Chronique néphrétique

mis en ligne le 20 octobre 2011
Pouvons-nous, voulons-nous jouer un rôle politique dans la période actuelle ? Quelles formes efficaces notre travail militant doit-il adopter ? « Efficaces » implique que nous obtenions des résultats probants, en nombre de militants, ou un réel impact politique. Ce n’est pas forcément la même chose. Car une organisation, un groupe peut multiplier ses partisans sans influencer pour autant la société… L’inverse est possible : le développement des forces militantes est réduit, mais les idées sont reprises… hors du cercle initial, parce qu’elles sont en phase avec les enjeux du moment. Parce que ces idées apparaissent disponibles, accessibles, de bon sens. Elles deviennent utiles, nécessaires à des individus puis à des masses qui n’ont pas connaissance de leur origine. C’est sans doute ce que nous devrions tenter de réaliser dans la période à venir.
Notre spécificité, c’est l’analyse critique des pouvoirs.
« Qui a pris cette décision ? Comment ? Pourquoi, pour quels intérêts ? » Ces questions sont récurrentes aujourd’hui en macroéconomie, au boulot, dans les syndicats, et nous concernent tous et toutes, du collectif à l’intime. Ces questions, les anarchistes doivent les poser. Sans relâche, continuellement. Elles sont la première étape d’une prise de conscience. Elles dévoilent les rouages économiques de nos si belles « démocraties ». Que l’on pense au Médiator, aux lobbys, aux parlementaires séduits et achetés… Représentants du peuple ?
Ces questions, lorsqu’elles deviennent un réflexe politique, permettent aussi de se diriger dans les périodes mouvementées, lorsque des hommes ou femmes providentiels se présentent, pas seulement aux suffrages mais aussi à la tête des mouvements sociaux, des luttes, pour mieux les détourner.
J’écrivais la semaine dernière que nos réponses peuvent venir après, pas d’emblée. Car souvent, ce sont elles qui empêchent d’accéder au raisonnement, par effet repoussoir, parce qu’elles semblent « utopiques ». Nous voulons l’autogestion ? Avant cela il faut bien qu’en nombres des gens se persuadent que les institutions actuelles, l’État, les choix économiques ne sont pas faits pour servir leurs intérêts. Si c’était évident, tout le monde en serait convaincu. S’il faut convaincre encore, c’est que le raisonnement est à faire ! Et nous devons l’accompagner ce raisonnement, par étapes, en nous appuyant sur les faits, l’actualité, les scandales qui pleuvent, qui suscitent de l’indignation. Mais l’indignation ne suffit pas, c’est de la révolte qu’il faut ! La révolte naît de la prise de conscience que les dés sont pipés, que les règles de la représentation politique sont mensongères, que les vies d’une majorité servent les intérêts d’une minorité. Et la révolte ne suffira pas, il faudra alors la volonté de s’emparer de la réalité, de la modifier, de bouleverser l’ordre actuel, de créer autre chose, de devenir responsable de sa vie. À ce stade de l’évolution des consciences, l’autogestion sera une évidence.
Pour accompagner ces étapes, il faut exister sur la scène politique, être visibles, lisibles, audibles. Nous avons des moyens à notre disposition : journal, sites, radio, éditions, affiches.
Mais ces moyens remplissent-ils leur fonction ? Qui touchons-nous ? Qui influençons-nous ? Les convaincus ? Tenterons-nous d’entrer en contact avec les 60 millions d’autres qui n’ont qu’une fausse et piètre idée de qui nous sommes ?
Pas besoin ici de proclamer notre anarchie, ce n’est pas notre étiquette qui compte, brandie comme une profession de foi, une frime narcissique ou une provocation adolescente. Pas besoin de l’afficher tels trophées ou médailles, l’important c’est de la faire vivre aux autres, et qu’ils l’appellent comme ils veulent ! L’important est qu’ils y prennent goût, ne puissent plus s’en passer tellement cela semblera évident que c’est ainsi qu’il faut fonctionner.
Dans les périodes de recul politique, lorsque l’audience est réduite, les organisations révolutionnaires ont tendance à se replier sur elles-mêmes. Pour sauver les bagages, les acquis idéologiques, pour conserver le capital de savoirs et d’expériences, on brandit le drapeau hors du courant pour éviter la noyade. Mais de la rive, on ne voit que le drapeau qui recule, et c’est risible.
Ces réflexes conservateurs ne doivent pas perdurer lorsque la période change, il s’agit désormais de dépasser notre sphère d’influence restreinte. Méfions-nous de nous-mêmes. De nos habitudes, de nos tics, de nos sempiternelles formules, de notre imagerie, de notre folklore, de notre vocabulaire, de nos slogans qui ne touchent personne. Si l’objectif est d’influencer le plus largement possible, il y a nécessité de réfléchir au contenu et à la forme de ce que nous transmettons pour s’assurer un réel impact.