Libres, de quelle liberté ? À propos du dernier numéro de Réfractions

mis en ligne le 19 janvier 2012
Quelle est la différence entre la liberté du néolibéralisme et celle de l’anarchisme ? Facile, direz-vous. Bakounine l’a bien formulée, avec son idée que plus les autres sont libres, plus je le suis aussi ; tout l’opposé du frileux adage qui commande d’arrêter la liberté de chacun là où commence celle des autres.

Conceptions politiques de la liberté
On peut aller un peu plus loin, et découvrir comment cette conception libérale de la liberté, selon laquelle celle-ci permet surtout de nuire aux autres et de se protéger contre leur violence soi-disant naturelle, était considérée par Bakounine comme l’origine du besoin d’État et de codes juridiques, c’est-à-dire de tout ce qui maintient les individus asservis et les empêche d’être vraiment libres. On fera remarquer aussi l’opposition entre la liberté économique et la liberté politique, différence qu’on comprend mieux si l’on saisit précisément en quoi l’activité politique se distingue des autres activités d’une société humaine. Car s’opposer aux oligarchies pseudo-libérales en prônant la suppression de la sphère politique, absorbée dans le corps social, comme le font certains philosophes de gauche, n’est sans doute pas le meilleur moyen de rendre à chacun le pouvoir de décision sur les questions collectives. Et dès lors on pourra se poser la délicate question de savoir comment penser la liberté dans les cultures qui n’ont pas développé ni revendiqué l’autonomie politique, c’est-à-dire la conscience que la communauté elle-même est la seule origine de ses institutions, que celles-ci sont par conséquent arbitraires, modifiables et ouvertes à la mise en question par tout membre de cette communauté. Tous ces aspects sociaux, historiques et politiques de la liberté sont développés dans les articles d’Eduardo Colombo, Monique Boireau-Rouillé, Jean-Christophe Angaut, Diego Paredes et Claudio Albertani. D’autre part, Edouard Jourdain jette un éclairage précieux sur l’engouement de certains philosophes politiques pour l’antilibéralisme du théoricien nazi Carl Schmitt, faisant remarquer qu’ils pourraient tout aussi utilement se référer à Proudhon, qui sent tout de même moins mauvais.

Liberté ou déterminisme ?
Cependant, on ne peut réfléchir à la liberté sans aborder aussi la question de savoir si nous sommes libres de nos actions ou si nous sommes inconsciemment déterminés par une nécessité naturelle ou culturelle. Être cause de soi, agent par soi-même de ses actions et interactions, cette liberté accordée seulement à Dieu par Spinoza peut-elle être revendiquée pour notre propre existence ?
Peut-on, tout en concevant l’univers entier comme régi par une multitude de forces matérielles interagissantes, estimer néanmoins que le déterminisme qui devrait logiquement en découler se transforme, « par un miracle de la sémantique libertaire », en détermination, c’est-à-dire en volonté ?
Au lecteur de juger, en découvrant l’article de Daniel Colson.

Du côté des mouvements sociaux
À côté de ce dossier, une enquête « ethnographique » examine les pratiques de délibération au sein des organisations anarchistes, en particulier Alternative libertaire et la Fédération anarchiste, révélant à la fois, par rapport à d’autres mouvements, leur réel souci d’un égal accès de tous à la parole décisionnelle, mais aussi l’absence de certaines procédures qui permettent d’assurer jusqu’au bout cette égalité. Ensuite, l’actualité s’est invitée avec trois textes faisant le point sur les mouvements sociaux ou insurrectionnels en Tunisie, en Espagne et en Grèce.
Et, pour relier l’actualité aux expériences passées, une réflexion renouvelée sur les luttes de libération nationale, à partir du numéro spécial que les revues Courant alternatif et Offensive libertaire et sociale ont consacré tout récemment à cette question.

Lire Réfractions et débattre
On l’aura deviné : tout cela forme un numéro très dense, d’une lecture exigeante, mais qui s’ancre néanmoins dans les situations quotidiennes et les questions concrètes qu’affronte tout militant anarchiste et pour lesquelles ont ne peut se contenter de réponses simplistes.
Il est possible de commander le numéro sur le site www.refractions.plusloin.org, où se trouve également la liste des librairies qui vendent la revue.

Annick Stevens