Agriculture de pesticides, société liberticide

mis en ligne le 18 février 2011
En décembre s’est tenue la deuxième assemblée générale de la Fédération française des apiculteurs professionnels (FFAP 1), jeune syndicat indépendant créé dans l’urgence en 2009 pour répondre à la volonté étatique d’organiser à marche forcée la filière apicole. à cette occasion, la directrice de l’Institut technique apicole est venue présenter le programme des recherches de l’année 2011. Celui-ci a soulevé un véritable tollé parmi les apiculteurs. En effet, l’institut se soucie bien plus de la pollinisation (c’est-à-dire l’apiculture au service de l’agriculture) que de la mortalité anormale qui affecte les cheptels (aujourd’hui presque 50 %). Sur le terrain, cette perte de cheptel est attribuée essentiellement aux pesticides et autres biocides qui dégradent l’environnement de l’abeille, qui alors devient plus sensible aux parasites, virus et autres maladies. La FFAP a donc adopté une motion exhortant son institut technique à prendre la problématique des pesticides et biocides à bras le corps, à défaut de quoi il perdra toute crédibilité auprès de la profession – crédibilité déjà bien entamée puisque le vice-président de cet institut est adhérent à la FNSEA, syndicat pas vraiment favorable à une agriculture paysanne…
Lors de cette même journée, des conchyliculteurs (éleveurs de coquillages), connaissant eux-mêmes une surmortalité encore plus terrible (environ 80 % du cheptel !), ont participé à un échange de vues sur cette problématique. Ces éleveurs commencent aussi à mettre sérieusement en doute les causes multifactorielles avancées par les pouvoirs publics. Les pesticides commencent à être montrés du doigt. De fait, les biocides pénètrent dans la terre, gagnent les nappes d’eau puis les rivières et arrivent dans les estuaires… à ce compte-là, on peut se poser des questions sur les effets de ces substances sur l’être humain.
Quelques chiffres donnent froid dans le dos 2. Dans la famille des néonicotinoïdes, molécules qui agissent sur le système nerveux central des insectes, l’imidaclopride est 7 000 fois plus toxique que le DDT ! Certes les agriculteurs pulvérisent des volumes inférieurs sur leurs champ mais certainement pas 7 000 fois moins… Une autre molécule, le thiamethoxam (étiqueté comme poison), sert en enrobage de semence (c'est-à-dire que la plante va absorber cette molécule toute sa vie) notamment pour le maïs. Un seul grain de maïs rend impropre à la consommation humaine 5 000 litres d’eau, ce qui donne pour 1 hectare de maïs : ½ milliard de litres d’eau ! Mais soyons rassurés, on ne trouve que ce qu’on cherche. Et il est impensable de développer un laboratoire indépendant comme pour le nucléaire (Criirad 3), de nouvelles molécules pesticides sortant sur le marché tous les ans… Sans parler du secret industriel… Et puis peu importe puisque les laboratoires font des recherches pour fabriquer une abeille OGM résistant aux pesticides 4.
Pour en revenir au chapeau de cet article, il devient difficile de blâmer les agriculteurs (sans pour autant les disculper !). En effet, ils sont souvent pieds et poings liés par les producteurs de semences et les fabricants de biocides, souvent les mêmes. Pour autant, ces entreprises contrôlent-elles notre alimentation ? Il y a les légumes du potager ! Pour sûr, mais combien de jardiniers conservent leurs graines ? Et depuis que les semences doivent être inscrites dans un registre, les variétés anciennes ont tendance à être éliminées ou mises hors-la-loi 5. On peut penser aussi aux huîtres dont quasiment plus qu’une seule variété est élevée… Enfin, est-ce que contrôler l’alimentation permet de contrôler la société et son mode d’organisation ? La question se pose clairement quand on songe à la spéculation sur le riz ou le blé ou, encore pire, sur l’eau. Par ailleurs, toute personne contestant cette agriculture industrielle est souvent amenée à se taire à cause de diverses pressions (apiculteurs dénonçant le gaucho subissant des contrôles fiscaux 6, les condamnations à de fortes amendes de Kokopelli 7, les chercheurs opposés aux OGM mis sur la sellette).
En tant qu’anarchistes, il est temps que nous engagions réflexions et luttes sur cette problématique agricole, un peu oubliée ces derniers temps. Car aucune révolution ne pourra faire l’économie d’une remise à plat du fonctionnement de l’agriculture et de l’approvisionnement de la population. Il ne pourra y avoir de changement de société sans changement d’agriculture. Une société anarchiste avec une agriculture de biocides n’a aucun avenir. Comment la population pourrait-elle accepter les scandales environnementaux et sanitaires liés à ce type d’agriculture ! Nous devons lutter pour une agriculture paysanne, respectueuse de son environnement, qui tienne compte des besoins de la population, le tout à un niveau local.
Mais tout ceci répond essentiellement à des problèmes d’ordre écologiques auquel le capitalisme va lui aussi être confronté et sa réponse sera sans doute de récupérer ces alternatives, ce qui sera facile si elles n’ont pas au minimum une organisation libertaire, et surtout si elles ne développent pas un volet sociologique et économique. Donc une simple réforme du système agricole capitaliste comme le prône la Confédération paysanne ne peut être suffisante. De même que créer une amap ou l’investir pour lui donner une tournure organisationnelle anarchiste ne saurait être la solution si on ne rappelle pas ce que signifie ce sigle. Il ne s’agit pas uniquement d’un label pour avoir de bons produits à côté de chez soi, il s’agit de maintenir (d’ailleurs si on est révolutionnaire on devrait plutôt parler de « développer » et donc d’adap !) une agriculture paysanne. Cela signifie : fermes à dimension humaine donc sans salarié permanent, une agriculture non spécialisée dans un domaine ou, tout du moins, un fonctionnement entre les différentes fermes basé sur l’entraide et la coopération.
Pour mener à bien une telle révolution agricole, il faudra bien plus de paysans qu’aujourd’hui, il faut donc promouvoir le partage des savoirs et techniques agricoles via des universités populaires pratiques, par exemple. Il faut également récupérer et réquisitionner les terres, démanteler les gigantesques exploitations spécialisées. Il faut créer des circuits de distribution courts. Il va donc être nécessaire de repenser l’espace urbain car comment être à proximité des mégalopoles contemporaines qui ont rejeté l’agriculture à des dizaines de kilomètres. Cela implique donc de casser ce béton, décongestionner la ville, décentraliser.
Il est nécessaire de penser une autogestion entre consommateurs et producteurs, voire même casser cette distinction, remettre au goût du jour la prise au tas qui amène à repenser l’idée de l’argent dans nos échanges…
Et pour cela, il faut clairement soutenir les agriculteurs qui s’engagent dans ces changements, en mettant en avant nos choix pour la mutualisation et l’autogestion anarchistes. Et cela passe sans doute par le développement de nos propres outils (mutuelles, banques du peuple, fédération de producteurs, etc.) pour aller dans ce sens. Quand est-ce qu’on commence ?

Guillaume, Fédération anarchiste (29), CNT FTTE




1. Site : www.apipro-ffap.fr
2. Voir la pétition du SAPB, www.apipro-ffap.fr/sapb/IMG/pdf/Petition_contre_les_pesticides_012010.pdf
3. Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité. (Ndlr.)
4. www.efsa.europa.eu/fr/scdocs/doc/71e.pdf Voir la page 53 : «One goal of genetically modifying Apis mellifera is to create an insecticide-resistant strain, but so far only tests for sperm-mediated transformation are ongoing (Pew, 2004).»
5. Voir www.kokopelli.asso.fr/proces-kokopelli/provocation-contrefacon-baumaux.html
6. Voir le dvd Le titanic apicole.
7. www.kokopelli.asso.fr/proces-kokopelli/gnis-fnpsp7.html