Du fond du fond…

mis en ligne le 14 avril 2011
Le dessin en première de couverture de Danielle Le Bricquir, montrant un enfant à table tenant un couteau et une fourchette dans chaque main, avec autour de lui de monstres identiques dansant et vociférant à son encontre, exprime d’une manière réaliste le sujet de ce livre d’une soixantaine de pages ! Ce récit d’un enfant battu est porté par une vivacité, un allant, voire une certaine effronterie, qui siéent bien à tout enfant, victime d’un univers où les chausse-trappes du père, pour ne pas dire plus, ne sont pas innocentes ! Cette langue est naturelle, en ce sens que le vocabulaire n’est ni forcé, ni austère. Elle s’intègre parfaitement, si je puis le dire ainsi, au contexte délicat et tempétueux de cette enfance malmenée ! Certains auront peut-être trouvé la parole trop facile, trop souple, avec quelquefois une gourmandise prononcée de l’auteur pour l’humour ! Mais qu’aurions-nous pu souhaiter d’autre, puisque s’il y a parfois légèreté, il y a aussi distance, car c’est bien par ce chemin que l’on arrive à écrire. Mettre de la distance entre soi et l’écrit n’est pas une chose facile, et aujourd’hui peu d’auteurs savent le faire ! C’est sans doute pour cela que le récit autobiographique a tant de succès chez les écrivains, car ainsi ils ont la matière. Mais avoir la matière ne suffit pas toujours ! Les derniers romans en vogue, dont certains ont été couronnés de prix, l’attestent, avec pour comble de l’exaspération pour le lecteur, à lire un livre où, par exemple, le « talent » de l’auteur se résume à se mettre en scène ! On aurait pu supposer que ce genre de sujet, autobiographique également, serait traité avec austérité, gravité, peut-être ostentation, car lorsque nous avons face à nous un enfant battu, que pourrait-il nous venir à l’esprit, sinon de la compassion et une certaine retenue dans le geste et la voix ? La reconstitution historique de l’enfance de Cadet, puisque c’est lui dont il s’agit, est brève mais parlante. Cette souffrance ne s’est pas dévoilée entièrement au lecteur, et l’auteur la suggère, car ce qui importe n’est pas tant le coup par lui-même que l’origine de celui-ci et la trace qu’il a laissée. Ainsi, dans la vie courante, nous confondons souvent la cause, l’effet, la conséquence. Nous omettons de mettre chaque chose à sa place, ainsi au lieu de résoudre les problèmes qui se posent à nous, et en nous interrogeant sur chacun de ces mots, nous allons directement à la conséquence. La tentative pour remédier au désordre des choses est dans ce cas vouée à l’échec. La société actuelle vit avec cette idée, de n’apprécier que les conséquences sans remédier aux causes premières. Ceci explique en particulier toute la faiblesse humaine. Il en est ainsi pour ces actes à l’égard des enfants. Peut-être que Cadet n’a pas cherché à comprendre pourquoi il était battu, mais enfant, comment l’aurait-il pu ? Ceci est le problème difficile à résoudre de la maltraitance. Celui qui souffre ne sait pas pourquoi on le fait souffrir et cette incompréhension finit en culpabilité. Cadet, fort heureusement, ne s’est pas rendu coupable, bien au contraire il a survécu, et même bien vécu. Il a réussi dans la vie, sans doute parce qu’il avait des atouts personnels, l’intelligence, l’intuition, le courage ! Si Jean-Marc Couvé n’a pas cherché à maintenir un suspens, à faire de son lecteur une proie émotionnelle, il ne s’est pas posé en donneur de leçons, ni en exemple. Il a réduit son livre à une histoire, une histoire vraie qui ne doit rien à personne. Cadet est sans doute en paix, mais s’est-il libéré ? Nous ne le savons pas, mais ce livre lui a sans doute donné l’occasion, par ce dialogue avec l’auteur, d’effacer quelques traces. Nous le lui souhaitons ardemment !

Jean-Michel Bongiraud