Petits porteurs de mort

mis en ligne le 24 mars 2011
Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? Plus encore qu’à l’accoutumée nous assistâmes, la semaine dernière, à un défilé de faux-culs tout à fait admirables, rendus au sommet de leur art. Anne Lauvergeon ouvrit le bal, qui, présidente d’Areva, déclara un lundi qu’on allait « éviter la catastrophe nucléaire, au Japon et ailleurs » – sans qu’on sache au juste de quel ailleurs nous entretenait la dame –, et sans que cela ne l’empêche, quelques jours plus tard, de vanter l’EPR grâce auquel, selon elle, « il n’y a pas de fuites possibles, quelle que soit la situation ». Plus tard, la drôlesse ravala toute futilité et s’en alla admettre que Fukushima relevait « d’une situation d’urgence absolue ». Ah. Parfois femme nucléocrate varie ? Disons-le, et tout net : elle ne fut pas la seule, en ces jours radioactivés, à cogner de son groin hors nord les boussoles affolées. Il n’est qu’à jeter un œil sur la une du Figaro, daté du 15 mars dernier : « le drame japonais menace l’avenir du nucléaire », chouinait alors la feuille à merde, propriété de Dassault fils – hasard de l’actualité : nous en reparlerons, de cet avionneur, ici même et dans quelques lignes et pas pour lui baiser l’orteil –, il n’est donc qu’à comparer ce Figaro-là annonçant ceci : serait menacé l’avenir de ce qui risque de nous tuer…, il n’est, dis-je, qu’à le comparer avec les unes du lendemain, celle de Libé : « panique nucléaire », celle du Parisien, en corps gras : « terreur nucléaire » (ça se foule pas dans les rédactions) pour en conclure que merde, y faudrait finir par savoir : c’est la fin de la bourse aux matières fissiles, ou simplement la fin du monde ? Rassurez-nous, tudieu ! Nous, actionnaires d’Areva, d’ERDF, de Necto, ne sommes que de petits porteurs (de mort), pourquoi nous mener la vie dure ?
Tandis que ceux-là geignent, Air France fait des affaires. C’est de bonne guerre nucléaire. Le billet Tokyo-Paris sur ligne régulière coûte, ce jour, 14 155 euros. Non, ce n’est une faute de frappe. Quatorze mille cent cinquante-cinq. Un prix de dix fois supérieur au tarif habituel, et susceptible de s’envoler si jamais les réacteurs 2, 5, 3, 14 et plus si affinités… explosent tout à coup. Y’a pas de petits profits, n’est-ce pas. Autre exemple ? Il n’est pas jusqu’à Sarkozy qui ne cherche à tirer profit du bocson japonais. « Si l’opportunité se présentait, et si les autorités japonaises le souhaitaient », et si, et si… « il va de soi que je me rendrai là-bas ». De soi, il va, bien entendu, ne jamais y risquer ne serait-ce qu’une oreille, car l’homme à talonnettes, bien qu’agité du cervelet, n’est pas plus kamikaze que toi : comment qu’il vous l’avait survolé Haïti, tout en hélicoptère et sans jamais se poser, vous vous souvenez, les copains ? Alors le Japon radioactivé, la bonne blague… Dans deux mille ans il va de soi qu’il se rendra, bien entendu, éventuellement, là-bas. Si les autorités le souhaitent.
L’histoire ne dit pas s’il y sera accompagné du joyeux boute-en-train dont le nom, pour l’instant, nous demeure inconnu, de ce fameux drille qui décida de faire exécuter, par l’orchestre de Radio-France, lors d’une soirée de soutien aux nippons sinistrés, l’œuvre de Paul Dukas, L’Apprenti sorcier. Si. C’est qu’il est taquin, dans la fosse, le chef de l’orchestre rouge sang.
Plus taquin que l’avionneur et député-maire de Corbeil, on ne saurait trouver. Ce Dassault, dont le nom suffit à nous dégoûter des jeux de mots – arrête ton char, Dassault ? Bof, savez-vous ce qu’il répondit ce Serge Dassault sorry au journaliste lui demandant si ça ne l’empêchait pas de dormir, tous ces zincs vendus à Kadhaf’et avec lesquels le fondu bombarde depuis des semaines les villes ? « Quand on vend du matériel, c’est pour que le client s’en serve. » Il a dit ça et puis c’est tout, ce Serge Dassault six. De Strasbourg. Sur le coup ça m’a fait marrer, parce que c’est exactement ce que me disaient l’autre soir les amis Richard et Josselyne. Sauf qu’eux vendent des chaussettes en poil de lapin. Et même que dedans, on est bien.