Le syndicalisme dans la ligne de mire du pouvoir

mis en ligne le 19 janvier 2012
Ces dernières semaines, les attaques officielles contre le syndicalisme se sont multipliées, annonçant clairement une offensive du pouvoir contre ce qui reste encore de lutte dans le monde du travail.

Les syndicats du crime
En décembre 2011, la presse « dévoile » au grand jour le fonctionnement opaque et plus que douteux du comité d’entreprise de la RATP, à la suite d’un rapport publié par la Cour des comptes. Mauvaise gestion de la trésorerie, dépenses plus qu’exagérées, facturations bidon, le CE est présenté comme un antre de la magouille et autres combinaisons malhonnêtes. Une aubaine pour les médias, et une occasion de plus pour ressortir les dossiers similaires des CE d’EDF et de la SNCF. Évidemment, les dysfonctionnements pointés par la Cour des comptes sont blâmables, pour ne pas dire inadmissibles, et il n’est bien sûr pas question de passer sous silence ces agissements honteux, désormais représentatifs de nombreuses bureaucraties syndicales. Mais, à nouveau, encore aurait-il fallu faire la part des choses entre des directions corrompues et compromises, et les nombreux militants syndicalistes intègres et sincères qui, comme le disait récemment notre camarade René Berthier dans nos colonnes, « sont des personnes extrêmement dévouées, qui ne ménagent pas leur temps et leurs efforts ». Or les grands médias officiels – et pas seulement, d’ailleurs –, qui n’ont jamais été réputés pour leur discernement, ne s’en sont surtout pas donné la peine, et se sont jetés sur l’affaire en dégommant le syndicalisme en général, passe-temps qui, même à gauche, est aujourd’hui à la mode.
Outre les « scandales » liés aux CE, notons également la pluie de basses attaques récemment survenue suite à l’annonce de la non-publication d’un rapport sur « l’argent caché des syndicats », annonce qui servit de tremplin à nombre de politiciens et de journalistes pour faire sous-entendre aux citoyens que leurs impôts servaient à financer des syndicats présentés comme autant d’associations mafieuses aux pratiques abjectes d’un autre temps. Bref, il ne manquait plus que Rue89 nous ressorte une troisième fois son papelard sur le Syndicat du Livre – le fameux Violences, trafics, menaces : les coulisses de la CGT du Livre – et le gâteau aurait eu sa première cerise. Mais celle-ci ne vint pas du célèbre – et néanmoins pas si mauvais – site d’information, qui laissa à d’autres la conduite des attaques contre les syndicats.

Quand même les dirigeants syndicaux s’y mettent
Le 16 novembre 2011, après un placement en redressement en 2010, le tribunal de commerce de Paris annonçait la liquidation judiciaire de la compagnie maritime SeaFrance, avec poursuite d’activité jusqu’au 28 janvier 2012. Peu désireux de perdre leur boulot, les 880 salariés de l’entreprise, soutenus par la CFDT maritime Nord, proposent alors de reprendre en main leur outil de travail en transformant l’entreprise en une société coopérative ouvrière de production (Scop). L’idée, qui semble la seule fiable pour garantir un maximum d’emplois – tout en permettant l’exercice d’une démocratie sociale au sein de l’entreprise – nécessite cependant pas moins de 50 millions d’euros, minimum de finances pour relancer l’activité. Les salariés, motivés par ce projet ambitieux et la défense de leur gagne-pain, se sont donc lancés à la recherche de fonds. Et c’est là qu’est intervenu le petit guignol de l’Élysée qui, dans un hypocrite élan de « compassion », a proposé aux marins de puiser dans leurs indemnités de licenciement pour trouver le fric manquant…
Les salariés, peu convaincus par une solution qui pouvait les conduire à perdre à la fois leur job et leurs indemnités, manifestèrent leur refus et demandèrent une entrevue directe avec le président. Il n’en fallait guère plus au Figaro pour se faire, une fois de plus, le lèche-cul du pouvoir en titrant son édition du vendredi 6 janvier : « La faillite de SeaFrance : un sabotage syndical. » Désignant la CFDT maritime Nord comme une « voyoucratie » et taxant ses militants de « pirates », le quotidien a vomi sa haine antisyndicale primaire sans la moindre subtilité. Mais le pire restait à venir. Trois jours après, sans doute convaincu par le papier merdeux du Figaro, c’est François Chérèque – oui, oui, le secrétaire général de la CFDT – qui a, à son tour, taclé les salariés en lutte de SeaFrance. Lundi 9 janvier, donc, le grand manitou de la conf’orange a déclaré « désavouer » la CFDT maritime Nord, en raison de « soupçons sur des pratiques obscures et frauduleuses des responsables CFDT de SeaFrance ». De quoi s’agit-il, au juste ? Quelles sont ces pratiques qui ne trouvent pas grâce à ses yeux ? Rien de moins que l’existence d’un contrôle syndical de l’embauche et une « emprise du syndicat sur la direction ». Des pratiques syndicalistes, en somme. Ce qui, pour le père Chérèque, est inadmissible, lui qui préfère l’univers bureaucrate au monde du travail, et boire le champagne à l’Élysée plutôt que d’endosser son gilet de gréviste pour tenir un piquet. Certes, d’autres accusations – plus graves – ont été portées à l’encontre de ce syndicat ; mais, en l’absence d’informations fiables, nous nous abstiendrons ici de commentaires, qu’ils aillent dans un sens ou dans l’autre. Bref, toujours est-il que, déclarant qu’on ne peut « pas utiliser le sigle de la CFDT d’une façon désastreuse », le diable orange va jusqu’à annoncer une éventuelle et très probable exclusion du syndicat de la confédération ! Une histoire qui en rappelle étrangement une autre, celle, récente, d’un Xavier Mathieu, courageux « leader » CGT de la lutte des Conti, lâchement attaqué par Bernard Thibaut lui-même.

Stériliser le syndicalisme
Certes, le syndicalisme n’est pas un innocent petit enfant et son univers n’est malheureusement pas dépourvu de magouilles, de coups bas et de compromissions malsaines. Dire le contraire serait faire l’autruche, et nous ne tomberons pas dans le soutien tous azimuts, dénué d’esprit critique. L’emprise des bureaucraties absolutistes est bien réelle, et les échecs répétés – et programmés – des grands mouvements sociaux – qui relèvent d’ailleurs davantage du spectacle et de la théâtralisation que du mouvement social conflictuel – leur doivent beaucoup. Mais le syndicalisme n’en demeure pas moins l’un des derniers outils de défense – à défaut d’être offensif – d’un salariat de plus en plus en perte de culture et de tradition de lutte. Certains épisodes syndicalistes, y compris récents, montrent que l’action syndicale n’a pas encore perdu tout son potentiel de résistance, et même si les victoires sont souvent minimes et parfois décevantes, on ne peut les ignorer, tant le simple fait de se battre sur son lieu de travail est devenu une denrée rare, noyée dans l’individualisme forcené et le relativisme immobiliste. Alors, s’il y a de la saleté dans nos baraques syndicales – et il y en a –, il ne tient qu’à nous de faire le ménage, et rapidos, sans quoi il sera trop tard pour être du bon côté du manche à balai.
Quoi qu’il en soit, les récentes attaques en rangs serrés contre le syndicalisme – l’associant à une mafia molestant les uns et volant les autres – ne sont pas innocentes. Elles révèlent la volonté du pouvoir, et celui de Nicolas Sarkozy en particulier, de torpiller une bonne fois pour toute les organisations syndicales en essayant de les discréditer aux yeux de l’opinion publique. Plutôt les vider que les interdire est sans aucun doute sa stratégie. Et pour ce faire, il ne semble pas avoir de meilleurs alliés que ceux-là mêmes qui les dirigent.