Quand les antinucléaires battent le pavé rennais

mis en ligne le 3 novembre 2011
La manifestation antinucléaire de Rennes, samedi 15 octobre, a réuni 20 000 personnes déterminées mais joyeuses sous un soleil généreux. La foule avait commencé à s’agglomérer au mail François-Mitterrand dès midi, où des boissons et restaurations bios, végétariennes, végétaliennes ou carnées étaient proposées. Des toilettes sèches avaient été installées. Les stands de collectifs, associations écolos mais aussi politiques permettaient à tout un chacun de trouver des informations alternatives ou à vocation révolutionnaire et, inévitablement, libertaire ! Après des prises de paroles relatant les enjeux en cours, est intervenu le clown atomique Jean Kergrist dans son rôle de sous-secrétaire d’État chargé de faire la promotion du nucléaire, déclenchant l’hilarité chez ses auditeurs et auditrices. Le défilé s’est ensuite mis en marche sur un parcours de trois kilomètres dans les rues de Rennes. Banderoles, pancartes, groupes de percussionnistes ont dynamisé la foule. Il y avait un étonnant contraste entre le défilé revendicatif et les consommateurs et consommatrices des commerces du centre-ville saisis par leur fièvre acheteuse. On ne commentera pas plus !
Le cortège – ouvert par la banderole : « Le nucléaire, c’est le capitalisme : arrêt immédiat. » – initié dans une démarche unitaire par les organisations libertaires, la CNT et le Collectif radicalement antinucléaire de Caen, a rassemblé un bon millier de personnes, certains disent le double. Grâce à un pot commun, les organisations anarchistes (Fédération anarchiste, Réseau No Pasaran, Organisation communiste libertaire, Offensive libertaire et sociale) ont ainsi « offert » à la tendance « sortie immédiate du nucléaire » les moyens de s’exprimer : une gigantesque banderole sans nom d’organisations et un camion, porteur de la puissante sono prêtée par la Fédération anarchiste. Evidemment, de multiples banderoles aux messages à la fois anticapitalistes et antinucléaires avaient été confectionnées spontanément et souvent de manière imaginative. À noter qu’Alternative libertaire avait choisi de sortir de l’initiative… Durant le défilé, quelques dizaines de personnes ont tagué des vitrines de magasins, représentations par excellence du capitalisme : agences immobilières, banques, ont ainsi eu un peu plus d’éclat grâce à de fraîches couleurs. Ces actions ont été perçues de manière controversées : certains trouvaient que ce n’était pas le lieu dans une manifestation « pépère » et « bon enfant », d’autres que le moment n’était pas propice (c’est-à-dire sans encore de véritable assise populaire), d’autres enfin ont apprécié. En tout cas, les partisans de la croissance devraient se réjouir : les entreprises de nettoyage vont avoir de l’ouvrage. C’est bon pour l’emploi !
Au total, près de 20 000 manifestants à Rennes, 25 000 dans toute la France.
Faut-il se féliciter ?
Comparé aux cinq grandes manifestations anti-EPR de 2007, initiées à l’époque par le réseau sortir du nucléaire, la mobilisation est en retrait : la mobilisation avait rassemblé plus de 30 000 personnes à Rennes et autour de 65 000 dans toute la France. Mais peut-on parler de recul ?
A la suite des graves problèmes internes au réseau Sortir du nucléaire en 2010, le mouvement antinucléaire a semblé figé. L’organisation du 15 octobre 2011 à Rennes est l’œuvre de la Coordination antinucléaire Ouest, laquelle rassemble des collectifs, organisations et partis politiques de Bretagne, Basse-Normandie et Pays-de-Loire. Formée juste après la catastrophe de Fukushima où le danger perdure toujours, cette coordination, émanation de collectifs de base, n’a que quelques mois d’existence. Son dynamisme a rejailli et d’autres régions se sont saisies de cette date du 15 octobre pour mobiliser localement, certaines très tardivement (ce qui explique que par endroits il n’y ait eu que quelques centaines de manifestants). Vu sous cet angle, alors qu’on aurait pu craindre le mouvement avec les reins brisés, la mobilisation est plutôt une réussite.
Les opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes étaient logiquement présents, tant les problèmes environnementaux et sociaux sont liés, font face à la même logique, celle déployée de concert par l'Etat et les multinationales qui se partagent le marché, en ravageant la planète. À ce sujet, le groupe Vinci est particulièrement impliqué. Les indépendantistes de Breizhistance avaient déployé une gigantesque banderole inratable au-dessus de la Vilaine, osant la référence « Plogoff = Notre-Dame-des-Landes : Non à l'aéroport », réalisant un pont dans L'Histoire des luttes locales.
Revenons sur la démarche libertaire unitaire. Initiée par le groupe libertaire de Vannes (affilié à la Fédération anarchiste), une réunion préparatoire pour un travail en commun a permis d'organiser un cortège, non d'organisations anarchistes, sur une base idéologique, mais plus large, sur la double revendication : contre le capitalisme et pour l'arrêt immédiat du nucléaire, qui permet aux antinucléaires non libertaires mais qui veulent un changement de société, de s'y retrouver. La formulation « arrêt immédiat » est un mot « obus », comme peut l'être la « décroissance », visant à provoquer un « électrochoc » (!) dans l'opinion, prouvant que la sortie du nucléaire, si elle implique des considérations techniques, est inévitablement politique. La sortie immédiate s'appuie conjointement sur la nécessité d'éviter un accident majeur irréversible, mais cette « immédiateté » dépend de la prise de conscience des différentes composantes de la société, sur ce qu'il faut limiter comme consommation d'énergies pour pouvoir la réaliser. Même si elle est sans doute techniquement possible, sans réduire la consommation d'électricité, en ayant recours bien davantage aux énergies fossiles, somme toutes moins dangereuses à court terme qu'une catastrophe atomique, elle pose inévitablement la question de ce qui doit être produit, pour qui et comment se prennent les décisions : gouvernement ou autogestion ? Centralisme ou fédéralisme ? Marché ou autogestion ? Productivisme ou décroissance et satisfaction des besoins sociaux ? Cette notion de besoins devant être discutée à partir d'informations fiables sur les implications écologiques et sociales de la production…
La revendication de l'immédiateté a aussi la vertu de déconnecter la lutte de l'attente d'un changement de personnel par les élections qui appliquerait les bonnes décisions… comme si c'était possible dans le cadre d'un état « démocratique » imbriqué dans l'économie globalisée et ses institutions ! Elle dépend donc d'un rapport de force populaire, encore à construire.
Ainsi, les organisations libertaires et le syndicat CNT qui ont accepté cette démarche unitaire, se sont mises au service d'un tel mouvement, sans s'effacer mais comme forces de proposition. En ce sens, des militants et militantes de la Fédération anarchiste de Bretagne se sont investis pleinement dans la préparation de cette journée et des compagnons et compagnes de Caen, Poitiers, Paris, de l'Aisne ont fait le déplacement, ainsi qu'une émission de Radio libertaire.
Définir des perspectives
Le dimanche 13 novembre, un forum de discussion est planifié à Rennes, à la maison des associations (Cours des Alliés), sur les objectifs et moyens dont pourrait se doter le mouvement antinucléaire.
Du mardi 22 au jeudi 24 novembre, est organisé un camp, lieu de débats et de vie collective, à Valognes (Manche) servant aussi de base pour une intervention contre un convoi de déchets radioactifs par train Castor en partance vers l'Allemagne. Il s'agit pour les initiateurs de ce camp de s'inspirer des mobilisations allemandes mais aussi de s'en prendre au maillon le plus faible de la filière nucléaire : l'accumulation et la circulation de déchets hyper dangereux et dont nul ne sait que faire.

Stef@