Tous en salles ! Nouvelles cinématographiques

mis en ligne le 12 mai 2011
Je veux seulement que vous m’aimiez de Rainer Werner Fassbinder
Fassbinder disait : « Ce qui fait notre force, c’est la région de nos origines. » La Bavière, pays de Fassbinder, Herzog, Achternbusch et de bien d’autres. La Bavière, l’Allemagne profonde et l’Allemagne du miracle économique.
Je veux seulement que vous m’aimiez est un brûlot contre l’aliénation familiale et l’exploitation de l’ouvrier, ici le fils de la famille petite-bourgeoise, car le fils et l’ouvrier ne font qu’un. Peter, le fils maçon, construit une maison de ses mains. Pour montrer et faire comprendre tout cela, il faut à Fassbinder deux séquences : un homme en prison raconte son histoire à une femme qui lui rend visite. Ce n’est pas la psy de la prison, non, c’est la célèbre sociologue Erika Runge en personne qui l’interroge. Elle avait publié les protocoles de ses entretiens. Fassbinder avait retenu un cas, frappé par la démonstration implacable de ce en quoi la folie économique des pères brise les fils et crée une folie intime qui ronge les êtres, finit par les détruire et peut les faire basculer dans le crime. Seconde séquence : nous voyons un homme édifier un mur, s’acharner du matin au soir. Un couple vient le voir pour constater l’avancée des travaux. Mais on met du temps à comprendre que ce sont ses propres parents qui viennent inspecter les travaux (ou l’inspecter lui). Ils sont parés de tous les signes de la réussite bourgeoise : fourrure pour la mère, chapeau et costume de ville pour le père, faible et incapable de compenser la dureté de sa femme envers son fils qu’il aime bien, après tout. Des parents monstrueux d’égoïsme qui déshéritent leur fils en une phrase et ne donnent rien quand le fils et sa jeune épouse partent, par bravade, s’installer à Munich. Sur le chantier où il travaille, la hiérarchie dans le travail, la pyramide de l’exploitation est une répétition de ce qu’il a connu dans sa famille. Incapable de voir les perches tendues par un collègue qui plaide sa cause auprès du patron ou l’aide proposée par la grand-mère, le jeune couple s’enfonce dans une détresse que rien ni personne ne pourra arrêter. Peter (Vitus Zeplichal) et Erika (Elke Aberle) vont s’endetter. Peter va travailler comme un forcené, mais ils n’arriveront pas à rembourser. Peter va s’enliser dans l’impossibilité de dire ce qui le tourmente et perdre petit à petit le sens de la réalité. Fassbinder donne à toutes les figures paternelles du film les traits de son père (le bistrotier, etc.), créant le doute dans l’esprit du spectateur. Ce flou est l’effet de miroir de la destruction du sens de la réalité du personnage principal. Peter, un bon fils, un bon ouvrier, un être généreux, va être broyé par une société basée sur le profit. Un des meilleurs films de Fassbinder. Âpre et sans compromis, ce film poignant et implacable a la force du Marchand des quatre saisons et de Tous les autres s’appellent Ali. À voir absolument (sortie le 20 avril).

Women Without Men de Shirin Neshat
Shirin Neshat est Iranienne, exilée aux États-Unis où elle vit depuis un certain nombre d’années. Vidéaste, artiste plasticienne et photographe, son montage photo où des femmes recouvertes d’un tchador, marchant sur une plage vers la mer, a fait le tour du monde. Filmées de dos, elles ressemblent à de noirs oiseaux de malheur. Shirin Neshat écrivait à l’époque que son propos n’était pas de dénoncer la femme iranienne qui porte le tchador, mais qu’elle essayait de rendre compte de cette société iranienne multiple, elle voulait la décrire avec ses moyens artistiques et esthétiques. Women Without Men, son premier long-métrage, s’inscrit dans cette recherche. C’est un bon exemple pour rappeler que le cinéma fait appel à l’imaginaire et que dans les visions cinématographiques les plus folles, le réel et le politique peuvent faire bon ménage, et ouvrir des horizons inconnus (surtout sur l’imaginaire féminin) à tout le monde. Son film est réaliste et fantastique à la fois, inspiré par une nouvelle de l’iranienne Sharnush Parsipur, interdite en Iran. Le récit de quatre destins de femmes de conditions sociales et d’âges différents se situe au moment du renversement du régime démocratique de Mossadegh en 1953 par la CIA. La première République laïque iranienne avait été remplacée par le règne autoritaire du chah Reza Palahvi, mis en place par les Américains. Ce sont les faits. Quatre destins de femmes symbolisent donc à la fois cette période d’ouverture, où l’idéologie ancienne, la domination de la femme et des filles par le père ou le frère aîné est encore la règle et où la femme, libre de ses mouvements, celle qui assiste aux réunions politiques, représente l’exception. Accompagnons donc la militante de cœur, enfermée par son frère, mais libre dans sa tête, qui va jeter toute sa curiosité dans la découverte d’actions menées par ses camarades de lutte pour une nouvelle vie. Elle se libère, ne serait-ce que symboliquement, en se jetant du toit de leur maison où son frère la tient enfermée. Cette mort, sa chute de la terrasse du toit d’une maison toute blanche, est symbolique et crée donc la première surprise du film. Un immense voile noir se déploie au moment de son envol vers une autre vie qu’elle a désirée. Cette vie rêvée, le cinéma peut l’incarner. Ce n’est pas le moindre paradoxe du film. Shirin Neshat montre comment elle aurait vécu si elle avait été libre et non pas entravée. Comment elle aurait vécu vraiment sans être amenée à se jeter dans le vide pour mettre fin à ses conditions d’enfermement ou au mariage forcé que son frère lui préparait.
Elle ne meurt que symboliquement, mais en réalité, elle continue à militer, à vibrer dans les réunions à l’unisson avec les autres jeunes qui s’enflamment pour un renouveau démocratique. Une autre femme est prostituée. Elle est forcée par une maquerelle à subir ce que ses clients exigent d’elle. Les images montrent, comment cette humiliation permanente lui fait perdre la raison. Une bourgeoise, chanteuse assez fortunée, va réunir toutes les femmes du film dans une demeure aux splendeurs orientales. Après avoir raconté ces quatre destins par des longs plans séquences tantôt oniriques tantôt hyperréalistes, elle vole au secours de l’une, panse les plaies de l’autre et chante pour tout le monde. Le monde politique va aussi faire irruption dans cette idylle campagnarde volontairement fausse (des couleurs hyperréalistes suggèrent la dimension onirique) et symbolique où des parterres de fleurs signalent la possibilité d’une autre vie que celle de la misère paysanne et de l’exploitation des corps et de leur force de travail.
Les militaires putschistes font donc irruption dans la demeure. On cherche des sympathisants de Mossadegh qui voulait nationaliser les ressources pétrolières du pays et qui a été destitué. Leur volonté de nuire est finalement neutralisée par le courage de cette femme, maîtresse des lieux. Elle lutte avec son art, le chant, contre leur dessein premier de tout saccager. Un film d’art accompli qui répond à toutes les exigences qu’on peut formuler pour une œuvre engagée (sortie le 13 avril).