Quel pouvoir veut-on abolir ? Les mots ont des sens, écoutons-les…

mis en ligne le 9 juin 2011
Quand on se fait chier, des fois, on ouvre un dico, n’importe lequel. C’est ce qui m’est arrivé la dernière fois, et je suis tombé sur ce fameux mot de « pouvoir ». Comme je pouvais m’y attendre, j’y ai lu « puissance », « autorité », « influence exercée sur quelqu’un » et « avoir l’autorisation ». Mais, à bien y regarder, j’y ai aussi lu « possibilité », « capacité », « avoir la faculté de faire quelque chose », « oser », « avoir l’audace », « être possible ». Si les premières définitions données renvoient au principe de domination, c’est-à-dire à l’idée qu’un individu investi du pouvoir est un individu au-dessus des autres, qui les soumet, qui limite – s’il le souhaite – leur liberté, les secondes relèvent, quant à elles, du registre de l’action, du « faire », de la possibilité, de la construction, de la création, de l’art. Si les premières s’inscrivent dans l’idée du commandement des hommes par des hommes, les secondes appartiennent à l’idée de capacité d’agir sur son environnement, de créer, de gérer. Si les premières renvoient à l’autoritaire, les secondes appellent plutôt la liberté.
Dès lors, fort de ces quelques lumières lexicales, peut-on toujours avancer – sans paraître absurde – que l’anarchisme tend à abolir le pouvoir ? Ne devrait-on pas plutôt parler d’abolition de la domination, c’est-àdire du pouvoir transformé en instrument de soumission d’autrui ? L’anarchisme lutte-t-il à détruire le pouvoir entendu comme « faculté de faire quelque chose »? L’anarchisme serait-il le néant, la négation de tout, y compris de l’action humaine sur son environnement naturel et social ? L’anarchisme serait-il, en fait, un nihilisme ?
Bien sûr que non, et grand mal en fasse aux bourgeois. Il est, au contraire, porteur d’un véritable projet global de société. Il est créateur, constructeur, bâtisseur, capable, actif, mouvant, vivant. L’anarchisme agit, il peut, il est un pouvoir. Le pouvoir d’avoir sa propre vie entre ses propres mains. Mais un pouvoir construit de sorte qu’une personne l’investissant ne puisse soumettre autrui, s’imposer, se hisser « au-dessus » de la base sociale, dominer. Un pouvoir qui fait que celui qui fait, qui agit, qui est capable n’est jamais supérieur aux autres. Un pouvoir qui s’épanouit dans le cadre d’un contrôle permanent assuré par des principes et des structures formels. Un pouvoir qui nie la domination, un pouvoir qui nie le commandement, un pouvoir anarchiste. Mais, au fond, et je vous l’accorde très volontiers, tout cela n’est qu’une question de langage, une réflexion qui ne pourrait être traduite en anglais, langue qui, contrairement à la nôtre, dissocie, dans son vocabulaire, le pouvoir de faire de cette odieuse idée d’autorité et de domination…