À vos barricades, camarades !

mis en ligne le 1 décembre 2011
Un journal de moins, un peu plus de liberté !
C’est ce que titrait à sa une le dernier numéro du Plan B, le 30 avril 2010, lorsqu’il mettait la clé sous la porte. Ils (les rédacteurs du journal) allaient pouvoir faire autre chose et nous (lecteurs) aussi.
La faute au satané pognon, au fric bien sûr, mais on ne pouvait expliquer cette disparition uniquement par la situation économique qui censure toute créativité. D’ailleurs c’est ce que déclarait l’ultime éditorial : « Ça n’est pas que » et il expliquait : « En mars 2006, entre la victoire du “non” au référendum sur la Constitution européenne et le triomphe de la bataille contre le CE, les fées de la lutte sociale s’étaient penchées sur le berceau de la jeune publication sardone [entendez le Plan B]. Agitant leurs banderoles magiques, elles avaient prévenu qu’un journal de critique des médias et d’enquêtes sociales tirerait sa force de son ancrage dans les cortèges autant que de son audience. Entrelacer guerre sociale et guerre des idées, nourrir celle-ci au lait de celle-là : la ligne était tracée. »
Fin finale, la version du Plan B papier a cessé, et le journal perdure sur la toile. Il est bien vivant. On s’en réjouit !
Cet énoncé – « Un journal de moins, un peu plus de liberté » – qu’on appliquera peut-être plus facilement à la presse qui nous enfume qu’à propos d’un journal qui pointe les injustices sociales, a été récemment repris par la revue Article 11.
Ainsi, cette récente et bonne revue, qui en est au numéro 6, se démarquait des litanies consensuelles quant à la récente destruction du siège de Charlie Hebdo. Face à la déferlante de voix ulcérées, et qui ont vite trouvé des coupables, il était quand même bon que les tabous tombent pour faire entendre un autre son de cloche. Tout en jugeant qu’effectivement cette destruction était « un mal », il était de rigueur de rappeler que « Charlie Hebdo est devenu une contestation boboïsée, bien convenue, d’une gauche peu encline et d’ailleurs peu entraînée à la confrontation d’idées.
Pour Charlie qui stationne sur la case “ faux amis” du jeu de l’oie médiatique, car ce n’est pas le hasard, ni l’injustice qui l’ont amené dans cette case, on pourrait invoquer Dieu “Protégez-moi de mes amis, de mes ennemis je me charge”. »

Des journaux meurent, d’autres naissent
Un nouveau magazine au titre fortement évocateur – Barricade – vient de paraître. Pour reprendre la phrase du Plan B et lui faire un petit clin d’œil, on pourrait dire dans ce cas : « Un journal en plus, c’est moins de liberté pour l’ignorance. » Loin de voir dans celui-ci un concurrent, il y a là plutôt une nouvelle stimulation pour les esprits. Pour tout journal, comme pour les individus, il est rare qu’il en soit de parfaits. Néanmoins, dans ce premier numéro je retiens de vraies qualités de plumes. On peut y retrouver des auteurs du Monde libertaire et d’autres proches de nos idées. Ce qui importe, avec la venue de nouveaux journaux dans le sillage libertaire, c’est que différents points de vue vont servir à échafauder des idées toujours plus clairement. Parfois on peut se sentir englouti sous la profusion de la presse (même de qualité), mais en revanche c’est comme une musique qui se perfectionnerait, une sculpture qui prendrait forme.
La vie fait naître des idées, elles se partagent et s’entremêlent pour qu’au final l’espoir de s’organiser mieux apparaisse possible.
Pour autant, comment éviter de faire du sensationnel, ou du spectaculaire, dans un journal ? La manipulation est permanente dans les médias et ravage les cerveaux disponibles. S’exprimer revient toujours à en faire ou dire un peu trop, même si c’est pour une bonne cause. On échappe difficilement au fait de vouloir séduire, même un tout petit peu. Le tout est d’abord de le savoir.
Alors qu’est-ce qui (m’a) séduit dans cette revue, puisque le but de cet article est de vous inviter à la découvrir ? Voici donc quelques bribes de pensées, prises ici et là.

Les temps sont durs, et le temps est à retrouver
C’est une réflexion sur les nouvelles technologies. Présentes au travail, elles se sont immiscées peu à peu dans la sphère privée. L’aspect négatif, c’est qu’elles nous ont préparés à la multiplication des tâches, à vivre toujours plus rapidement et dans l’urgence, comme au travail. L’article de Pascale Hustache dans Barricade s’achève par cette sorte de méditation : la lenteur et le silence sont dangereux. Cette constatation n’est peut-être pas nouvelle pour les lecteurs du Monde libertaire, mais elle est particulièrement bien amenée par un raisonnement et une démonstration intelligente. Le fait de revenir encore sur ce sujet – notre relation aux autres à travers écrans, téléphones – ne nous permet-il pas de rester en alerte et de reprendre peut-être un rythme de vie plus serein ?
Dans un autre article de la revue, c’est Raoul Vaneigem, que connaissent bien les lecteurs du Monde libertaire, qui écrit : « Trop de contestataires ont cru porter au capitalisme, s’effondrant sous le poids de son absurdité, des coups qui se voulaient mortels et n’étaient que d’allégoriques moulinets de matamores » ; « La vie clandestine qui mine peu à peu (le vieux monde) sur laquelle il n’a aucune prise, parce qu’elle niche au cœur de chacun. C’est là dans la clandestinité d’existences qui se cherchent que s’élabore lentement une société nouvelle. »
Place est donc faite dans la revue à la personnalité, à l’individu, à l’action solidaire, à la dénonciation des religions, à la lenteur, à la gratuité, au silence…
Le féminin est invité dans un article intitulé « L’éloge du trouble ». On croise également l’évocation d’une femme qui a vécu la Commune de Paris, André Léo (1824-1900) dont voici quelques citations : « L’amour propre révolté suffit pour haïr la tyrannie ; tandis que pour être équitable envers tous, il faut l’esprit de justice. » « Ce qui se fait opposant s’est levé au nom de la liberté ; il s’assied, après ses conquêtes, sur le trône qu’il s’est construit ; il continue de trouver mauvais ce qui le domine, mais il trouve bon ce qui lui est soumis. Du grand au plus petit, c’est ce qui se passe un peu partout, dans la ville, dans l’État, dans le groupe ou dans la famille. »
André Léo n’aura certes pas convaincu les proudhoniens de l’époque de la nécessité de l’égalité homme et femme, mais si Proudhon lui-même et elle avaient eu plus de temps, qui sait si elle n’y serait pas parvenue ? Elle est connue surtout à partir de 1861 et Proudhon meurt en 1865.
Barricade est un magazine d’idées, mais aussi d’humour. En plus des dessins qui illustrent la revue, on y trouve l’occasion de revenir sur une journée porte ouverte des artistes de Belleville dans un atelier de deux artistes surprenants qui n’ont pas laissé indifférent leur visiteur. Mais là je vous laisse la surprise, il ne s’agit pas de tout dévoiler !

Inana