Travail le dimanche et déréglementation : l'intersyndicale Commerce de Paris passe à l'attaque

mis en ligne le 15 décembre 2011
La généralisation et la banalisation du travail du dimanche sont depuis longtemps sur la feuille de route du gouvernement, et les « aménagements » des règles en vigueur remontent déjà à plusieurs années. Ainsi, par exemple, la loi du 10 août 2009 prévoit l’octroi de dérogations pour les communes et les zones dites « touristiques ». Dans ces lieux déréglementés, le travail du dimanche est autorisé, et ce sans aucune contrepartie pour les salariés : pas d’augmentation du salaire horaire, pas de récupération en temps de travail et obligation d’accepter de bosser ce jour-là, sous peine de licenciement (dans les zones « non touristiques », les salariés ont la possibilité de refuser de travailler le dimanche). Cette offensive contre les droits des travailleurs ira sans doute encore plus loin mais devra aussi affronter une riposte sociale qu’on espère de taille. En attendant, des militants syndicalistes s’attellent déjà à mater les entreprises qui violent les quelques règles auxquelles elles sont encore soumises. C’est notamment le cas du Comité de liaison intersyndical du commerce Paris (Clip-P : CFDT, CFTC, CGC, CGT, FO et SUD) qui, depuis plusieurs mois, traîne devant les tribunaux les magasins qui contreviennent aux lois sur le travail du dimanche.
La bataille commence en début d’année 2011 lorsque le comité s’attaque à 8 supérettes de Franprix, Monop', G20, Spar et Carrefour City pour violation de la réglementation. Reconnues coupables, la justice les appelle à respecter les règles, sous peine d’une amende de 6 000 euros pour chaque dimanche où le magasin sera ouvert après 13 heures. Encouragé par cette première victoire, le Clip-P remet ça le 17 novembre 2011 en traînant au tribunal cinq Franprix et Carrefour City, puis le 22 novembre avec 12 autres. D’ores et déjà sont prévues de nouvelles comparutions pour une trentaine d’autres commerces. Inutile de dire que le comité n’entend pas lâcher l’affaire. D’autant que, si la lutte s’inscrit dans la sauvegarde des acquis sociaux, elle porte aussi en elle un certain choix de société où la marchandise n’inonde pas chaque jour de nos vies. Voici d’ailleurs ce que confiait récemment le Clip-P : « La capitale n’a pas vocation à devenir un vaste centre commercial ouvert 7 jours sur 7… Et les salariés ont droit à ce temps de repos dominical privilégié et indispensable à leur vie personnelle. Ces dérives ne doivent pas avoir force de loi. »
Si cette lutte peut sembler « anecdotique » ou « symbolique » (certaines supérettes étant prêtes à ouvrir le dimanche malgré l’amende), il est néanmoins possible qu’elle engendre quelques avancées sociales du point de vue de la loi. En novembre, la commission des Affaires sociales a validé une proposition de loi visant à préserver le repos du dimanche. S’en prenant directement à la loi du 10 août 2009, elle affirme que, « dans l’intérêt des salariés, de leurs familles et de la société, le repos hebdomadaire est donné le dimanche. Aucune dérogation à ce principe n’est possible ». Elle énonce aussi que le « refus de travailler le dimanche pour un salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une dérogation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement ». L’Assemblée nationale rejettera sans aucun doute cette proposition, mais sa simple existence souligne que ce petit acquis social qu’est le repos dominical n’est pas encore tout à fait mort. Il ne tient désormais qu’à nous de nous mobiliser contre ces attaques qui en veulent au principe même du droit au repos. Sans doute pareil combat paraîtra à certains horriblement réformiste ou bien trop inscrit dans le système salarial, mais rappelons-nous à cet égard la pensée de l’anarchiste Stephen Mac Say qui écrivait : « La réduction des heures de travail, la multiplication et l’étendue du repos sont des étapes, modestes certes, mais précieuses, dans cet arrachement de l’existence à l’étau du travail. Sans doute, les maux premiers sont de misère, de privations, d’insuffisance ; mais ceux qu’engendrent le travail sans mesure […] apportent la mort au travailleur et aux siens. Ce n’est pas dévier de sa route que de porter au premier plan des revendications immédiates du prolétaire le droit à la santé, que de lutter contre le surmenage, de batailler pour des conditions saines de vie au foyer comme à l’usine. »
Pour s’opposer aux violations des patrons de supérettes, les travailleurs concernés comme l’ensemble des consommateurs ont une marge de manœuvre. Boycotter les magasins contrevenant aux règles est un acte simple et non dénué d’efficacité. Et si jamais, un dimanche, on se rend compte qu’on n’a plus de farine, eh ben tant pis, la lutte des classes bouffera ses crêpes plus tard.