Quand la police (s’)éclate

mis en ligne le 13 octobre 2011
C’est un bien triste anniversaire que l’on s’apprête à célébrer en ce mois d’octobre 2011, celui du massacre de plusieurs centaines d’Algériens par les forces de police françaises le 17 octobre 1961. Si, depuis, la France n’a pas à nouveau vécu pareille hécatombe, force est de constater que, cinquante ans après, la police continue à tuer et à baver (pour « bavure »…), et bien souvent dans la plus totale impunité. Orgueilleux dans leurs uniformes bleu-marine, épris d’un sentiment de toute puissance à l’idée de se savoir assermentés et armés, nombreux sont les flics qui, pendant leur service, donnent libre cours à leurs pulsions, engendrant, dans le meilleur des cas, insultes et mépris, et, dans le pire, tabassages en règle et assassinats.
Une récente affaire témoigne avec éloquence du mépris dont font bien souvent preuve ceux qui, d’après la loi, sont là pour nos protéger. Il s’agit de l’arrestation de deux jeunes filles de 14 ans qui tentèrent de voler deux vélos dans un jardin privatif. Malgré la volonté du propriétaire de ne déposer aucune plainte, les flics décidèrent de placer en garde à vue les deux jeunes filles. Après une fouille particulièrement minutieuse (qui vit l’une des deux filles se faire enlever avec acharnement son piercing nasal), elles sont interrogées et soumises à un prélèvement ADN pour être fichées dans le Fnaeg. Lorsque l’une d’elles ose élever la voix pour dénoncer cette attitude démesurée à l’égard du petit « délit » commis, voici ce que les flics lui auraient répondu d’après le procès-verbal dressé : « Expliquons à la demoiselle qu’un tel comportement ne pouvait lui être que préjudiciable et qu’elle mériterait une bonne paire de baffes et un bon coup de pied au cul eu égard à l’attitude qu’elle adoptait vis-à-vis de toute autorité qui lui était imposée 1
Rappelons aussi, à tout égard, la mise en garde à vue, le lundi 19 septembre, de quatre lycéens pour avoir mangé un sandwich sur le parvis de la cathédrale de Nancy et, surtout, pour avoir refusé de reconnaître les faits devant les policiers qui leur dressaient, à chacun, une amende de 22 euros. Quand on détient l’autorité légale, on ne se sent visiblement plus péter, et on ne saurait tolérer qu’un vulgaire môme conteste une amende donnée pour avoir mangé devant une foutue église…
Quant à la dernière intervention policière ayant entraîné la mort d’un interpellé, elle n’est pas si vieille. Elle remonte seulement au jeudi 22 septembre lorsqu’un homme de 48 ans, autiste, est mort d’une crise cardiaque, à Marseille, pendant que les flics le maîtrisaient à l’aide de « gestes techniques » qui, d’après le parquet, étaient peut-être inappropriés (d’où l’ouverture d’une enquête confiée à l’IGPN, organisme dont on connaît bien souvent les conclusions). Avec un jeune homme de 21 ans – mort le 1er janvier en Seine-et-Marne d’une balle dans l’abdomen – et un autre de 20 ans – mort le 23 février à Lyon après avoir pris deux balles –, c’est la troisième personne qui meurt lors de son interpellation en 2011. Au total, depuis 2007, c’est 51 personnes qui ont été assassinées par la police en France (19 en 2007 ; 11 en 2008 ; 10 en 2009 ; 9 en 2010 et 3 – pour l’instant – en 2011).
Autrement, pendant que ses flics méprisent, insultent, tabassent et tuent les citoyens, leur grand manitou – j’ai nommé Claude Guéant, ministre de l’Intérieur – s’indigne de l’existence d’un (super) site Internet de surveillance de flics : Copwatch Nord-Paris IDF (https://copwatchnord-idf.org/ 2). Comme son nom l’indique, ce site vise à surveiller les flics en les filmant ou en les prenant en photo, aussi bien pour apporter des preuves des bavures que pour identifier ceux qui se cachent sous des habits « civils ». Claude Guéant, irrité de voir ses chers surveillants surveillés, considère que cette base d’informations porte « gravement atteinte à l’honneur et à la réputation de fonctionnaires de police et de militaires de la gendarmerie ». T’égosille pas, mon vieux, ça fait des lustres que ta police est souillée par le sang qu’elle a fait couler et les bleus qu’elle a laissés sur les visages tuméfiés de ceux qu’elle a tabassés.




1. Rue89, le 3 octobre 2011.
2. L'accès au site a été interdit par décision du tribunal de grande instance de Paris peu après la parution de cet article.