Libre expression dans la CGT ?

mis en ligne le 16 février 1978
On sait que depuis quelques temps – très exactement depuis la rupture des négociations sur l'actualisation du programme ex-commun – ont été posés au sein de la CGT les termes d'un débat sur le droit à l'expression des divers courants qui se manifestent dans la confédération. Cette situation ne va pas sans susciter quelques remous : cette centrale syndicale avait jusqu'à présent une telle image de monolithisme bureaucratique que les déclarations de ses principaux dirigeants sur ce problème ont pu provoquer chez certains militants espoir et enthousiasme. Qu'en est-il exactement ?
À l’origine de ces « remous », deux interventions : celles de Claude Germon, maire de Massy, et de Pierre Carassus, tous deux membres de la commission exécutive nationale du Parti Socialiste, à propos des positions prises sans discussions préalables au sein de la confédération et du bureau confédéral. Six militants nantais avaient également adressé à la direction nationale une lettre allant dans le même sens, lettre à laquelle répondait Georges Séguy dans La Vie ouvrière... mais qui n'a, elle, jamais été publiée ! Par contre, on a pu lire dans les colonnes de la VO quantité d'articles (de Krasucki, Postel, Jacquet et consorts) en soutien à la direction confédérale, alors même que les quelques « opposants », bien timides, il faut le souligner, n'ont pas droit à une seule ligne dans la presse syndicale.
Et pourtant, Séguy annonce dans Le Monde que « toutes les conditions propres à la libre expression, au sein de la CGT, des idées qui s'y échangent, y compris dans la presse confédérale, doivent être créées ». Et de renouveler cette idée dans une interview accordée à L'Express la semaine dernière : « Nous ferons, dans La Vie Ouvrière et dans Le Peuple, un dossier sur toutes les opinions qui se sont exprimées au sein de la CGT. Même si celles qui ont contesté la ligne confédérale sont sans grande importance numérique, je suis pour qu'elles puissent s'exprimer librement. »
En fait, il est clair que le seul débat que seraient à même d'admettre actuellement - et encore ! - les dirigeants de la CGT concernerait les divergences d'opinion entre Parti socialiste et Parti communiste. Et il n'est pas du tout évident que la grande masse des syndiqués s'y retrouve...
Le 7 février se réunissait la commission exécutive nationale qui, pour la première fois, jugeait les « remous » importants. Mais, à côté des attaques contre le PS, similaires à celles formulées par le PC, la CE précisait bien que la VO et Le Peuple ne publieraient de dossiers que sur la discussion en cours, que la CE juge d'ailleurs comme close. Séguy - encore lui ! - a ainsi tenu à préciser qu'il ne s'agissait de toute façon absolument pas de l'instauration de tribunes libres dans la presse syndicale, mais uniquement de « refléter l'état de la discussion et les sujets en débat ». Passé ce cap, on en revient à la situation initiale. Une mise au pas, en quelque sorte…
Ceux qui avaient pu un moment espérer la totale liberté d'expression au sein de la première centrale syndicale de France en seront donc pour leurs frais. Quoi d'étonnant à cela ? Il eût effectivement été difficile d'imaginer un tel revirement de la part de dirigeants qui ont assis leur pouvoir pendant des années sur un monolithisme que nous jugeons pour notre part incompatible avec l'expression de la combativité de classe des travailleurs, et idéologiquement autant qu'humainement désastreux. De toute façon, l'impression qui se dégageait de tous ces événements était bien que le « débat » n'aurait été qu'une transposition des divergences politiques entre PC et PS au niveau du mouvement syndical. Ce qui, on s'en doute, aurait été loin de satisfaire les anarchistes qui militent au sein de la CGT - avec quelles difficultés ! - et qui, en tant que révolutionnaires, auraient été écartés du droit à la liberté d'expression...
Autre chose : La Vie Ouvrière, lors d'un récent numéro, a rappelé les circonstances de la scission de 47 – encore une manière pour nos bonzes confédéraux de défendre l'attitude du PC. Il faut bien voir que ce rappel n'est pas le produit d'un pur hasard : il s'agissait effectivement, par un de ces raisonnements obtus dont la direction confédérale a le secret, de brandir le spectre de la scission organisée par une quelconque fraction, à l'occasion de ces « remous » autour de la liberté d'expression. Nous voudrions rappeler aux dirigeants cégétistes membres du PC les circonstances d'une autre scission : celle de 1921. À l’époque, en face de la direction réformiste des Jouhaux, Merrheim et Dumoulin, se dressait une minorité se proclamant « syndicaliste révolutionnaire » et à laquelle participaient les anarchistes... et les communistes. Ne vous souvenez-vous pas que les droits de tendance et d'expression étaient alors parmi vos principaux chevaux de bataille ? Et que la scission de 21 n'avait été possible que parce que, justement, la liberté d'expression avait été bafouée par les dirigeants qui avaient organisé les exclusions contre les militants anarchistes et vous-mêmes ?
Les choses ont bien changé et nous constatons jusqu'à quel point vous avez pu prouver que la liberté d'expression, vous n'en usiez que lorsqu'elle vous servait, uniquement à vous et au courant politique dont vous êtes les représentants.
Quant à nous, nous continuerons à dire que ce dont la classe ouvrière a besoin, c'est d'une organisation réellement fédéraliste où le débat soit constant. Le centralisme mène au monolithisme. Le fédéralisme, lui, mènera au communisme libertaire.

Laurent Vrbica