Dotremont : écrire les mots comme ils bougent

mis en ligne le 15 décembre 2011
Incroyable, Christian Dotremont panthéonisé à Beaubourg jusqu’au 2 janvier 2012 ! Je n’en crois pas mes yeux, un immense écran dans le temple pompidolien de la sainte culture, projette Dotremont et ses idéogrammes, d’immenses pages de caractères tremblotants, sinueux et sensuels… C’est quoi, du chinois, du mongol, de l’arabe, du sanskrit ? Non des lettres d’amour, des poèmes sur la nature, des odes à la vie. En fait une formidable réflexion sur l’écriture. Ça rappelle Michaux, son compatriote belge et comme lui francophone. Michaux, ses premiers alphabets et ses dessins sous mescaline… L’auteur de Poteaux d’angle et d’Au pays de la magie. Point commun, ils peignent tous les deux à l’encre de Chine. Dotremont vient du surréalisme belge, qui très tôt rompt avec l’emprise paternelle d’André Breton. « Va-t-on en finir avec le surréalisme révolu ! » Dotremont est né à Tervuren (Belgique) en 1922. Il fait ses études chez les jésuites, qui finalement l’expulsent pour avoir frappé « le père préfet » et les poèmes de cette époque clament Souvenirs d’un jeune bagnard. Il envoie un texte, Ancienne éternité, aux surréalistes belges : Magritte, Scutenaire et Ubac qui lui demandent de les rejoindre. En 1941 il se rend à Paris et rencontre Paul Éluard, Pablo Picasso et Alberto Giacometti. Il revient en Belgique pour créer le groupe surréaliste révolutionnaire. Il fait la connaissance d’Asger Jorn, le peintre danois qui deviendra son alter ego. Le 8 novembre 1948, il fonde avec lui et trois Hollandais, Karel Appel, Corneille et Constant, le groupe Cobra (abréviation de Copenhague, Bruxelles, Amsterdam). En 1949 le groupe qui revendique être « une nouvelle internationale d’art expérimental » est rejoint par Pierre Alechinsky. Les expositions se succèdent : « La fin et les moyens », « L’objet à travers les âges ». Et ce sont des voyages, des poèmes collectifs et des peintures-mots. La contestation vient du Nord. Dotremont rompt avec le surréalisme et le communisme. Il peint À bas les expositions, vivent les explositions ! Il s’occupe de la revue Cobra et en est le secrétaire général. Il devient le peintre de l’écriture et sa calligraphie s’orientalise à la suite d’une découverte que produit une feuille manuscrite par transparence. Ses mots sont des mots-valise, cette valise que l’on voit trimballer de quais de gare en quête d’absolu, et qui le mèneront jusqu’au sanatorium de Silkeborg où se soigne déjà Asger Jorn. Ils sont tuberculeux tous les deux et sans le sou. Silkeborg, la Suisse danoise, le seul point un peu élevé du pays. L’actuel musée Asger Jorn est situé là, pas très loin du sana. Ce fut un choc pour moi d’y découvrir les tableaux de Michaux, Alechinsky, Dubuffet, Henry Heerup, Pedersen et de nombreux autres Danois, les jeunes loups vikings en pays Cobra ! Un musée apparemment « tranquille » rempli d’architecture méditative. Pour Dotremont, « la création doit jaillir de la vie. Elle répond à une mission révolutionnaire : accorder l’avenir aux couleurs du désir ». Le groupe Cobra se dissout en 1951. Dotremont le soutenait à bout de bras. Il raconte, entre-temps, ses errances amoureuses dans son livre La Pierre et l’Oreiller, publié par Jean Paulhan chez Gallimard. Il s’improvise le peintre de la poétique libertaire et crée maintenant ses logogrammes, calligrammes de « peinture-mots », qu’il réalise seul ou avec Jorn, Alechinsky, Corneille. Cela s’apparente pratiquement à de l’écriture automatique, spontanée et sans souci de proportions. Il retranscrit le texte en bas en plus petit : presque une traduction ! Le tout exécuté à grande vitesse et rempli d’énigmes. Les mots bruissent de mystère et d’amour. Mais il se sauve en Laponie attiré par les mots, toujours, et ce sont les mots-traîneaux tirés par les rennes débridés qui courent sur la page blanche de la neige du Grand Nord, et ce sont les « logoneiges ». On dira plus tard du Laud art… Il sculpte la neige éphémère. Il se libère de la dictature de l’imprimerie. « Nulle part qu’ici le vif ailleurs. » On le voit coiffé d’un bonnet de chaman lapon. Il retournera onze fois en Laponie se ressourcer à l’écoute de « bribes tracées, brossées, brassées, tressées, tissées, tassées ». Il peint surtout au pinceau et à l’encre de Chine, mais rédige aussi Mémoire d’un imaginiste où il parle du bouleversement graphique de l’alphabet : « La couleur c’est la colère », « Dix de perdues, une de retrouvée », « Dentelles de poudre ». Il dira : « Je ne cherche pas la beauté, je cherche l’unité verbale graphique directe. » Lui qui fut correcteur pour « vivre », c’est plutôt fort de café ! Il expose à Copenhague « oui et non – peut-être ». En 1972, Luc de Heusch réalise un film sur lui : Dotremont-Logogrammes. En 1973, il apprend la mort de Jorn. Sa santé toujours précaire l’aura taraudé toute sa vie. Logogus meurt à Buizingen le 20 août 1979, pas du tout découragé de perdre le « rythme de son époque », lui qui écrivait : « Je ne vais dans les musées que pour enlever les muselières. » Le trublion Cobra aura réussi à taguer Beaubourg éphémèrement !