Radio libertaire et la pub

mis en ligne le 19 avril 1984
Dans nos colonnes comme sur nos antennes, nous nous sommes toujours montrés opposés à la publicité. Ceci ne nous empêche pas, au contraire, de vanter tel ou tel ouvrage et d’en nommer l’éditeur ; de préciser les lieux dans lesquels s’expriment tels chanteurs ou tels comédiens ; de citer produits et marques… Eh, nous direz-vous ! N’est-ce pas là de la publicité ?
Comme beaucoup de choses, le vocable de « publicité » englobe un aspect positif et un aspect négatif. Il n’est pas vrai que le consommateur, seul, sans moyen d’information, puisse déterminer ses « besoins ». Prenons l’exemple évident de la machine à laver. Dès 1890, dans La conquête du pain 1, Kropotkine met en évidence le caractère libérateur d’une telle invention. Et pourtant, si les industriels n’avaient pas multiplié les démarches pour faire connaître leur produit, il va sans dire que nous en serions encore à l’époque du lavoir. Il en est ainsi pour tout – et sans doute pour pas mal de saloperies. Mais n’est-il pas normal que pour une découverte utile il y en ait dix, négligeables ?
Le rôle de la publicité est de faire découvrir au consommateur potentiel l’existence et tous les avantages du nouveau produit. À lui ensuite de faire le tri. Tant qu’il ne sera pas adulte, il bouffera de la « merde ». Mais pour pouvoir faire ce tri, encore faut-il qu’il puisse être informé des nouvelles découvertes.
Une société bien organisée aura besoin d’espaces accessibles au grand public dans lesquels tout inventeur et industriel présenteront leur production. La proposition de Proudhon, en 1855, d’une exposition universelle et permanente allais dans ce sens. Bien évidemment, de nos jours, c’est aux médias de prendre le relais et c’est ce que devrait faire la publicité.
Pourquoi alors nous y opposer ? Parce que la forme des messages est souvent trompeuse, voire crapuleuse ! Dans une société libre, qui pourra empêcher un inventeur de chercher tous les arguments possibles et imaginables pour vanter sa découverte ? Le Bureau de vérification de la publicité dont l’action est encore trop restreinte est sans doute utile. Mais ne faudrait-il pas que monsieur et madame tout-le-monde apprennent à ouvrir les yeux ? Les associations de consommateurs mènent ce combat.
Deux raisons nous conduisent à refuser la publicité, tant dans Le Monde libertaire que sur Radio-Libertaire. D’une part, nos organes n’ont pas vocation d’information générale. Nous choisissons clairement les sujets qui nous intéressent et les traitons selon une analyse qui nous est particulière. Ce n’est donc pas à nous de faire la présentation de tout et de tous.
Enfin, le rôle que devrait remplir la publicité – et qui a été défini ci-dessus – est complètement dénaturé par les sommes astronomiques nécessaires pour informer le public. Ainsi, la publicité est un moyen supplémentaire du capitalisme pour prolétariser encore et toujours. Ceux qui n’ont pas l’argent nécessaire pour se faire connaître doivent se vendre aux grands trusts financiers. La publicité payante (et ô combien !) est une arme supplémentaire pour renforcer la logique capitaliste. Mais son aspect pernicieux ne s’arrête pas là. Il faut clairement affirmer qu’un organe de presse, une radio, une télévision… qui dépendent financièrement des publicitaires ne sont plus libres. Qui osera critiquer un produit qui lui apporte plusieurs millions par jour ? Le faire serait risquer de perdre non seulement ce « client » mais les autres ! Alors on se tait, ou pour le moins, on met la forme… on se censure !
Alors qu’elle devrait être un espace de communication, la publicité est une arme pour le renforcement du capitalisme et pour la servitude des médias. Voilà pourquoi, dans Le Monde libertaire comme sur Radio-Libertaire, nous citons librement marques, produits, éditeurs, artistes, salles… mais nous n’exigeons jamais rien en échange. Notre situation financière s’en trouve en perpétuelle difficulté ? C’est le prix de la liberté !

Groupe de Fresnes-Antony

1. P. Kropotkine, éditions du Monde libertaire, 40 F, en vente à la librairie du Monde libertaire