61e Berlinale, Festival international de cinéma de Berlin

mis en ligne le 17 mars 2011
Le Festival s’est déroulé sous le signe d’une résistance internationale aux sanctions prononcées contre Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof 1. Dès l’ouverture, la chaise inoccupée de Panahi était sur scène et elle y fût ramenée pour la soirée de clôture. Depuis, elle a été mise sur la scène du Châtelet pendant la distribution des Césars.
A l’ouverture du Festival, Isabella Rossellini, présidente du Jury, lisait une lettre de Jafar Panahi : « On m’a condamné à 20 ans de silence. Dans mes rêves, je crie très fort pour qu’advienne le temps de la tolérance mutuelle et du respect de la différence de nos opinions… ». Le jour anniversaire de la révolution islamique, le 11 février, certains quotidiens berlinois avait coloré leurs pages en vert, couleur emblématique des manifestations réprimées à Téhéran. Berlin reste mobilisé et les manifestations de solidarité continueront. Le cinéaste Alexander Kluge proposait de mettre en commun nos pages Web pour servir de relais à la circulation de l’information…
L’attribution de l’Ours d’Or à Jodaeiye Nader az Simin (Nader et Simin, une séparation) d’Asghar Farhadi, doublée d’un prix d’interprétation pour toutes les actrices et tous les acteurs du film, est un geste politique fort, même si d’aucuns diront que la victoire d’un film iranien dans ce contexte, peut au contraire passer pour un comble d’opportunisme. Ce film sensible est l’histoire complexe d’un divorce. Un père voudrait s’occuper de sa fille, encore lycéenne, mais ne peut abandonner son propre père souffrant de la maladie d’Alzheimer. Une femme du peuple, embauchée pour soigner le vieux père, donne une leçon de dignité à ces représentants d’une classe moyenne arrogante pour lesquels tout s’achète. Elle insiste avec force sur la question de l’argent au vu des problèmes religieux que ce travail lui pose. Elle appellera même une hotline pour savoir si elle ne commet pas un péché en lavant le vieux monsieur. Peu de films posaient avec une telle conviction des questions à la fois candides et essentielles- pour les personnages comme pour les spectateurs.
True Grit, un western des frères Joel & Ethan Coen d’après le roman de Charles Portis 2, inaugurait le Festival. (Sortie en France le 23 février.) Le personnage dominant du film, la petite Mattie, 14 ans, (Hailee Steinfeld), recrute un Marshal, Rooster Cogburn (Jeff Bridges), pour retrouver l’assassin de son père. Elle impose sa présence et se fait respecter par des hommes rudes qui ne font pas de cadeaux. Un western savoureux, où certains mythes du Far West sont revus et corrigés. Les acteurs racontaient que la jeune actrice avait si bien intégré le personnage de Mattie, qu’elle faisait payer les jurons proférés sur le plateau. Elle aurait ainsi engrangé une somme supérieure à son cachet.
Il a fallu plusieurs jours et pas mal de films avant de rencontrer des personnages aussi déterminés que cette adolescente.
El premio (Le prix) de Paula Markovitch commence par les pas de plus en plus hésitants d’une petite fille sur une grande plage déserte. La petite Ceci (Paula Galinelli Hertzog) ne peut pas avancer parce qu’elle a des patins à roulettes aux pieds. Elle a échappé avec sa mère aux soldats de la junte. Récit autobiographique d’une enfance sous la dictature en Argentine, le film fait une grande place à la nature sauvage et à la solitude de ces deux personnes, échouées là comme du bois mort sur le sable. Mère et fille s’installent dans une baraque abandonnée en attendant de savoir ce qui est arrivé au père de la petite fille. Elles enterrent leurs livres dans le sable, mais la mer déchaînée les fait resurgir et flotter sur l’eau. Leurs pauvres emballages n’ont pas résisté. La petite fille veut aller à l’école où elle ne peut rien révéler des raisons de leur présence à cet endroit. Alors qu’elles fuient, elle essaie encore par tous les moyens d’aller chercher son fameux prix. La mère et l’institutrice empêcheront la découverte de leur histoire, et la persécution qu’elle signifierait.
Schlafkrankheit (La maladie du sommeil) d’Ulrich Köhler : ce troisième film du réalisateur après Bungalow et Montag… fait le procès d’une certaine aide aux pays en voie de développement, de l’OMS et des ONG, des gens qui y vont, de ceux qui y restent et qui succombent, comme des drogués, à la tentation et aux mystères de l’Afrique, et qui ne pourront plus jamais repartir. Des situations à la fois comiques et graves agissent comme autant de reflets de la trajectoire et de l’expérience du réalisateur. Enfant, il a vécu au Cameroun, où ses parents étaient coopérants. Le néocolonialisme est pointé du doigt, la corruption et les petits arrangements avec les crédits de développement font partie intégrante de cette histoire pourtant avant tout personnelle. L’hippopotame qui sort de la jungle et va tout droit dans l’eau, signe la fin d’une époque et l’heure des choix, en une majestueuse métaphore pour nous tous, qui ne savons pas toujours où nous mettons les pieds.
Wer, wenn nicht wir (Qui d’autre que nous) d’Andres Veiel… Veiel était jusqu’à présent, un documentariste inspiré et reconnu pour avoir creusé le mal-être d’une société toujours impuissante à faire son deuil du passé. Son premier film de fiction cherche à mettre en lumière les moments décisifs de nos existences, ces instants où tout peut basculer. Le cinéaste fait le choix pour sa première œuvre fictionnelle, d’analyser un moment mal connu de l’histoire de l’Allemagne récente : qui était Gudrun Ensslin avant de rencontrer Baader et avant de s’engager dans la RAF 3 ? Qui était Bernward Vesper, son compagnon, écrivain et auteur du livre Die Reise (Le Voyage) et pourquoi se suicida-t-il ? Tous deux étaient de milieux fort différents et pourtant semblables. Ensslin reprochait à son père pasteur d’avoir su et de n’avoir rien fait. Le père de Vesper publiait sous le nazisme une littérature exaltant « la terre et le sang ». L’auteur a mené ses recherches sur tout ce qui a précédé la création de la Fraction Armée Rouge et ce qui a entraîné l’émergence des mouvements d’après 68. Comme si nous traversions le miroir de ce vécu qui est le nôtre et de ses effets dramatiques sur plusieurs générations.

La 3D en question : à bas les lunettes !
L’événement phare de cette Berlinale était la projection de plusieurs films en 3D. Nous avons pu voir les différences de qualité et d’exécution de films réalisés dans une technique pas encore parfaitement maîtrisée.
Les Contes de la nuit de Michel Ocelot (réalisateur de Kirikou et Azur et Asmar) est un film de pure poésie, servi par le raffinement des couleurs, la beauté des dessins et le merveilleux des contes, où humains et animaux sont représentés par des silhouettes découpées… Michel Ocelot au meilleur de sa forme.
« Rendre aux danseurs leur corps en trois dimensions », tel était l’enjeu que Wim Wenders s’était fixé pour réaliser Pina, son film sur Pina Bausch. Pendant deux ans, il a suivi les progrès accomplis par la 3D pour réussir son pari : filmer « l’infilmable », à savoir les corps des danseurs en mouvement et l’espace de la scène en trois dimensions. Son intriguant Pina, consacré à la chorégraphe de Wuppertal et aux danseurs du Tanztheater, est à la fois monument au souvenir et hommage appuyé à une disparue. La vraie surprise du film est qu’il réussit à donner un visage à tous ces danseurs, filmés d’abord en position statique et muets, nous faisant face. Leurs voix, qu’on entend alors, apportent une note individuelle et personnelle et témoignent de ces années de travail avec Pina Bausch, maîtresse femme et danseuse de génie. Le film choisit des passages de ses pièces emblématiques : du Sacre du printemps à Café Müller, jusqu’à Vollmond, et des extraits signifiants de Kontakthof dans ses trois versions : celle d’origine, celle avec les « messieurs dames de plus de 65 ans » et celle dansée par des jeunes, dernier travail que Pina Bausch a encore pu superviser : Tanzträume (« Rêves dansés », toujours programmé à Paris). Voir les danseurs se déployer dans l’espace somme toute étriqué d’une ville comme Wuppertal reste la vraie surprise du film.

La grotte des rêves oubliés…
Werner Herzog a réussi à convaincre des scientifiques réticents de filmer en 3D à l’intérieur de la grotte Chauvet, en Ardèche, – 30 000 ans d’Histoire. Sans la 3D, il aurait été impossible de représenter fidèlement l’effet que produisent les parois et leurs inclinaisons, failles et protubérances. Herzog disposait d’une heure. Il s’est servi d’une petite caméra à cause de l’exiguïté de l’accès à la grotte, accès par ailleurs strictement réglementé, même pour les scientifiques. Le discours de Herzog, à la fois follement enthousiaste et sérieusement philosophique, est très convaincant. Sa mission, comme il la présente, est d’amener le public dans la grotte, là où il ne pourra jamais entrer, pour contempler ses merveilles. Les parois sont d’une blancheur immaculée, les dessins d’une fraîcheur intacte, les animaux représentés avec fluidité et précision. La seule note comique reste la voix du réalisateur qui parle anglais avec l’accent bavarois. Puisque Herzog sacralise tout, les sceptiques pourront facilement ironiser.
Sans ironie, car déjà pris dans la folie, Nietzsche aurait embrassé un cheval que l’on martyrisait sous ses yeux à Turin : A Torinoi lo (« Le Cheval de Turin ») de Béla Tarr est beau, sérieux, mais assez creux. Sur son pays, la Hongrie, passée à droite, il dit « Le gouvernement doit partir, pas moi ! » Béla Tarr quant à lui, est reparti avec le Grand Prix du Jury.




1. Panahi et Rasoulof sont condamnés à six ans de prison ferme et à vingt ans d’interdiction de créer assortis d’une interdiction de quitter le territoire, pour un film qu’ils n’ont pas encore tourné, et dont il leur est interdit de parler, sur la répression des manifestations à Téhéran.
Signalons que la Cinémathèque française passe tous les jours un film de Panahi à 18 heures.
2. Roman à succès, adapté au cinéma en 1969 par Hathaway, avec John Wayne dans le rôle du marshall.
3. Fraction Armée Rouge ou la « bande à Baader» pour la presse à sensations.