Soutiens, résistances et protestations : quelques films iraniens à voir

mis en ligne le 24 novembre 2011
La confirmation de la condamnation de Jafar Panahi à six ans de prison et à une interdiction sur vingt ans d’écrire, de publier, faire des films et de les montrer est une aberration, si bien que les ayatollahs aimeraient bien se débarrasser de ce « cas Panahi » décidément trop connu de par le monde. Panahi a refusé de quitter l’Iran, où il est assigné à résidence. Ceci n’est pas un film est tourné dans son appartement, avec un ami qui capte son désir d’imaginer malgré tout un décor de films sur le tapis de son salon, et de suivre l’évacuation des poubelles avec sa petite caméra dans l’ascenseur. Qu’elle est émouvante, la scène de la fin, où le gardien d’immeuble protège caméra et cinéastes dans leur intégrité physique.
Son film est déjà sorti fin septembre, mais il est encore à l’affiche. Même si c’est un « non-film », selon les propres mots de son auteur, c’est un acte de résistance, parvenu au Festival de Cannes dans une clé USB, camouflée dans un gâteau. Paradoxes et contradictions de ce régime et de ses décisions absurdes.
In Film Nist (Ceci n’est pas un film) décrit une journée ordinaire dans la vie de Panahi et pourtant c’est du cinéma ! Pourquoi ? Parce que l’intelligence du dispositif et la façon de le filmer, donne tout à voir : comment on dirige une équipe absente par la seule force de l’imaginaire, comment des baguettes posées sur un tapis peuvent devenir des instruments de virtuose. Tous les objets concrets de la vie quotidienne sont sollicités.
Ces dernières semaines, les films iraniens sortis en France font un tabac : le premier de la liste est Une séparation d’Asghar Farhadi (L’Ours d’Or à Berlin). 900 000 entrées à ce jour, il surprend par sa liberté de ton et la complexité de l’analyse des problèmes d’un couple, de leur fille, de leur bonne, du mari de celle-ci, du juge et des us et coutumes d’une société en pleine mutation : un « thriller familial » aux multiples rebondissements.
Be Omid é didar (Au revoir) de Mohammad Rasoulof est aussi un non-film, car interdit en Iran, mais récompensé par le prix de la mise en scène à Un certain regard. Comme dans tous les films iraniens, on est frappé par la beauté des femmes, par l’extraordinaire diversité des visages, la force d’expression du moindre figurant et aussi par la beauté des plans qui ajoute à l’angoisse qui va monter insidieusement. L’avocate, l’incandescente Leyla Zareh, dit à son mari : « Vaux mieux te sentir étranger à l’étranger que te sentir étranger dans ton propre pays ! » Il ne veut en aucun cas l’accompagner. Alors qu’elle a dépensé tout son argent pour obtenir visas et passeports, qu’elle a graissé la patte à d’innombrables fonctionnaires, mettant même son alliance sur la table quand elle n’a plus de billets… L’avocate en quête d’exil sera arrêtée tout comme son mari journaliste travaillant clandestinement pour une presse libre. Ce film rappelle l’ordinaire de la vie en Iran où la persécution est permanente. L’attention qu’elle porte malgré tout à une petite tortue d’eau dont l’aquarium est défectueux, est touchante. Elle éponge l’aquarium, le sécurise et remet de l’eau plusieurs fois. Quand elle pense s’enfuir pour de bon, la tortue reste introuvable.
Poulet aux Prunes, de Marjane Satrapi et de Vincent Paronnaud, est un pavé dans la mare : car ils sont, gonflés, ces auteurs avec tout ce qui se passe en Iran en ce moment, de nous parler d’un homme qui veut « mourir d’amour ». Le modèle n’est personne d’autre que l’oncle de Marjane Satrapi. Un homme capable de faire pleurer une pierre, tellement il jouait bien de son instrument. Et puis il le perd, il perd aussi la femme qu’il aime, en épouse finalement une autre et est tellement malheureux qu’il se met au lit pour attendre la mort. On se rappelle le scandale provoqué par le film de Kiarostami, Le Goût de la cerise, ou un iranien demande aux gens qu’il rencontre de l’aider et de l’accompagner jusqu’à la fin. Ici le ton n’est pas toujours à la tragédie, on peut rire et sourire. Parfois il y a des idées de BD qui animent le film agréablement. Mais évidemment, le choc esthétique de Persepolis est loin. Ils ne voulaient pas faire un « Persepolis 2 » et se sont intéressés à cet homme, à ses désirs et ses rêves brisés. N’est-ce pas la preuve d’un grand courage de lancer cette idée dans un pays où tout est codifié et toute initiative personnelle, relevant de la liberté individuelle, est totalement interdite et punie ?
Noces éphémères de Reza Serkanian, conte l’histoire que le titre annonce. La splendeur d’Ispahan est captée au détour d’une ruelle, où Kazem s’est égaré afin d’expérimenter l’approche de l’autre sexe sans déshonorer sa belle-sœur Mariam, dont il est follement épris. Mais les choses se compliquent. La police s’en mêle. Il faudra l’intervention des hommes de la famille pour tirer Kazem de là. Film emblématique sur des mariages contractés pour une nuit, annulés le lendemain. Le film risque gros à parler à découvert de ce problème, de ce secret bien gardé. La solution du problème de Kazem est dans les mains de la belle Mariam (l’actrice est, elle aussi, inquiétée par le pouvoir en place). Sans dévoiler comment Kazem arrive à ses fins, on peut dire, que là aussi, ce sont encore une fois les femmes qui trouvent une solution : elles sont pleines de fougue et n’ont pas froid aux yeux. Noces éphémères était une découverte d’Acid. Et incontestablement le plus beau film de cette sélection.