Un spray qui inspire confiance…

mis en ligne le 2 juin 2011
Comment imaginer des molécules derrière les comportements ? Les relations sociales sont d’une telle complexité qu’il est difficile de croire qu’une molécule explique à elle seule des comportements humains. Mais il n’empêche, ces recherches sont troublantes. Voici une brève plongée dans la chimie du social.
À l’inverse de la vasopressine, qui induit une réaction de fuite ou de lutte, l’ocytocine induit un comportement de calme et de contact social. Ce sont des molécules antagonistes toutes deux très utiles pour notre survie. Nous naviguons en société grâce (entre autres) à un équilibre subtil entre ces deux hormones.
En 2005, on a découvert que l’ocytocine influençait le sentiment de confiance. Une équipe de chercheurs suisses et américains a administré des doses d’ocytocine à un groupe test (et un placebo à un autre) par pulvérisation nasale à des étudiants 50 minutes avant de les faire jouer à deux jeux économiques, l’un qui mesure la prise de risque et l’autre qui mesure la confiance 1. Résultat, la molécule augmente les montants d’investissement des sujets envers un partenaire inconnu. On constate en effet une augmentation des chances de faire le premier pas, de l’optimisme face à une situation incertaine, bref de la confiance. Et celle-ci n’est pas liée à la propension à prendre des risques, il s’agit ici uniquement de confiance.
Or, la confiance est le ciment de tout sentiment d’amitié, d’amour, de relation familiale ou même de tout système économique, social et politique. Enlevez la confiance et tout s’effondre. D’ailleurs, même si l’ocytocine est commune à tous les mammifères, les humains figurent parmi les espèces qui font le plus confiance à des inconnus, ce qui explique en partie leur capacité à coopérer spontanément à large échelle et à construire de si grandes sociétés.
En poursuivant la piste de l’ocytocine, on s’est aperçu en 2007 que l’hormone augmentait aussi la générosité chez l’humain 2, et en 2008 qu’elle augmentait la tendance à regarder vers la région faciale où se trouvent les yeux, ce qui favoriserait le contact social 3.
On pense immédiatement aux applications de cette hormone pour les personnes souffrant d’autisme ou de phobie sociale, mais on ne peut non plus s’empêcher de penser aux usages que certains pourraient faire lors de meetings politiques, par exemple, en diffusant cette substance dans une salle comble…
Certaines entreprises commercialisent déjà l’ocytocine en invoquant ces études. Et même si l’efficacité de ces pulvérisations commerciales est douteuse, ces recherches ouvrent la possibilité de trouver des produits qui pourraient être utilisés pour manipuler les émotions dans un contexte militaire.
L’anxiété de l’égoïste
En 2008, deux études en neurosciences précisent le rôle de l’ocytocine. Dans la première, on fait jouer un groupe « ocytocine » et un groupe « placebo » à des jeux économiques assez désagréables, où les sujets sont arnaqués à chaque partie 4. Comme il se doit, la confiance des sujets « placebo » chute, mais les sujets « ocytocine » renouvellent leur confiance envers un potentiel arnaqueur ! Cette différence est expliquée par une inhibition de la région du cerveau qui traite la peur (amygdale et mésencéphale) et de celle qui permet d’adapter nos comportements aux informations reçues (striatum dorsal). L’ocytocine diminue non seulement la peur de la trahison mais associe le contact social au plaisir en activant le centre nerveux de la récompense.
La deuxième étude va dans le même sens et suggère que les comportements économiques « égoïstes » de méfiance ne seraient donc pas une conséquence d’un comportement froid et rationnel, comme on aurait tendance à le penser (le fameux homo œconomicus), mais naîtrait d’un sentiment d’anxiété 5. L’égoïsme par sentiment et non par raison économique… Une hypothèse à creuser.
Le côté obscur
C’est en 2010 qu’on découvre le côté obscur de l’ocytocine. Son administration lors de jeux économiques encourage la confiance et la coopération entre les sujets d’un même groupe… au détriment des autres groupes. Dans une moindre mesure, elle favorise la compétition « défensive » (c’est-à-dire la non-coopération) avec les autres groupes. L’effet est d’autant plus marqué que le niveau de peur de l’autre groupe est élevé 6.
En janvier dernier, la même équipe va plus loin et montre que l’hormone favorise carrément l’« ethnocentrisme », cette tendance à voir son propre groupe comme central et supérieur aux autres 7. Une expérience mettant en scène un groupe de Hollandais confrontés à des situations de choix moraux ou émotionnels impliquant des noms hollandais, arabes et allemands, a montré la capacité de l’ocytocine à favoriser son propre groupe ethnique, quelle que soit l’origine des autres groupes.
Ces deux derniers travaux remettent donc en question la réputation sympathique de l’ocytocine comme « drogue de l’amour » ou « pilule du câlin ». La molécule motiverait le protectionnisme, renforcerait la tendance à protéger « son » groupe. Toute la question est de savoir ce que chacun considère comme « son » groupe ! Les identités sont variables et multidimensionnelles. Mais voilà un lien intéressant que nous pouvons faire avec les études sur la formation de l’identité, qu’elle soit religieuse, nationale, politique ou sportive. Encore une fois, affaire à suivre…





1. Kosfeld M. et al., « Oxytocin increases trust in humans », Nature n°435, 2005, p 673-676.
2. Zak P.J. et al., « Oxytocin Increases Generosity in Humans », Plos One n°11, 2007, p e1128.
3. Guastella A.J. et al., « Oxytocin increases gaze to the eye region of human faces », Biol. Psychiatry n°63, 2008, p. 3-5.
4. Baumgartner T. et al., « Oxytocin Shapes the Neural Circuitry of Trust and Trust Adaptation in Humans », Nature n°58, 2008, p 639-650.
5. Singer T. et al., « Effects of Oxytocin and Prosocial Behavior on Brain Responses to Direct and Vicariously Experienced Pain », Emotion n°8, 2008, p. 781-791.
6. De Dreu C.K.W. et al., « The Neuropeptide Oxytocin Regulates Parochial Altruism in Intergroup Conflict Among Humans », Science n°328, 2010, p. 1408-1411.
7. De Dreu C.K.W. et al., « Oxytocin promotes human ethnocentrism », PNAS n°108, 2011, p. 1262-1266.