Chronique néphrétique

mis en ligne le 3 novembre 2011
S’adresser à tous. Bien sûr, c’est un objectif irréaliste, car nous n’atteindrons pas tout le monde. Mais, c’est avant tout une démarche : une attitude à adopter, à travailler, des formes et des contenus à peaufiner, à ajuster. Pour que nos idées quittent leur microcosme. S’adresser à tous, pour quoi faire ?
Pour convaincre ? De quoi ? On nous demande des réponses, des recettes, des solutions. En avons-nous ? Devons-nous même en avoir ? Les formuler, creuse un fossé, la plupart du temps, entre nous et ceux qui les demandent. « Irréaliste », « utopique », « mais la nature humaine… », « c’est à l’échelle mondiale qu’il… », etc.
J’en ai ma dose de ces discussions ! J’en ai eu des centaines, et je ne suis même pas sûr d’avoir convaincu quelqu’un en trente ans… Personne n’aime les donneurs de leçons. Et puis ceux qui ont des certitudes risquent d’être les premiers fossoyeurs des mouvements à venir. Parce que ces mouvements n’entrent pas dans leurs schémas préétablis. Les dogmes en la matière sont gage des répressions futures. Et je suis heureux d’en avoir pris conscience avant que cela ne bouge ! Des principes, oui, et même de l’intransigeance sur les principes, mais des réponses ? On les trouvera ensemble. Et commençons par les questions : posons-nous les ensemble. À partir de faits énoncés. Avec empathie. Ensemble, cela veut dire avec tous ceux qui ne sont pas nous…
Si nous pensons qu’il est possible à des groupes humains de décider de leur avenir, de faire des choix économiques, politiques en conscience…
Si nous pensons que la somme des savoirs, des expériences, des pratiques, des techniques, des découvertes et inventions humaines présentes et à-venir peut résoudre les problèmes qui se posent à l’humanité…
Si nous pensons que ces groupes humains ont la capacité de peser les arguments, d’évoluer dans le débat, de modifier leurs opinions (sans amour-propre mal placé si c’est pour le bien-être collectif), et surtout de dépasser leurs intérêts strictement personnels…
Alors, agissons-en conséquence : c’est la forme que doit prendre notre propagande. La propagande par le fait, et le fait en accord avec les principes, et ce ne sera plus de la propagande. Ce qui lui permettra de devenir audible, visible et d’avoir un impact. Voilà une alternative en acte ! Un exemple ? Prenez le journal que vous avez dans les mains. Donnez la parole à ceux qui ne l’ont pas, des unes avec des têtes d’inconnus, « Robert, cheminot : votre train va dérailler… », « Nadège, ouvrière : on fabrique de la camelote et vous en redemandez ! ». Un journal qui reflète la vie, le quotidien qui épuise, qui scandalise, la vie des gens « normaux » (et tant mieux s’il y a plusieurs normes), les luttes menées par nous ou d’autres, même infimes, toutes les fois où les têtes se relèvent, où les échines ne plient plus. Sortir de nos thèmes rabâchés. S’emparer des faits qui parsèment notre vie au boulot, celles de nos enfants, ce que nous voyons sur la route, au supermarché, à l’hôpital, à la maison de retraite, les difficultés pour trouver un médecin, l’avenir de la cantine scolaire, le monde associatif, et rattacher intelligemment tout cela à une analyse plus globale. Et, autour de nous, déceler tout ce qui est en germe du nouveau monde, les formes mêmes minimes d’auto-organisation, les découvertes scientifiques qui changent la donne, les faits politiques qui dévoilent la réalité du système… Des reportages un peu comme, pour ceux qui l’ont connu, le vieux Libération qui érigeait le fait divers en fait politique. Un courrier des lecteurs aussi, l’interactivité commence par là. Et justement ! Olivier « lecteur assidu » nous écrit : « Je ne suis pas mexicain. Culturellement, la mort n’est pas une fête pour moi, même si je sais qu’elle fait partie du processus de vie. Je ne cesse pas de m’énerver devant les crânes, squelettes qui apparaissent régulièrement dans l’imagerie anarchiste. Au delà du fait qu’il me paraît contre-productif de placer un squelette (même avec toutes ses dents) pour promouvoir Radio libertaire (morte-vivante ? Cadavre en sursis ?), je préférerai que nous laissions les images mortifères, les crânes, les squelettes à nos ennemis qui se chargent bien d’en produire par milliers, par millions parfois lors des tueries mondiales. J’ai souvenir de légionnaires qui arborait la tête de mort comme insigne… Je connais aussi la symbolique pirate et la théorisation anarchisante qui en a été faite, mais n’ayant pas le pied marin, le Black Pearl ne m’intéresse pas (d’ailleurs il est maudit). Plus sérieusement, à quelles images associerons-nous alors les massacres des dictatures, les génocides et autres charniers ? Le mépris de la vie des affameurs de peuples, marchands d’armes et pollueurs qui « gèrent » le monde nous scandalise ? Affichons-nous clairement, visuellement, du côté opposé ! Sinon, continuons allégrement de parasiter notre discours, mais ne nous étonnons pas qu’il n’atteigne pas son objectif, nous l’avons explosé en vol, nous-même, dès le départ. »