Un gadget de destruction massive

mis en ligne le 6 octobre 2011
Il y a beaucoup de raisons d’acheter La Tyrannie technologique, critique de la société numérique, même s’il couvre une large part de ce que l’on trouve dans Cybermonde, la politique du pire de Paul Virilio, ou du numéro 10 de Réfractions sur Internet et l’anarchisme.
L’une des meilleures est l’excellent chapitre sur « le gadget de destruction massive », le téléphone portable bien sûr.
Brillamment écrit par « Pièces et main d’œuvre » (sic), ce chapitre a pour sous-titre « pourquoi il n’y a plus de gorilles dans le Grésivaudan ». Ce qui surprendra les fins géographes, puisque le Grésivaudan, vallée savoyarde, n’est pas renommé pour ses populations de gorilles, à moins que la police n’y recrute beaucoup. En revanche ses vergers, ses vignes et son charme enchantaient habitants et visiteurs. Plus maintenant, grâce à Crolles : « Le village de Crolles, à 20 km de Grenoble, a aujourd’hui des allures de zone commerciale américaine – môles commerçants, publicités criardes, bretelles d’autoroute, parkings et lotissements. » Car Crolles, cœur de la Silicon Valley française, accueille « l’Alliance » une unité de production de portables pour, entre autres, Philips et Motorola.
Afin de fabriquer les puces de ces mouchards de poche que sont les portables, il faut, pour 2 grammes de puce, « 1,7 kg d’énergie fossile, 1 mètre cube d’azote, 72 grammes de produits chimiques et 32 litres d’eau. Par comparaison, il faut 1,5 tonne d’énergie fossile pour construire une voiture de 750 kg. Soit un ratio de 2 pour 1, alors qu’il est de 630 pour 1 pour la puce. »
« Crolles II, site Seveso, consomme des produits toxiques comme la phosphine (hydrogène phosphoré), le thilane et l’arsine (hydrogène et arsenic) : “des gaz de combat” se vantait un salarié lors d’une visite publique. Les riverains, eux, murmurent que les enfants développent des pathologies inhabituelles et que l’eau des chantournes est saturée de pollution ». Or, on sait très bien ce qui attend Crolles, parce qu’on sait très bien ce qui est arrivé à Silicon Valley. « Depuis 1956 et la première usine d’IBM, la nappe phréatique a été contaminée par une multitude de rejets de xylène, toluène, trichloroéthane chloré, etc. […] Conséquences : 2,5 à 3 fois plus de fausses couches parmi les femmes enceintes ayant bu cette eau, d’après l’étude du service de santé de l’État au milieu des années quatre-vingt […] ».
Et lisez la liste des dangers auxquels on s’expose dans les « salles blanches » des producteurs de silicium pour puces : « Exposition des travailleurs à l’arsenic dans la production de gallium-arsenide, aux acides aérosols en lithographie, aux gaz toxiques arsine et boron. […] Cas de brûlures à l’acide hydrofluorique, des expositions aux solvants corrosifs, à des composants photo-actifs non testés. […] Cas d’exposition au mercure, aux feux de produits chimiques “relativement fréquents” dans les cuves de stockage […] » etc.
Bon, mais les gorilles qui ne sont pas, nous pouvons le confirmer, des habitants du Grésivaudan ?
Eh bien, un portable a besoin de « coltan » pour ses condensateurs. Les plus grands gisements de coltan sont au Congo. « Comme les diamants, le coltan a été au centre d’une guerre pour le contrôle des ressources qui a tué plus de 3,5 millions de personnes dans sept pays depuis 1998. » Faisons une petite pause : combien de pages de couvertures pour ce joli massacre ? Combien de sujets dans les journaux télévisés de TFBouygues ? Combien de Marines américains pour sauver des vies de Congolais ? Combien de sacs de riz portés par Bernard Kouchner pour venir en aide aux populations ? Reprenons : « Au Congo, de nombreux enfants sont retirés de l’école pour travailler dans les mines de coltan. »
Vous voulez peut-être savoir ce qui arrive à votre portable une fois qu’il est jeté ?
« Métaux lourds, cadmium, mercure et plomb en grande quantité : 40 % du plomb trouvé dans les décharges provient de l’électronique de consommation. Les rebuts électroniques et électriques sont pour l’essentiel incinérés avec les déchets ménagers et provoquent ainsi d’importantes émissions de dioxine. […] Quelques mois suffisent pour qu’un téléphone mobile dernier cri et un ordinateur ultra-performant se métamorphosent en bombes à retardement pour l’environnement. »
Vous n’êtes pas sans savoir qu’avec la technologie GPS, vos amis, c’est-à-dire la police, les RG, le système Échelon (les écoutes électroniques américaines) etc. peuvent vous suivre à la trace si vous utilisez un portable. Mais saviez-vous aussi qu’il existe des portables espions ? « Cela signifie que votre gadget préféré joue le rôle de micro dans votre poche, transmettant à distance les conversations alentour. Pour ceux qui voudraient jouer les mouchards, le téléphone espion [une version appelée spy phone] est maintenant à la portée de tous. Basé sur les toutes dernières technologies GSM, son usage est extrêmement simple : insérez une carte à puce GSM et “oubliez-le” quelque part (table, tiroir, boîte à gants, etc.) appelez-le et écoutez. Ce n’est pas plus compliqué. Il paraît déconnecté et éteint. Toutefois, il est tout à fait opérationnel et se comporte comme un micro-émetteur extrêmement sensible. »