Étudiants anglais en lutte

mis en ligne le 13 janvier 2011
1618EtudiantsAnglaisSe battre contre les top-up fees ou lutter pour l’éducation gratuite ?
Les étudiants britanniques continuent de prouver qu’ils ne sont pas aussi indifférents que l’opinion publique ne le croyait. Certes, lorsque le dernier gouvernement travailliste a introduit les top-up fees 1, faisant payer 3 000 livres aux étudiants pour leurs frais de scolarité, les politiciens ont gagné leur pari. Personne ne s’est fâché assez pour les en empêcher. Ils ont réussi leur coup. Il n’y a pas eu de riposte.
Mais voilà qu’ils veulent faire payer 9 000 livres aux étudiants avec de nouveaux règlements proposés par la coalition gouvernementale des libéraux démocrates et conservateurs (nous les appelons les « ConDems » – qui en anglais est un jeu de mots entre les « condamner » et les « entuber » : to con them). Les étudiants organisent la riposte et pas seulement contre les augmentations. Ils veulent une éducation gratuite pour toutes et tous !
Des manifestations et des occupations ont eu lieu un peu partout dans le pays dans les jours et semaines précédant le 9 décembre, date à laquelle le Parlement devait voter la proposition d’augmentation des frais. Ce n’est pas seulement à l’argent que les étudiants s’opposaient, mais au système dans son ensemble. L’idée même que les universités devraient tirer des profits aux dépens des étudiants nous enrage. Les étudiants et le personnel se sont donc mobilisés par milliers pour mettre fin à la privatisation et à la marchandisation de l’éducation. Nous avons été rejoints par des étudiants plus jeunes venant des lycées, des formations professionnelles et des IUT. C’est eux qui devront payer à partir de 2012 les conséquences de cette législation.
Au soir du 9 décembre, la loi avait été promulguée ; aussi, la place du Parlement avait flambé, le Trésor avait été attaqué et le futur roi et la reine avaient même été terrorisés par leurs loyaux sujets ! Cette journée changea les choses à tout jamais. Nous n’avions pas réussi à stopper la loi, mais nous avons détruit la crédibilité des ConDems. Et encore plus important : nous nous sommes sentis puissants et unis. Nous avons senti ce qu’on ressent au début d’une révolution sociale.

Après quoi sommes-nous en colère ?
Après les libéraux démocrates. Ils ne font partie de la coalition ConDem que parce que des milliers d’étudiants ont voté pour leur promesse électorale affirmée de ne pas augmenter les frais de scolarité. Les étudiants qui ont voté pour la première fois lors de l’élection générale du mois de mai comprennent aujourd’hui d’eux-mêmes ce que les anarchistes ont toujours dit : les hommes politiques sont des menteurs et ne sont pas aptes à prendre les décisions qui affectent nos vies.
Après l’État en général, parce qu’avec ses coupures budgétaires il a déclaré la guerre à la classe ouvrière. Même les étudiants issus des classes moyennes ont maintenant l’impression d’appartenir à la classe ouvrière, la classe escroquée et exploitée. Leurs frères et sœurs cadets n’auront peut-être pas les moyens d’aller à l’université. En plus des top-up fees, le gouvernement a aboli l’allocation pour l’éducation des 16-17 ans ; nous sommes donc doublement en colère pour la jeunesse.
Après nos universités, car les chanceliers se préoccupent plus d’être des hommes d’affaires que des éducateurs. Ils mesurent le succès en produisant plus d’hommes d’affaires. Ce n’est pas pour cela que nous sommes allés à l’université. Nous y sommes allés pour décrypter le fonctionnement le monde et pour voir comment nous pouvions l’améliorer. Maintenant, seuls les plus riches peuvent se payer une éducation ; nous sommes revenus à l’élitisme des années 1950. Les étudiants apprendront alors à se conformer et non pas à questionner.
Après la police, parce qu’ils nous ont trop souvent blessés, et parce qu’ils veulent davantage de pouvoirs pour nous blesser encore plus. Parce qu’ils défendent l’État sans se poser de questions.
Après les médias et leur façon de parler de nous. Ils font de nous des criminels chassés et vendent leurs journaux en nous mettant à la une sous le titre « recherchés ».
Après le prince Charles et Camilla, car ils sont des parasites ! Mais maintenant, nous les aimons un peu quand même. Nous les aimons parce qu’ils sont assez stupides et arrogants pour être au mauvais endroit au mauvais moment 2 ; pour nous avoir montré que nous pouvons les atteindre après tout. Et de nous avoir fait rire plus que cela n’était arrivé depuis des années !
C’est la Metropolitan Police qui a provoqué l’émeute. C’est limpide pour toutes et tous. Elle a bloqué les étudiants à l’intérieur de la place du Parlement et les a laissés là malgré le fait que la manifestation devait passer par la place. Nous pensons que cela a été fait pour justifier l’attaque du personnel et des étudiants, pour nous photographier, nous démasquer, pour collecter nos données personnelles, ainsi que pour nous tabasser, voire nous envoyer à l’hôpital. Elle l’a fait aussi pour se venger car nous l’avions ridiculisée lors des dernières manifestations. En fin de compte, la Metropolitan Police cherche des pouvoirs spéciaux pour interdire les manifestations et/ou pour utiliser des canons à eau. Elle est elle-même confrontée à des coupures budgétaires et elle voudrait que l’État se rende compte qu’il a besoin d’elle et qu’il augmente son budget. Elle nous a attaqués pour montrer qu’elle est puissante. Elle nous pourchasse pour prouver qu’elle est intelligente.
Mais nous ne disons pas que la police a été plus radicale que les étudiants ! Même si la police n’avait pas provoqué cette bagarre, les étudiants auraient peut-être d’eux-mêmes refusé de quitter la place du Parlement ; ils auraient peut-être même attaqué le Parlement. Nous étions tous déjà en train de nous ruer vers les lignes de police et les clôtures qui protégeaient les hommes politiques avant de comprendre que nous étions « cernés ». Et je dis bien tout le monde ! Même la police et l’État n’ont pas pu attribuer les faits à une « petite minorité violente » comme ils le font d’habitude. Avant d’arriver à la place du Parlement, il nous semblait peu probable que nous nous baladions tranquillement de Whitehall à Trafalgar Square. L’ambiance était trop chargée pour cela.
Nous avons l’impression de faire partie d’une riposte internationale des étudiants. Nous avons employé les tactiques et les armes défensives que nous avions vues dans les rues de Grèce et d’Italie : de former des cales à nous protéger avec nos livres ! Du port défensif de casques au port d’armes ! Nous ne nous sommes jamais sentis autant en lien avec les étudiants à travers le monde.
Nous avons joué sur la pelouse de Westminster Abbey et tagué des A cerclés sur ses murs. On a l’impression que « Ni dieux ! Ni maîtres ! » devient une réalité ; que les liens entre l’État, la royauté et la religion se dévoilent à tous.
Après Noël, nous retournerons dans nos universités, où nous avions jusqu’alors manifesté et que nous avions occupé. Et nous continuerons de le faire et de préparer la prochaine manifestation du 29 janvier. Le mouvement n’est pas fini !

Claire, Anarchist Federation (Grande-Bretagne et Irlande, membre de l’Ifa)
Article traduit par les Relations internationales de la Fédération anarchiste




1. Ce sont les frais de scolarité payés de la poche des étudiants.
2. Ceci est une référence à la prise d’assaut du véhicule du prince Charles et de sa femme, Camilla, par des manifestants le 9 décembre à Londres.