Emploi : entre colère et abattement

mis en ligne le 15 décembre 2011
1655ChomageLe 17 octobre dernier, un homme d’une quarantaine d’années, muni d’une arme factice et d’un cahier de revendications, prenait en otages deux membres de la direction locale d’une agence parisienne de Pôle Emploi. Trois heures plus tard, il se rendra à la police. Dans l’échange de messages électroniques qu’il aura mené avec Pierre Haski de Rue 89, il fit part de sa condamnation de la précarité et du mépris dont il s’estimait l’objet de la part de l’administration de Pôle Emploi.
Cet événement a fait l’objet d’une large couverture médiatique. Articles et reportages ont, une nouvelle fois, jeté une lumière très crue sur les déficiences de l’organisme né début 2009 de la fusion, encore chaude à cette heure, de l’ANPE et des Assedic. Ils témoignent tous d’un malaise aigu et persistant depuis près de trois ans, ils font tous état des difficultés rencontrées par les usagers dans leurs relations avec Pôle Emploi, du mal-être des salariés confrontés à un manque cruel de moyens pour accomplir leurs missions professionnelles, d’une sérieuse instabilité d’un opérateur du service public de l’emploi secoué par l’imprévoyance et l’inconséquence dont ont fait preuve ses dirigeants et la tutelle étatique dans sa mise œuvre et sa gestion courante.

Pôle Emploi : comme une éponge des maux sociaux
D’abord financière à l’été 2008, la crise, devenue économique et sociale, a fait grimper, selon les chiffres officiels, le nombre de demandeurs d’emploi « tenus d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi » à 4,193 millions à fin octobre, soit 4,9 % d’augmentation en un an et 10 % depuis octobre 2010. Il s’élève à près de 5 millions si l’on prend en compte les catégories D et E, c’est-à-dire les demandeurs non tenus d’accomplir des actes positifs de recherche en raison de leur entrée en stage, de suspension pour arrêt maladie ou de la signature d’un contrat dit « aidé » sachant que l’aide va à l’employeur qui peut bénéficier de subventions ou d’exonérations de cotisations sociales.
Selon une étude de la Dares, le service statistique du ministère du Travail, la dégradation de l’emploi se caractérise également par une forte progression du chômage des seniors et un allongement de la durée moyenne d’inscription qui atteint désormais le record de 456 jours. Et la sortie de crise n’est pas en vue dans la mesure où, après un taux de croissance d’environ 1,7 % en 2011, alors qu’il faudrait maintenir celui-ci au même niveau pour espérer amorcer une légère amélioration de la situation de l’emploi, les prévisionnistes de l’Insee tablent sur un taux de 0,5 % en 2012. La succession des plans de rigueur, deux déjà annoncés et très probablement un autre à venir, risque de déprimer un peu plus la conjoncture en enrayant la demande intérieure qui est le principal moteur de la croissance dans ce pays.
Comment relancer la machine quand la population pauvre au sein de l’Union européenne dépasse les 8 millions de personnes dont le niveau de revenu est inférieur à 950 euros (données statistiques de 2009) ?
Alors qu’il aurait été de bon sens, dans la conjoncture, de densifier les effectifs de manière à assurer un accompagnement efficace des demandeurs dans leur parcours de retour vers l’emploi, le gouvernement a fait le choix à contretemps, dogmatique, irresponsable, de soumettre Pôle emploi à ses mesures d’austérité.
Et, pendant ce temps-là, sont aux avants- postes du traitement social des dégâts économiques les personnels en situation d’accueil des organismes remplissant des missions de service public : les employés de l’assurance maladie, des CAF, de Pôle Emploi… Des personnels eux-mêmes démunis et qui, pour beaucoup d’entre eux, se sentent abandonnés par leurs « managers ». Des personnels qui, vaille que vaille, résistent aux tentations managériales d’en faire de zélés agents du contrôle social dans un système de plus en plus soumis à la culture du chiffre, des personnels qui résistent à la dégradation de la qualité du service rendu aux usagers. Et cela en dépit des tensions palpables dans les agences : augmentation de 20 % sur un an des actes d’incivilités à l’accueil, agressions verbales et physiques en tête des consignations au registre de sécurité.

Une décision politique intempestive
Nicolas Sarkozy, président de la République récemment élu, tout à sa frénésie de réformes tous azimuts, prenait la décision de lancer la fusion de l’ANPE et des Assedic bientôt inscrite dans la loi du 13 février 2008, cette entreprise titanesque et mal préparée entrera en application courant décembre 2009. Elle sera engagée alors que le chômage connait une forte progression.
Un beau charivari s’ensuivit. Comment marier deux institutions aux statuts et aux cultures aussi différents qu’une Agence nationale chargée du placement des demandeurs d’emploi par des personnels de droit public et un régime paritaire d’indemnisation du chômage composé de salariés de droit privé ? Les différences statutaires se font encore vivement sentir aujourd’hui.
On a pu parler d’un véritable hold-up commis par l’État pour financer sa politique de l’emploi en captant les cotisations sociales collectées par l’assurance chômage tout en ne contribuant que pour moins d’un tiers au budget de Pôle Emploi.
Une palanquée de chantiers fut ouverte avec une volonté de forcer l’allure pour répondre aux injonctions du pouvoir politique. Il s’agissait d’afficher rapidement les résultats d’une fusion réussie : un interlocuteur unique capable de traiter toutes les demandes en termes de placement et d’indemnisation, le regroupement d’équipes mixtes sur un site unique en réduisant le nombre d’implantations immobilières ; deux objectifs : des économies d’échelle et un traitement industriel du chômage de masse par une main-d’œuvre polyvalente.
Le personnel et ses représentants au sein des instances, une série de rapports et de comptes rendus d’expertises sur les risques psychosociaux, les réalités du terrain, les nombreux conflits locaux, se chargèrent de convaincre la direction générale et ses patrons, ministre du Travail et conseil d’administration, du caractère chimérique de son projet de métier unique et la forcèrent à ralentir – quoique modérément – le rythme du déploiement de ses projets.

Des moyens sous fortes contraintes budgétaires
L’État, l’Unedic et Pôle Emploi viennent de signer la deuxième convention tripartite dans la vie de cet opérateur. Elle définit les objectifs pour la période 2012-2014. Si elle prévoit le maintien des effectifs pour l’an prochain, elle envisage un retour à l’équilibre financier en 2014, ce qui, sans toucher aux aides et mesures, semble augurer une pression sur les effectifs à partir de 2013. Cela passera vraisemblablement par le non-remplacement des départs à la retraite à l’instar des mesures appliquées dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Cette convention insiste également sur le renforcement nécessaire de l’accompagnement des demandeurs d’emploi alors que les moyens manquent déjà.
Le nouveau directeur général, Jean Basseres, arrive de l’inspection générale des Finances, laquelle, dans un rapport rendu public en avril dernier, révélait l’insuffisance des effectifs du service français de l’emploi, le comparant à ceux de deux de nos voisins européens. Ainsi, tandis que, pour 100 000 chômeurs, le SPE (service public de l’emploi) britannique alignait 221 ETP (équivalent temps plein) et l’Allemagne 420, le SPE français n’en compte que 215. Nul doute que cette étude sera souvent rappelée au nouveau patron de Pôle Emploi.
Les conseillers croulent sous des portefeuilles de 150 à plus de 400 demandeurs d’emploi dans certaines agences de l’Ile-de-France, là où Christine Lagarde, ministre de l’Économie et des Finances en 2009, promettait le suivi d’un maximum de 60 personnes par agent.
Pour faire face aux retards dans le traitement des dossiers indemnisation, les directions régionales font régulièrement appel aux volontaires pour effectuer des heures supplémentaires ; d’exceptionnel, ce recours tend à devenir un mode de gestion ordinaire de la pénurie.
La réhabilitation et la création d’agences nouvelles subissent également le contrecoup de cette politique d’austérité imposée par le gouvernement et avalisée par le conseil d’administration, cela se traduit, en particulier, par une réduction de la surface des locaux, une diminution des postes internet en libre accès, la disparition des bornes « unidialog » en service 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7…

Quelles réponses ?
La gouvernance de l’opérateur soulève l’indignation des salariés mais la sourde détermination de l’État sarkozyste les jette aussi dans l’accablement. Au mal-être généré par la lourdeur de la charge de travail, les tensions vécues dans les relations avec le public, l’absence de perspective d’amélioration des conditions de travail et les inquiétudes qui pèsent sur le devenir de l’établissement, la direction n’a que son impuissance à proposer.
Les derniers mouvements de grève n’ont au niveau national guère rassemblé, en moyenne, plus de 6,5 % des agents ; on constate cependant des taux plus importants dans les régions où l’appel est lancé par une large intersyndicale proposant une plate-forme revendicative claire liée aux effectifs et avançant quelques mesures simples de nature à améliorer les conditions de travail.
La proximité des élections – politiques et professionnelles, toutes prévues pour 2012 – ne paraît pas propice à la création de larges mobilisations sur le terrain syndical. On voit déjà des organisations lancer des appels en ordre dispersé. La concurrence va jouer à plein durant l’année qui vient. Certains vont s’en remettre au faible espoir d’une solution venue d’un changement du personnel gouvernemental. Cependant, rien dans les déclarations des candidats déclarés ou virtuels ne permet de se bercer d’illusions.
Fort heureusement, il reste, pour la plupart des salariés, outre leur conscience professionnelle, le bénéfice des coopérations au sein des collectifs de travail, autrement dit : l’entraide, ce qui permet de « tenir » malgré les difficultés. Par l’échange, par la pratique des solidarités, les équipes locales peuvent initier des mouvements revendicatifs, il s’en est trouvé, il s’en trouve encore, autour de revendications simples, claires : titularisation des collègues actuellement en CDD, augmentation des effectifs, refus de la dégradation de service en donnant la priorité à la qualité sur la quantité.

T. G., un travailleur syndiqué de Pôle Emploi



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


19172Pitor

le 20 janvier 2012
N'oublions pas dans cette monumentale escroquerie, l'adjonction des Services d'Orientation de l'AFPA pour lesquels étaient prévus quelques millions pour permettre leur transfert et leur installation, et qui n’ont jamais été versé, ayant eu pour effet de compliquer encore plus l’utopique fusion ! Complications, qui, malgré les 1000 emplois supplémentaires annoncés dernièrement (emplois précaires bien entendu), ne se résorberont pas et où rien ne viendra enrayer le déficit des services rendus aux demandeurs ! !

Etat menteur ! Etat voleur ! Etat illégitime !

le maçon

le 29 septembre 2012
occupons pole emploi le 9 octobre!

chômeurs chômeuses, organise toi et lutte!