publics prévoyant une augmentation de 50 % du tarif du métro à Lisbonne a débouché sur une grève générale dans ce secteur. La même troïka que pour la Grèce (FMI, BCE, UE) veut imposer au gouvernement portugais les mesures d’austérité devant sortir le pays de la crise. Comme à chaque fois, les solutions avancées consistent à augmenter les taxes et les impôts, à baisser les prestations sociales, à procéder à des coupes budgétaires dans les services publics… Le tout accompagné d’une attaque frontale contre le Code du travail, en déréglementant notamment les horaires (on appelle ça flexibilité), voire en supprimant des jours de congés (on appelle ça compétitivité).
Passons la frontière pour nous rendre en Espagne. En vue de la nouvelle « réforme » du travail présentée par l’actuel gouvernement de Mariano Rajoy (Parti populaire – de droite), les syndicats institutionnels (CCOO et UGT) se sont enfin décidés à lancer un appel à manifester le 19 février. Il faut dire que cette « réforme » vise tout simplement à démanteler le droit du travail. Là aussi, il s’agit de mesures préconisées et imposées par le FMI et la BCE. Mariano Rajoy s’était laissé aller à déclarer (en off, comme on dit dans les milieux autorisés) : « Cette réforme va me coûter une grève générale. » Il va sans doute l’avoir. En effet, ladite réforme prévoit une baisse des indemnités de licenciement pour les salariés, et une déduction fiscale de 3 000 euros pour les entreprises en cas de première embauche d’un jeune de moins de 30 ans (on a déjà vu l’inefficacité de cette mesure en France). Autre point : le chômeur retrouvant du travail (bel optimisme) pourra conserver 25 % de son allocation, qui s’ajoutera à son salaire pendant un an. Avec un taux de chômage de 23 % et un salaire minimum garanti de 641 euros, c’est plutôt mal parti pour les travailleurs espagnols. Le gouvernement Rajoy, lui, ne veut voir qu’une « avancée » permettant à l’Espagne de se hisser au niveau de l’Union européenne en renforçant la compétitivité des entreprises (refrain entonné chez nous par Nicolas Sarkozy).
Des économistes, analystes et experts financiers (il y en a plein là-bas aussi) jugent insuffisantes les mesures annoncées et conseillent au gouvernement d’autoriser les employeurs à ne pas tenir compte des accords collectifs de branche par temps de crise. Autant dire ad vitam aeternam tant que le capitalisme existera. Les indemnités en cas de licenciements non justifiés seront réduites de quarante-cinq à trente-trois jours et même à vingt jours s’il s’agit de licenciements économiques, et pour faire bonne mesure la période d’essai en cas d’embauche sera portée de six à douze mois. Rajoy lui aussi déclare que ces mesures seront insuffisantes. Non seulement elles ne suffiront pas pour faire diminuer le chômage, mais ce dernier continuera d’augmenter tout au long de l’année 2012. Cette « réforme » accentue la spoliation des droits du travail encore en vigueur en Espagne, et privilégie un seul type de droit : celui du patronat. Toutes ces mesures renvoient lentement mais sûrement aux anciens temps où ce patronat imposait ses conditions et réprimait violemment toute protestation et tentative d’organisation de la classe ouvrière. La stratégie du capital est la même sous toutes les latitudes (et pas seulement dans le sud de l’Europe) : baisse des salaires, dérégulation des conditions de travail, remise en cause des conventions collectives, du Code du travail, etc. Bref, c’est un retour annoncé à la précarité type XIXe siècle, à la toute-puissance du patron face à des travailleurs isolés ou mal représentés par des syndicats ayant perdu leur raison d’être : amélioration des conditions de vie des travailleurs dans l’immédiat, et organisation de la société en vue de l’abolition du salariat, devant mener – en ce qui nous concerne – au communisme libertaire.
Ce que les médias et les « experts » au service des possédants nous martèlent et veulent nous enfoncer dans le crâne est évident : la crise (leur crise) remet tout en question (sauf leurs bénéfices). Tous les droits des travailleurs, leurs salaires, leurs conditions de travail, sont à revoir (à supprimer). Tout pour les exploiteurs, rien pour les exploités. Depuis des années (surtout les trois dernières), les pseudo-représentants des travailleurs, c’est-à-dire les centrales syndicales institutionnelles, ne sont même plus capables de faire autre chose que d’entériner les desiderata de la classe possédante. Cette fameuse crise n’est que le plus grand hold-up capitaliste jamais réalisé contre les prolétaires, et présenté comme une fatalité semblable à cette autre qu’on nous assène depuis la nuit des temps, qu’il y aura toujours des riches et des pauvres.
Ce spectaculaire retour en arrière que constituent tous les projets gouvernementaux doit pouvoir inciter les travailleurs à se dresser pour dire : Non, nous n’acceptons pas. Non, ceux qui veulent nous imposer ces décisions ne nous représentent pas. Non, les directions syndicales ne nous représentent pas non plus quand elles entérinent de prétendues réformes et quand elles ne proposent que des « journées d’action » qui ne sont que des enterrements de première classe de la colère des exploités (surtout pas d’appel à la grève générale illimitée !). Les temps sont durs ? Ils vont empirer, pas besoin d’être devin pour dire ça. Les temps vont changer (comme dirait Robert Z.) ? Ça ne tient qu’à nous, les exploités de partout et d’ailleurs. Le patronat veut nous ramener aux conditions d’exploitation du XIXe siècle ? Les organisations de classe des travailleurs retrouveront-elles l’esprit qui les animait à cette époque ? Syndicats, conseils ouvriers, comités d’action, les outils ne manquent pas ; à nous de les empoigner et au boulot !



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


julien bézy

le 24 février 2012
Oui il faut plus de social dans le travail mais il faut aussi combattre la vie chère.

Lo

le 24 février 2012
Nous sommes grecs, nous sommes espagnols, nous sommes portuguais...les évenements d'hier et d'aujourd'ui, nous montrent à quel point la solidarité entre les peuples est nécessaire.
Comme vous le dites: "au boulot!" afin d'arrêter la gangrène capitaliste...

Vladimir

le 24 février 2012
La voilà la révolution qui s'approche. Elle partira de Grèce et viendra sur la péninsule ibérique, et l'effondrement de l'UE obligera les Français à faire de même. En France, ce ne sera ni une "révolution citoyenne", ni une "révolution bleu Marine" (on devine de qui je parle), mais une révolution libertaire.
Je reviens sur la Grèce et les forces en présence. Cela est rare mais je préconise une alliance électorale pour ce pays, en Syriza et le KKE. Une telle formation atteindrait presque 40% et les ouvriers en seraient revigorés et pourraient entamer les occupations d’usines et une grève générale illimitée. Et bien évidemment les anarchistes auront leur rôle à jouer: 10 000 rien qu'à Athènes, au bas mot.

bakou

le 27 février 2012
http://blogs.lesinrocks.com/plein-ecran/2012/02/13/grece-la-revolte-de-la-rue/
un peu d'illustration