Entretien avec le chanteur Hubert-Félix Thiéfaine

mis en ligne le 12 octobre 1978
Le Monde libertaire : Quelles difficultés rencontres-tu ?

Thiéfaine – Quand tu n'as pas de disque, tu es le mec qui fait la manche. J'ai des paies correctes depuis mon disque. Pendant quatre ans, j'ai été à Paris, au « Pétrin ». Le « Pétrin » était autogéré. Je ne gagnais que vingt à trente francs par soirée. Le pétrin a subi les mêmes expulsions que les habitants de la rue Mouffetard. Je suis revenu dans la région.

Le Monde libertaire : Que penses-tu des chanteurs régionalistes ?

H.-F. T. : Je ne suis pas un chanteur régionaliste. J'ai fait des prospections en Bretagne sans pouvoir décrocher un seul contrat, parce que je n'étais pas Breton. C'était systématique. Le mouvement occitan est celui qui me semble aller le plus loin, qui ne reste pas bloqué dans le régionalisme écologie-folk.

Le Monde libertaire : Pourquoi chantes-tu ?

H.-F. T. : Je pense que c'est un phénomène bien intime. Quand je chante, ce n'est pas mon égo, c'est-à-dire que ce que je dis, beaucoup de gens pourraient le dire aussi. J'ai peu de chansons autobiographiques, quand je dis « je » c'est pour être plus direct, j'en prends la responsabilité. Je suis profondément individualiste. La meilleure façon de vivre socialement, c'est de s'assumer, en tant qu'individu. Le jour où tout le monde s'assumera, ça ira beaucoup mieux.

Le Monde libertaire : Que représente pour toi le militant ?

H.-F. T. : Je pense qu'il faut avoir un certain recul face à une situation et souvent j'ai l'impression qu'il ne l'a pas. Je n'aime pas la spécialisation et le type qui ne peut parler que d'écologie ou de Trotsky, c'est pauvre. Et puis souvent tu n'es pas en face d'un individu, mais en face d'un bouquin de théorie qui ne dit jamais « moi » ou « je ». Quand tu rentres dans un parti, je crois que tu es profondément coincé et que tu as envie de t'apprendre des réponses par cœur pour te faciliter la vie, parce que c'est épuisant de toujours se remettre en cause.

Le Monde libertaire : Que penses-tu de la relation acteur-spectateur ?

H.-F. T. : Je te répondrai par trois citations de Morrison tirées de son bouquin « Seigneurs et nouvelles créatures » :
« Nous nous sommes métamorphosés d'un corps fou dansant sur les collines en une paire d'yeux fixant le noir ».
« Les spectateurs sont des vampires tranquilles ».
« Le spectateur est un animal mourrant ».

Le Monde libertaire : Quelles sont tes relations avec les artistes ?

H.-F. T. : J'en ai très peu. Je préfère avoir des relations avec d'autres gens. Un artiste ne m'apprend pas grand-chose et puis ce sont souvent des gens super-chiants et cons dans la vie. Dès qu'ils passent une demi-heure dans un cabaret, ils se prennent pour des dieux. La mégalomanie, ça me fait chier.

Le Monde libertaire : Ta façon d'aborder les problèmes amoureux dans tes chansons n'est pas toujours bien comprise. Que penses-tu de ces problèmes ?

H.-F. T. : Ces histoires d'amour et de sexe, pour moi, c'est vraiment superficiel, parce que je suis persuadé que c'est un problème de communications, un problème de gens qui, dans cette société, se trouvent écorchés.

Le Monde libertaire : Le thème du rêve ressort de tes chansons. Que représente pour toi le rêve ?

H.-F. T. : Pour moi, il n'y a pas le rêve d'un côté et la réalité de l'autre. Ceux qui prétendent être des rêveurs ou des réalistes me font chier. Tout cela se mêle.


Propos recueillis par le groupe Proudhon (Besançon)