Comment devenir millionnaire

mis en ligne le 14 avril 2011
Eh oui ! Même nous ! Il faut bien obéir à la mode, n’est-ce pas ? Or la mode est aux millionnaires. Chères lectrices, chers lecteurs, voici donc les conseils de Nestor Potkine pour devenir millionnaire. Plus précisément, soyons honnêtes, les conseils de Caroline Waxler, journaliste financière américaine. Si une lectrice proteste devant l’évidente impossibilité que Potkine votre serviteur puisse à la fois vouloir demeurer honnête et devenir millionnaire, Potkine votre serviteur répondra qu’il est bien connu que les anarchistes veulent l’impossible. Revenons-en à nos millions. Ms Waxler a écrit l’un des livres les plus délicats du nouveau siècle : Stocking up on Sin, How to crush the Market with Vice-Based Investing. Ce livre recommande aux investisseurs désireux de faire fortune d’acheter délibérément les actions des entreprises les plus immorales ; « vice-based ». Le mot vice, ici, ne se réfère pas à une énième philippique de l’American Decency Association, mais aux entreprises franchement indéfendables, même à droite. Les marchands de tabac. Les marchands d’armes. Les marchands de jeux vidéo. Les casinos et les fabricants de machines à sous. Les marchands d’alcool. Les marchands de fast-food, en particulier les chaînes de marchands de beignets. La puritaine Amérique réprouvant, du moins officiellement, le sexe, Waxler ne néglige ni les marchands de Viagra ni ceux de préservatifs ! Le radar éthique de Ms Waxler n’étant ni du dernier cri, ni très pénétrant, elle ne mentionne cependant pas les banques. Pas les compagnies pharmaceutiques. Pas les compagnies pétrolières. Pas les fabricants de centrales nucléaires. Moins encore le capitalisme dans son ensemble. On conviendra néanmoins, j’espère, que Ms Waxler ne manque pas de culot.
Mais on croit souvent en France que l’hypocrisie est une spécialité gauloise, inculquée par deux mille ans de catholicisme et quatre cents ans de jésuitisme. Que nenni ! Waxler prouve, s’il en était besoin, que le protestant anglo-saxon sait tortiller ses principes aussi bien que le catholique berrichon. Ainsi, le chapitre intitulé « Si j’achète Playboy, irais-je en enfer ? » prétend que, puisque vendre un action Playboy plus cher qu’on ne l’a achetée n’enrichit pas directement Hugh Hefner, le fondateur du magazine, on ne contribue pas à la richesse de M. Hefner, et donc on ne récompense pas le vice. Tout est dans le « directement » !
Il ne fait aucun doute que le vice rapporte. L’un des exemples de Waxler est un fonds d’investissement délicatement appelé The Vice Fund (sic). Elle mentionne aussi Morgan Fun Shares, Inc., qui s’appela d’abord Morgan Sin Shares. Hélas, l’un des investisseurs, Sir John Templeton, « un ami de M. Morgan, et un homme très conservateur et religieux, dit à Morgan qu’il n’aimait pas le mot sin [“péché”] » 1. De 1998 à 2003, le S & P 500 (le CAC 40 américain) a globalement baissé de 14 %. Pendant la même période, les actions du Vice Fund basées sur le tabac ont gagné 56 %. Celles basées sur l’alcool, 46 %. Et celles qui profitent des casinos et du jeu, 145,13 %. On se doutait que l’une des définitions du capitalisme est que l’argent n’a pas d’odeur, mais il faut remercier Ms Waxler de le prouver avec autant d’efficacité que de nez bouché.
D’autant qu’avec un malin plaisir, elle publie les résultats… des fonds d’investissement moraux ! Si une lectrice proteste devant l’évidente impossibilité qu’un investissement boursier puisse avoir la plus mince relation avec la morale, on lui répondra qu’Allah est grand. Revenons-en à nos fonds, et à leurs résultats. Ils sont évidemment très inférieurs à ceux du vice, se traînant, dans le meilleur des cas, autour de 5 %. Waxler note au surplus, toute fière de son irrévérence, que des actions telles que celles de JP Morgan, Merrill Lynch, McDonald’s, Procter & Gamble, Toys R Us, Microsoft et autres compagnies connues pour leur respect des lois, de la libre concurrence ou de la santé du public, figurent dans les portefeuilles des fonds d’investissement dits moraux.
Elle cite, avec non moins de malin plaisir, une intéressante remarque de Dan Ahrens, cofondateur du Vice Fund : « Nous croyons qu’un autre niveau de responsabilité sociale est qu’il y a beaucoup d’entreprises honnêtement gérées au sein des industries du péché (sic). Ce sont des entreprises solides avec des informations financières honnêtes. Nous ne pensons pas qu’il y ait un quelconque scandale financier prêt à éclater à l’heure actuelle dans le tabac, l’alcool, le jeu ou l’industrie de l’armement. » En d’autres termes, M. Ahrens n’aura qu’éloges à la bouche pour la Mafia, si celle-ci tient bien ses comptes.



1. Richissime financier de la Templeton Foundation, structure dédiée à une intense croisade néocréationniste. Nous aurons sans doute à en reparler dans ces colonnes. (Ndlr.)