Dès l’âge de cinq ans, tous des « racailles » en devenir ?

mis en ligne le 27 octobre 2011
Décidément, au sein de la camarilla d’honorables citoyens qui tient la France en otage depuis le printemps 2002, les idées perverses ne font que proliférer. Dans un premier temps, il s’agissait de mettre au pas les citoyens réticents à accepter l’ordre nouveau. Avant même qu’il ne soit élu président de la République, l’inspirateur de la société sécuritaire qui se mettait en place commençait à désigner d’un doigt vengeur les possibles criminels risquant de mettre à mal le bon fonctionnement de notre France moralisatrice.

Alertez les bébés !
C’est ainsi que, au mois de juin 2006, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, s’était inquiété du comportement mental des enfants, dès l’âge de trois ans. S’appuyant sur le rapport douteux d’un pédopsychiatre, l’ambitieux qui sévissait place Beauvau désirait déjà séparer le bon grain de l’ivraie. En fait, il y avait la volonté de déceler, dès le jardin d’enfant, les futurs pédophiles ainsi que les possibles délinquants de droit commun. Comment ne pas réagir à cette obsession consistant à criminaliser des bambins ? Dans le numéro de juillet 2006 de Que fait la police ? je m’étais laissé aller à persifler lourdement :
« S’il était possible de consulter le carnet de santé du petit Nicolas, et de noter la fréquence de ses crises de nerfs, cela ne manquerait pas d’intérêt. De la même façon, il serait curieux de savoir comment il trépignait lorsque ses parents refusaient de céder à ses caprices… Celui qui s’est risqué à traiter les jeunes des cités de “racailles”, tout en évoquant ces quartiers qu’il fallait passer au Kärcher, régurgite sans doute ses rages d’enfant gâté. L’ennui, c’est que, au lieu de terroriser ses proches, comme jadis, l’actuel ministre de l’Intérieur déchaîne ses colères contre des pans entiers de la population qu’il ne cesse de fragiliser. Si l’on s’était intéressé plus tôt à la nature des colères froides du petit Sarkozy – vers 1957 –, peut-être ne serait-il pas devenu le vibrion incontrôlable que l’on connaît en 2006. Si l’on avait alors calmé ses cauchemars avec quelques cuillers de Phénergan, ce fils d’immigré hongrois, devenu français à l’excès, n’éructerait pas constamment sa haine contre ceux qui n’ont pas eu le loisir de s’intégrer, comme lui, au point d’ambitionner la magistrature suprême. »

La valse des faux-culs
En octobre 2011, Nicolas Sarkozy n’a toujours pas évacué sa méfiance viscérale envers les jeunes enfants. Pourtant, déjà trop préoccupé par la campagne électorale qui se prépare, il a passé le relais à son fidèle commis de l’Éducation nationale, Luc Chatel. Cet ancien directeur des relations humaines (DRH) de L’Oréal a décidé d’évaluer les élèves de la grande classe des écoles maternelles, c’est-à-dire les garçons et les filles âgés de cinq ans. Avec trois niveaux de notation : « rien à signaler », ou « à risque », voire « haut risque ». Pour le ministre de l’Éducation nationale, il ne s’agirait là que d’un « outil de repérage ». Dès ce document connu, le SNUIPP appelait les enseignants à boycotter « les dispositifs de marquage des élèves », dans le même temps que la FCPE demandait le retrait immédiat de ce projet honteux.
Cette volonté de s’intéresser insidieusement aux jeunes enfants n’est pas un fait nouveau. Depuis plusieurs années déjà, il y a eu la tentation de constituer un « fichier base élèves », entre autres raisons pour repérer les parents sans papiers de ceux qui fréquentent obligatoirement les établissements de l’Éducation nationale. Pour ce nouveau type de contrôle, il paraît que la proposition de Luc Chatel avait pour objectif de prévenir l’échec scolaire. « Mesure non obligatoire », s’était empressé de préciser le ministre de l’Éducation nationale, devant la levée de boucliers. Cette valse des faux-culs n’est rien d’autre que la représentation d’une méfiance évidente envers la jeunesse, mais surtout de la haine portée plus généralement aux « racailles » des banlieues. Nous savions déjà que les multiples lois sécuritaires édictées depuis 2002 visaient surtout la jeunesse de ce pays pour tenter de criminaliser ceux qui, dès l’âge de treize ans, peuvent connaître la prison. Un chiffre suffit pour justifier cette affirmation : au 1er janvier 2011, on ne peut passer par pertes et profits le fait que 688 mineurs étaient incarcérés. Ce qui ne fait que vérifier les propos de deux adolescents, à Villiers-le-Bel, et la révolte qui s’en était suivie : « Ce qui s’est passé à Villiers-le-Bel n’a rien à voir avec une crise sociale. Ca a tout à voir avec la voyoucratie ! »
Ces fortes paroles, prononcées à la grande satisfaction d’un auditoire de 2000 policiers, étant ponctuées par cette menace : « Mettez les moyens que vous voulez. C’est une priorité absolue ! » Avait suivie l’incitation à la délation « citoyenne », avec prime à la clé, et les lourdes condamnations qui devaient frapper quatre jeunes hommes, en juillet 2010. Il était évident, pour les juges de la cour d’assises de Pontoise, que les policiers n’étaient en rien coupables tandis que les jeunes des cités ne pouvaient qu’être des délinquants potentiels. Ces jeunes sont actuellement rejugés devant la cour d’assises de Nanterre et il paraît de plus en plus avéré que les délateurs avaient agi sous contrainte policière.

Les enfants sages vivent à Neuilly
Comment ne pas réagir devant la récente initiative de Luc Chatel pour qui, sans aucun doute, les petits des écoles maternelles peuvent être considérés « à risque », ou « haut risque », et qui seraient les « racailles » de demain ? En fait, c’est toute la jeunesse du pays des droits de l’homme qui serait placée sous haute surveillance. Et, au premier rang des suspects, ceux qui ont l’audace d’avoir la peau bronzée.
L’œil attentif du policier devra négliger le fait qu’il se trouve au contact de ces enfants qu’il devrait protéger. Ces petits bonshommes, ces diablotins, voire ces galopins ou même ces petits polissons, ne sont certes pas des chérubins ou ces petits anges aux joues roses de Neuilly-sur-Seine, mais il est vrai que cette ville ne se situe pas dans l’aire géographique où se déroulent habituellement les opérations de maintien de l’ordre – là même où il n’est pas menacé.
Peu importent l’innocence et la puérilité des gamins de banlieue. Ce ne sont pas forcément des enfants sages, mais il est de bon ton de les considérer tels des ennemis publics en devenir. Nous devons être bien persuadés que, pour ceux qui sèment la haine, les suspects n’ont pas d’âge. Les policiers, fidèles à la consigne, n’ont pas d’état d’âme lorsqu’ils sont envoyés en mission contre des adolescents. Ceux-là ne font qu’obéir aux ordres – refrain connu. Il en va tout autrement des politiciens sans vergogne qui expliquent la nécessité de tenir sous haute surveillance tous ceux qu’il est possible de considérer comme dangereux dans les quartiers bourgeois, comme on disait au XIXe siècle.

Combattre dès leur jeune âge les possibles « partageux » !
Risquez-vous à endosser une défroque de loubard et allez traîner vos guêtres dans des lieux qui ne sont pas les vôtres. Vous pouvez provoquer le lourd regard d’un défenseur de l’ordre public. Surtout si vous n’êtes pas aussi blanc que le modèle obligé peut l’exiger. Le fait d’être jeune constituant peut-être une circonstance aggravante. Souvenons-nous de Gavroche, cette « racaille » sublime, devenant cible prioritaire d’une soldatesque avinée. Bien sûr, Les Misérables n’étaient qu’une fiction, mais Victor Hugo avait compris les motifs de rejet d’une société bien-pensante et nullement décidée à se livrer à la compassion.
Il faut être bien persuadé que le jeune âge ne peut constituer une excuse, et Nicolas Sarkozy ne s’y était pas trompé lorsqu’il éructait son ressentiment, en 2006, contre ces délinquants qu’il fallait surveiller activement dès l’âge de trois ans.
Lorsqu’un régime, ou un parti politique, se méfie de ceux qui sont censés représenter l’avenir d’un pays, il convient de s’inquiéter. Ce n’est, en effet, qu’une première étape, avant que l’ensemble des possibles « partageux » ne soit en mesure de contester le système répressif dont ils sont les victimes prioritaires. À la première alerte, les grands moyens sont mis en œuvre. D’abord pour tenter de calmer le jeu, ensuite pour frapper aussi fort que cela pourra s’avérer nécessaire.
Bien sûr, si l’effet d’annonce provoque des réactions, on expliquera au bon peuple qu’il ne s’agit que d’une piste à envisager, comme a tenté de l’expliquer, en bredouillant, Luc Chatel. Il sera toujours temps de passer aux travaux pratiques, et les geôles de la République ne sont pas faites pour des chiens. Juste pour y accueillir ceux qui s’évertuent à ne pas comprendre la règle du jeu sadomaso de la soumission. Ceux-là doivent être remis dans le droit chemin de la répression acceptée. Déjà, les centres fermés pour adolescents difficiles commencent à se multiplier, avant que ne renaissent ces bagnes d’enfants dont on pensait l’existence à jamais révolue…