Kees Van Dongen

mis en ligne le 16 juin 2011
1640VanDongenElles sont hautes en couleur, massives et plantureuses, les femmes peintes par Van Dongen.
Souvent, leur corps s’élance sur toute la hauteur de la toile et le sommet du crâne est écrasé par le cadre. Visages aux immenses yeux cernés d’un épais khôl noir, lèvres rouge vif, pulpeuses, sensuelles. Attention portée aux accessoires : chapeaux, bijoux, étoffes, chaussures, comme autant de prétextes pour jouer avec les couleurs…
Il les peindra toujours, toujours fasciné, toujours attiré, jusqu’à la fin, envers et contre tout. Libre, indépendant, il suit son chemin, résolument figuratif, face à la décomposition cubiste du monde orchestrée par Braque et Picasso, et ignorant l’éviction du réel que constitue l’abstraction.
L’exposition du Musée d’art moderne cible les périodes qui vont de 1895 à 1931, comme autant d’étapes à la fois artistiques et sociales, franchies par le peintre néerlandais, né le 26 janvier 1877 dans un faubourg de Rotterdam.
Les débuts de Kees Van Dongen sont anarchistes : il travaille très tôt dans la malterie de son père tout en suivant les cours du soir de dessin graphique à l’Académie des beaux-arts et des sciences de la ville. En 1895, il quitte la maison familiale pour rejoindre un cercle artistique de Rotterdam et lit les œuvres de Ferdinand Domela Nieuwenhuis, puis ceux de Kropotkine dont il illustre avec Jan Krulder l’édition hollandaise de L’Anarchie.
Après s’être fait dispenser du service militaire, Van Dongen arrive à Paris en 1897 où il commence un travail d’illustrateur pour différentes revues. Il découvre avec enthousiasme les œuvres de Steinlen et réalise des dessins et aquarelles où transparaissent ses préoccupations sociales : scènes de rue, ouvrières quittant l’usine, chevaux fatigués tirant de lourdes charrettes.
Ses rencontres avec Felix Fénéon en 1899, puis Maximilien Luce en 1902 vont s’avérer déterminantes sur les plans à la fois politique et artistique. En 1901, Fénéon lui confie la réalisation totale du numéro de L’Assiette au beurre paru le 26 octobre, intitulé ironiquement : Petite histoire pour petits et grands nenfants. Il s’agit en fait de l’histoire d’une mère et de sa fille condamnées l’une comme l’autre à se prostituer.
Fénéon va publier également quatre de ses dessins dans La Revue blanche.
En 1904, Kees Van Dongen expose pour la première fois au Salon des indépendants, puis connaît sa première exposition personnelle chez Vollard où il montre des vues de Montmartre, des gens du cirque, des moulins… Cette année-là, il rencontre aussi les futurs « fauves » : Maurice de Vlaminck et Henri Matisse.
Proche du mouvement littéraire « naturisme » prôné par Maurice Leblond et Saint-Georges de Bouhélier, Van Dongen critique l’hermétisme élitiste du symbolisme et souhaite faire de la « vie » le sujet principal de ses tableaux. Conformément à l’idéal anarchiste, il pense que l’art doit cesser d’être un luxe pour privilégiés afin de devenir une source d’épanouissement accessible à tous et toutes.
C’est l’époque où beaucoup d’artistes se tournent vers l’art dit « primitif » ou « sauvage » car il leur apparaît comme l’expression d’une créativité spontanée, libre et sans entraves.
De même, le néo-impressionnisme mis au point par Seurat et Signac semble être la forme esthétique qui correspond le mieux à cet idéal. Comme bon nombre de ses contemporains, Van Dongen découvrira vraiment la force de la couleur grâce à la touche juxtaposée et pavimentée de Signac. Les tableaux présentés dans cette exposition comme Le Boniment ou Le Manège des cochons en témoignent. Les sujets sont ceux du cirque, des fêtes foraines, des divertissements populaires. Les couleurs explosent et se juxtaposent jusqu’à gêner la lisibilité de l’œuvre.
En 1905, Kees Van Dongen s’installe au Bateau-Lavoir, peut-être invité par Picasso qui le surnomme le « Kropotkine du bateau-lavoir ». Les deux artistes sont amis et partagent le même modèle : Fernande Olivier, dont Van Dongen fera le portrait à plusieurs reprises dans un style fauve d’une énergie flamboyante.
Très vite, la peinture de Van Dongen sera reconnue par la critique et par le public averti. Il va vendre ses toiles et s’enrichir. Plusieurs expositions chez Vollard, chez Bernheim-Jeune ou chez Berthe Weil, ainsi que sa participation régulière au Salon d’automne et aux Indépendants, vont lui assurer succès et notoriété. Ses œuvres, toujours figuratives et intensément colorées, restent sans doute plus faciles d’accès au sein de l’avant-garde, cette avant-garde dont il va peu à peu s’éloigner.
Van Dongen va quitter le Bateau-Lavoir dès 1907 pour s’installer dans un nouvel atelier rue Lamarck, puis, en 1908, rue Saulnier, dans le IXe arrondissement, juste à côté des Folies- Bergère.
Très bon danseur lui-même, il aimera peindre les danseuses et chanteuses de cabaret, l’atmosphère nocturne des bars parisiens ; il sera l’un des premiers à utiliser la lumière électrique pour « chauffer » les couleurs. Les sujets de ses tableaux évoluent : il peint les vedettes du « Paris by night », des nus intensément sensuels, une peinture totalement décomplexée, assumant sa charge de fantasmes et de désirs, ce qui lui vaudra d’être qualifié de « peintre des lupanars » par Salmon en 1912. Mais Van Dongen assume ; il dira : « Vous êtes pudiques, mais je vous dis que les sexes sont des organes aussi amusants que les cerveaux, et si le sexe se trouvait dans la figure, où serait la pudeur ? »
La femme reste le thème central de son œuvre, à la fois fatale et proie du désir masculin. On pourrait même dire que Van Dongen, c’est une peinture « qui bande ».
Au Salon d’automne de 1913, son tableau intitulé Le Châle espagnol ou tout simplement Tableau sera retiré de l’exposition sur l’ordre du secrétaire d'État aux Beaux-Arts.
Peint au moment de sa rupture avec sa première femme, Guus, mère de sa fille Dolly, cette dernière expliquera que l’homme agenouillé dans le coin droit de cette composition est l’artiste lui-même implorant l’amour de sa femme… Il y a en outre une mise en scène théâtrale très décorative, ici, par ce châle qui s’ouvre comme un rideau sur un corps nu, pubis noir, éclatant au cœur de l’œuvre, et jambes gainées. La tête est comme accessoire, reléguée dans l’ombre du décor au sommet du tableau.
Van Dongen restera à Paris durant la Première Guerre mondiale. Sa femme et sa fille sont en Hollande. Il va bientôt faire la connaissance d’une jeune femme mannequin, Léa Jacob, dite « Jasmy ». La vente de ses toiles lui permet de s’installer dans une imposante maison près du bois de Boulogne. Montmartre est loin… L’ex-anarchiste évolue désormais dans le milieu cossu et mondain de ses acheteurs. Il fréquente assidûment le couturier Poiret, organise des fêtes luxueuses et peint pour ces « privilégiés » qu’il a jadis dénoncés…
Vlaminck dira : « Il a été l’historiographe de tout le dévergondage cynique d’après la victoire. »
Un reste d’indépendance artistique s’exprimera pourtant encore en 1921 avec son portrait d’Anatole France qui scandalisera tout le monde sauf le principal intéressé : portrait sans déférence aucune, ni allusion à l’œuvre littéraire, montrant l’écrivain vieilli et fragile, le regard vide. Cela n’empêchera pas le peintre de recevoir et d’accepter par deux fois la Légion d’honneur…
Il terminera sa carrière fidèle à la figuration en peignant des portraits de « stars », par exemple celui de Brigitte Bardot en 1954. Il mourra riche et célèbre le 28 mai 1968, bien loin du mouvement social qui vient de secouer l’Hexagone…
Demeure sa peinture, dont les étapes les plus significatives sont effectivement celles que présente l’exposition actuelle du Musée d’art moderne jusqu’au 17 juillet 2011.

Yolaine Guignat, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


71501Cazin

le 24 juin 2011
Ceci dit, Van Dongen a participé, pendant la guerre de 39-45, à un voyage d'artistes en Allemagne très orienté sur les intellectuels collabos. Anarchiste au départ, mais, non content d'abandonner ses critiques à l'égard de la société bourgeoise, il a quand même flirté avec le régime de Vichy.

maurice imbert

le 15 octobre 2011
Pourriez-vous me dire, s'il vous plait, où avez vous trouvé cette information: " En 1901, Fénéon lui confie la réalisation totale du numéro de L’Assiette au beurre paru le 26 octobre, intitulé ironiquement : Petite histoire pour petits et grands nenfants. " Je m'intéresse particulièrement à Fénéon et cette chose m'avait tout à fait échappée.
Merci

Yolaine

le 16 octobre 2011
La collaboration de Van Dongen au N°30 de "L'assiette au beurre" est attestée dans tous les documents le concernant et si le ML avait retenu mes illustrations à l'article ad hoc, la couverture de ce numéro, illustrée par le peintre, en faisait partie. C'est facilement vérifiable.

Quant au voyage de Van Dongen avec les collabos vichyssois, il est tout aussi réel, tout comme Vlaminck, et sans doute aurais-je du le mentionner...Mais dans les années 1940, il y a longtemps que Van Dongen avait oublié sa jeunesse anarchiste. Ce que j'ai écrit.

Ce sont deux exemples qui prouvent qu'il ne suffit pas d'être anarchistes à un moment donné et que le plus difficile, c'est sans doute de le rester.

Yolaine Guignat membre du groupe P. Besnard de la FA depuis 1987.