Aujourd'hui Lalonde… demain l'écologie !

mis en ligne le 14 mai 1981
Avec plus d'un million de voix au premier tour des élections président Bruce Lee Londe et les zombies d'Aujourd'hui l’Écologie s'estiment amplement satisfaits. Depuis 1974, nous disent ces braves gens, la progression a été constante. De Dumont à Lalonde, on est passé de 1 à 3,8 % des suffrages exprimés. À l’évidence, l'écologie a désormais fait son trou. Elle s'installe chaque jour un peu plus dans le paysage politique. Elle s'enracine de plus en plus profond dans la conscience de l'électeur. Tout incite donc à être optimiste quant à l'avenir !
Optimiste, mon cul ! À ce rythme-là, les écolos à la mode Lalonde, qui se targuent volontiers d'avoir vocation à être majoritaire, le seront... dans trois siècles ! Et dans trois siècles, quand les pustules nucléaires auront vérolé à mort la surface du globe et que la pollution aura rendu la planète invivable, quel sera l'intérêt d'arriver enfin au pouvoir ? Il n'y aura plus rien à faire d'autre que de tenter de gérer le désastre et d'aménager la survie. Lamentable ! Dérisoire ! Comment est-il possible de ne pas se rendre compte de l'impasse d'une telle stratégie ? Soyons sérieux : 3,8 %, c'est un échec ! Et de 5 à 10 %, cela aurait également été un échec ! De toute évidence, le terrain de l'électoralisme est un terrain miné. Les chevaux-légers de l'écologie s'y embourberont toujours et leurs hennissements ne parviendront jamais à couvrir le rugissement des blindés du gang des quatre. Pour s'en sortir, les écolos devront se mettre au diapason des brontosaures de la pensée politique. C'est ce qui se produit actuellement. À trop fréquenter les charognards de la politique politicienne, les rossignols de l'écologie politicarde se mettent à leur ressembler. Leur haleine devient fétide.
Que signifie en effet, cette campagne électorale? Pour justifier la participation au cirque électoral, certains avaient parlé d'une possibilité offerte de faire passer un message, un souffle nouveau dans l'atmosphère empuantie d'un paysage politique en proie à la putréfaction. On a pu chercher en vain cet ouragan dévastateur de critiques radicales et d'espoirs. Lalonde a été comme les copains. Gentil, propret, poli, encravaté d'ennui, désespérant de sérieux, appliqué et sans imagination, il s'est liquéfié au fil des jours en cherchant à être « crédible » et à avoir réponse à tout. Un mauvais candidat, Lalonde ? Allons donc, il ne s'agit pas de cela ! Cousteau, Lebreton, Delarue ou n'importe qui aurait fait de même.
En acceptant de composer avec le système dominant, en allant l'affronter sur son terrain d'élection (wouaf !), l'écologie politicienne était condamnée à mettre de l'eau dans son vin, à émasculer progressivement son discours originel. Pour amadouer l'électeur. C'est un principe de base, il faut à l'évidence ne pas effrayer, arrondir sans cesse les angles et sombrer corps et âme dans l'incolore, l'inodore et l'insipide. Au bout du compte, cela ne signifie rien d'autre que de se placer délibérément dans la perspective de la gestion du système. C'est là tout le sens du concept d’État minimum avancé par Lalonde et Aujourd'hui l’Écologie. Un État minimum ? C'est véritablement à se pisser aux culottes !
Pour ma part, ceux qui croient en l’État minimum me font penser aux imbéciles sans espoir qui s'imaginent qu'il est possible d'avoir une police propre, une justice juste et une armée sans tortionnaires. Ou ce sont des naïfs, ou ce sont des menteurs ! Dans les deux cas, ils constituent des obstacles à une claire perception de la réalité. En l'occurrence, il convient de bien s'en persuader : entre l’État, sa propension insatiable à cancériser la vie sociale et le fédéralisme libertaire d'une société sans l’État et contre l’État, il n'y a pas de solution médiane. Le concept d’État minimum est un concept creux. Il débouche inéluctablement sur l'aménagement ou le réaménagement de la merde étatique existante. Un peu moins de bureaucrates, des fleurs dans les commissariats, des militaires à cheveux longs et la main de ma sœur sous la robe austère de la Justice... La belle affaire !
Au bout du compte, si on y réfléchit bien, la participation des politicards de l'écologie à ces présidentielles aura été d'un lamentable rare. Un score minable ! L'espoir dérisoire d'accéder au pouvoir quand tout sera joué depuis longtemps ! L'alignement progressif sur la théorie et la pratique des professionnels du racket de la délégation de pouvoir ! L'usure, donc ! Le ratatinement des grandes idées du départ ! Le mégotage et la compromission ! Pitoyable !
Là n'est cependant pas le plus triste ! Que Lalonde et consorts étalent au grand jour leur misérabilisme a beau nous réjouir le cœur, cela n'empêche nullement de constater que cette candidature a pronfondement blessé le mouvement écolo. Certes, la désignation de Lalonde lors des primaires de 1980 a été tout entière placée sous le signe du désaveu de la base. Neuf cents petites voix, cela faisait pâle à côté des dizaines de milliers de militants de Malville, La Hague, Plogoff. N'empêche, malgré tout cela, force est bien de constater que ce sont les électoralistes qui ont constitué l'événement. Ce sont eux qui ont occupé le terrain de l'offensive, et leur habileté à noyer le poisson de leur néo-réformisme a profondément divisé un mouvement écolo littéralement empêtré dans la résistance passive. C'est cela qui est inquiétant. Qu'on ne s'y trompe pas, en effet, plus le temps passe et plus les mongoliens de l'écologie apprennent à transformer leurs grimaces en sourires. Leur séduction se fait pressante au fur et à mesure qu'ils s'affirment comme un pôle d'attraction. Et les « gentils » radicaux italiens, en appelant à voter Mitterrand, nous montrent ce qui nous attend si on se laisse faire.
L'écologie, au fond, se trouve confrontée à la même problématique que le féminisme ou l'autogestion. Trois voies s'offrent à elle. S'engager dans un réformisme sectaire sans perspective aucune (c'est la phase actuelle); se faire grignoter et récupérer par la bande des quatre vampires à la recherche de sang frais (c'est la phase suivante); ou bien, et c'est ce pour quoi nous nous battons, s'engager dans une dynamique de lutte et de rupture avec le système dominant. Le tout, comme dit l'autre, est de faire le bon choix. Car enfin, c'est indéniable, l'écologie a en elle d'énormes potentialités libertaires. Pour les épanouir, encore convient-il de prendre une bonne fois pour toutes par les cornes le taureau de la clarification et briser net le flou artistique qui permet à quelques-uns de parler au nom du plus grand nombre.
La régénérescence de la nébuleuse écolo passe, c'est sûr, par l'affirmation de la cohérence d'une dynamique de la révolution sociale, mais elle passe également par une opération chirurgicale radicale, destinée à chasser la vermine parasitaire une bonne fois pour toutes. Sur ces bases et sur ces bases seulement, l'écologie peut être porteuse d'espérances. Pour elle, pour le nouveau mouvement social dont elle pourrait être l'un des éléments moteurs et pour la révolution sociale dans son ensemble.
Demeurer passifs plus longtemps devant les ronds de jambes incessants des nouveaux baladins de la démagogie serait une erreur. De la résistance passive, nous devons passer à l'offensive et briser les reins du réformisme avant qu'il ne gangrène l'ensemble du mouvement. Haut les cœurs, camarades… Aujourd'hui Lalonde, demain l'écologie !