Prud’hommes

mis en ligne le 22 septembre 2011
Ce qui frappe dans la mise en scène de ce documentaire, c’est la prévalence de la dimension théâtrale de tout procès, au moins de toute comparution.
Cette théâtralité éclate dans l’attitude du juge – qu’il soit autoritaire ou conciliant – et surtout dans celle des avocats redoublant de politesses et flatteries les uns avec les autres ; elle contraste fortement avec la crudité de la situation des plaignants, victimes de conditions de travail exécrables, de harcèlement, de licenciement abusif. L’état d’urgence dans lequel ils se trouvent étant exposé avec insistance par un des avocats, à une représentante de l’entreprise qui refuse d’y croire.
Diverses formes d’abus sont abordées selon un montage savant, qui opère par recroisement des affaires et des destins – chaque séance au tribunal étant précédée d’un dialogue avec le responsable syndical ou l’avocat.
Dominent les cas d’emplois précaires, attribués à des Maghrébins ou à des Africaines, ou à de presque adolescents. La plus âgée est une Polonaise qui, comme l’une des Africaines, déplore sa piètre connaissance de la langue française qui redouble sa vulnérabilité.
On est ému par le mélange d’intelligence, de lucidité et la détresse de ces ouvriers et employés – les femmes, pleines de résolution, finissant par fondre en larmes. Hormis l’une, dressant implacablement, dans un langage de sociologue, le tableau de l’exploitation moderne dont elle est victime, où le temps de travail coïncide désormais avec celui de l’existence entière, déréglant celle-ci.
Est totalement absent l’humour qui caractérisait par exemple 10e Chambre. Instants d’audience de Raymond Depardon – humour lié aux angles de prise de vue qui, là, sont assez répétitifs, et surtout à la complexité, et du coup à la richesse d’observation des « cas » de délinquance. Dans ces comparutions aux prud’hommes rien n’est clairement réparti : délit d’une part et jugement de l’autre, puisque l’enjeu de la confrontation est précisément de déterminer qui est la victime et qui le coupable – le bon et le méchant, comme dit un avocat.
Une bande-son intéressante, avec des passages abstraits de conversations feutrées s’entrecroisant derrière les portes closes, et une musique discrète sans dramatisation.
Les images de ces portes alternent avec la vision des couloirs, des murs aux fresques militantes, des statues dont celle de Guillaume Tell, rythmée par le plan d’ensemble du majestueux palais de justice de Lausanne et créant une impression de secret, de gravité, à la limite de l’étouffement.
Les issues sont diverses. Certains salariés abandonnent, d’autres gagnent, la plupart transigent. La familiarité qui s’établit tout au long du film entre les spectateurs et ces femmes et ces hommes malmenés se heurtant avec brutalité, à des « verdicts » insatisfaisants qui ne remettent pas vraiment en question l’ordre dominant.




*. Prudhommes de Stéphane Goël (Suisse 2010)