Peut-on être contre le dialogue et pour le carton rouge ?

mis en ligne le 9 décembre 2010
Un scientifique a-t-il intérêt à discuter directement avec un créationniste ou avec n’importe quels énergumènes aux titres universitaires parfaitement bidons venant doctement, à longueur d’émissions de radio et de plateaux télé, expliquer avoir rencontré le vieillard barbu, avoir démontré l’existence du grand ordinateur, avoir retrouvé le vieil architecte ou le génial créateur du bordel capitaliste ambiant, au détour de leurs équations grotesques ?
Parler avec l’un de ces fous furieux est tout simplement désespérant ! Chercher à raisonner un créationniste est perdu d’avance. Il n’a pas à écouter. Il veut convaincre ou, à défaut, faire croire aux témoins de la discussion qu’il mérite la même attention et la même considération qu’un scientifique, que son message est aussi important et surtout aussi novateur, moderne et éclairé que celui de son interlocuteur. Il cherche d’abord à justifier sa croyance.
Il n’est même pas intéressant de causer directement avec un tel manipulateur du verbe qui se croit malin comme un singe (pauvre singe ! quelle image s’en fait-il ?) ; par contre, le scientifique peut et doit continuer à dire que toutes les formes de justification épistémologique et/ou soi-disant scientifique du créationnisme (ou de la foi) sont ridicules et vouées à l’échec par essence.
Mais nous, scientifiques ou non, comment interpréter ces justifications ?
Elles peuvent bien se cacher sous le nom de tolérance, d’objectivité, de neutralité ou sous la « nécessité de dialoguer pour faire avancer la connaissance », nous n’en voulons plus. Nous les avons déjà subies par le passé pour d’autres sujets et parfois sous la menace. Et qu’ont-elles apporté au débat scientifique finalement ? D’immenses nuages de cendres et de fumée, comme ceux qui auparavant s’élevaient au-dessus des brasiers de la sainte Inquisition. Et pendant ce temps-là, pendant qu’on blablate à propos du nécessaire dialogue, on distille non le doute, mais le relativisme le plus destructeur et le plus démobilisateur qui soit.
Le créationniste qui prétend vouloir dialoguer ne cherche qu’à noyer le poisson. Mais quelle que soit la profondeur du marigot dans lequel ce genre de personnage cherche à nous attirer, il a toujours pied – « Un requin a toujours pied » (merci à Célina pour cette formule !). Il sait nager dans les océans de pathos, dans l’obscurité abyssale de l’irrationnel, ou dans le maniement des fonds glauques – ceux des financements qui se cachent derrière de tels brasseurs de courant d’eau bénite.
Un semblable requin ne respecte pas le dialogue – puisqu’il ne le souhaite pas – mais veut seulement triompher par tous les moyens en usant des armes et de la méthode de ceux qu’il considère comme ses ennemis mortels. Il est dans une contre-offensive qui – c’est vrai, je suis peut-être optimiste – montre déjà qu’il peut être battu et qu’il l’a été par le passé. Il mord et cherche à déchiqueter ses ennemis matérialistes. Et lorsqu’on le mord en retour, il hurle au « non-respect » des règles de la scientificité.
Mais si la science était un jeu collectif, accepterait-on un tel simulateur sur un terrain ? Dans un jeu collectif, un simulateur exploite les règles du jeu à son seul avantage, surtout s’il se sait incapable de triompher. Il pense que ces règles sont justement la faiblesse du jeu. Non pas les joueurs adverses, car il les craint. Alors, parce qu’il a trouvé le moyen de rentrer sur le terrain, parce que quelqu’un lui a payé un billet d’entrée frauduleux et un équipement prétendument tout neuf, il vient courir dans tous les sens entre les autres joueurs. Il s’agite, il hurle au respect des règles du jeu dont il se moque comme d’une guigne. Il attire le regard des autres joueurs et surtout – c’est là son but ultime et unique – celui des spectateurs. Il fait semblant de jouer et, lorsqu’il pense approcher du but, il tombe et prétend qu’on l’a blessé. Il prétend qu’il allait marquer le but final, définitif, imparable, et c’est pour cela qu’on l’a attaqué et fauché. Mais il suffit d’observer en détail ses manœuvres et elles apparaissent dans toute leur médiocrité et leur cynisme.
En sciences, le ralenti existe aussi, c’est l’observation des véritables motifs des propos tenus et des énoncés. Cherche-t-on ici à mieux comprendre le monde ? Non. Et alors le carton rouge est mérité ! Car on cherche uniquement à faire naître le brouillard et à noyer le poisson. Le ralenti est implacable : on voit tout de suite que les motifs de ces personnes sont masqués par le verbiage. C’est le même cinéma que celui du simulateur se roulant par terre devant le public médusé et parfois impressionné…
Ces pseudo-justifications ne cherchent de toute façon qu’à remettre la religion au cœur de tous les débats. Le débat scientifique l’excluant par nature, la religion et ses sbires en sont fous de rage. C’est cette rage qui laisse les scientifiques parfois pantois, souvent écœurés et fatigués mais c’est à elle qu’il faut répondre en désignant toujours ses véritables motifs.
La religion a eu le pouvoir trop longtemps et partout. Elle l’a perdu en partie et elle enrage. Elle cherche à retrouver la place perdue dans les pays à vocation démocratique et laïque comme le nôtre. Elle veut reconquérir tous les pays qui souhaitent s’arracher à la boue de la croyance et de la domination. Elle veut vaincre les peuples qui se battent pour s’émanciper de toutes les superstitions et retrouver leur liberté. Elle veut faire rendre gorge aux résistants qui luttent pour retrouver le goût de la vie, de la vérité, du désintéressement, du travail collectif dans les règles fondamentales du travail scientifique (existence du monde réel et matérialisme méthodologique).
Que ces gens-là, créationnistes et énergumènes à titre ronflant, retournent dans leurs monastères luxueux prier pour leur salut et qu’ils nous oublient ! Nous n’avons pas besoin d’eux – non pas pour avancer et régner, puisque nous ne sommes ni scientistes ni positivistes – mais pour comprendre, apprendre, enseigner, diffuser et échanger.
Qu’ils aillent raconter leurs histoires dans les déserts les plus lointains ! Ils ne sont bons qu’à noyer le poisson et, de notre côté, nous nous souvenons que le symbole du poisson était le signe de ralliement des premiers chrétiens. Cela nous suffit pour garder nos distances. Cela nous suffit pour rester éveillés.

Hervé Ferrière
Historien des sciences, IUFM de Guadeloupe