Moins de 1% !

mis en ligne le 19 janvier 2012
Je l’ai entendu à la radio, je n’ai pas vérifié car les chiffres exacts sont difficiles à trouver : moins de 1 % serait le nombre de gens « cartés », tous partis confondus, de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par le centre et ce qu’il y a autour. Tous ! Bien sûr, un grand nombre n’est pas à jour de cotisations… et le nombre de réels militants est encore moindre, cela va sans dire. C’est grave ? Je n’arrive pas à m’en convaincre.
Éduqués, conditionnés que nous sommes à vivre avec des « partis », présentés comme la base même de notre démocratie, nous nous en méfions pourtant comme jamais. Tous les discours des analystes, des « experts », des journalistes nous font apparaître la politique comme la somme des conflits entre ces partis, leur concurrence acharnée pour gagner nos voix, notre soutien et aussi la quantité de malversations pour assurer leur financement, leurs campagnes électorales. Et tout ce baratin, ce verbiage, cette salive, cette encre, ces images, ces énergies utilisées alors que moins de 1 % des Français se sent concerné au point d’adhérer quelque part ! Sans blague : il s’agirait de vendre des savonnettes ou un nouveau portable, on considérerait l’investissement publicitaire déraisonnable…
Mais si nos médias investissent autant, ce n’est pas pour un parti, c’est pour conforter la croyance que l’essentiel se passe là, et pas ailleurs. L’important, c’est le président ! Comme en littérature : l’important c’est le prix Goncourt… Que les citoyens soient persuadés que le pouvoir est là, qu’ils ont leur mot à dire, que leur avis est pris en compte. Ils crieront bientôt à la trahison, aux promesses non tenues, à l’usurpateur et choisiront, dans cinq ans, un autre candidat. Pendant ce temps, l’essentiel, les décisions importantes, les choix économiques seront fait ailleurs, loin des urnes et des regards citoyens. Occupons le temps d’antenne, les colonnes de journaux, les comptoirs de bistrots et les esprits avec des foutaises, des débats biaisés, du politico-médiatique : pendant ce temps les pigeons se font plumer. Mais justement, sont-ils à ce point des pigeons ?
Si les partis étaient puissants et alignaient dans les meetings, dans les rues, des armées de clones obtus, avec œillères, fermés à tout argument provenant d’ailleurs que de leur chapelle, prêts à se mettre sur la tronche, à s’entre-tuer pour un chef (qui les trahira dès que possible), la situation serait-elle meilleure ? Cela vous rappelle de mauvais souvenirs ? Des fanatiques au pouvoir, des partis qui imposent leur idéologie, leurs méthodes et leurs militants dans tous les domaines de la vie sociale et économique… Tu n’es pas carté au bon parti ? Tu risques : des ennuis, des menaces, le placard, l’exil ou la mort. Alors, cette non attirance est peut-être un réflexe collectif sain, acquis sur l’expérience du siècle précédent, celui des fascismes et du stalinisme. Le XXe siècle a horrifié. Nous finissons de digérer les crimes de dictatures toutes établies « pour un monde meilleur ». Des millions d’individus se sont fait manipuler, ont soutenu des fous et cautionné ou participé à des massacres en masse.
Mes contemporains sont méfiants vis-à-vis des politiques, des partis, des syndicats ? Je ne le suis pas moins. Pourtant je m’intéresse, je discute, je lis, je milite politique depuis des années. Et mon parcours aurait pu m’en dégoûter : tout parti ou organisation a ses travers, mais aussi on y retrouve toujours les mêmes conflits, les mêmes rapports de force, la même fascination pour le pouvoir. Pas le pouvoir sur les choses, pour les changer, mais le pouvoir sur les individus. Et puis, il faut le dire, combien adhérent à un parti, lorsqu’il se développe, contre intérêts, poste et avantages…
Si je n’abandonne pas la lutte, et si je vous écris dans ces colonnes libertaires, c’est que je ne me résigne pas à ce que la politique ne soit que ce cirque politicard. Anarchistes, nous avons une méfiance absolue envers les porte-parole, les états-majors, les dirigeants de tous poils, même ceux qui pourraient apparaître dans nos rangs. Un chef, cela ne nous rassure pas, cela nous effraie.
Ce que certains nomment « dépolitisation », c’est souvent le manque de confiance en nous-mêmes ; l’habitude que nous avons, dans tous les domaines, de déléguer aux « spécialistes », à ceux « qui savent », ou « qui ont l’air de savoir », aux chefs. À la fois assistés et tenus en laisse, nous avons renoncé à décider, nous consommons produits, modes et idées. Et les choix faits par ces « spécialistes » se révèlent opposés à nos intérêts. La politique, c’est avant tout s’occuper de nos affaires. Pas besoin d’un parti pour cela.