Tonton Georges

mis en ligne le 24 octobre 1991
« Il ne demandait rien à personne, tout le monde l'a écouté. Il avait quelque chose à dire, à rire, à chanter et même quelquefois à pleurer».
Allez, sans regarder la photo, de quel chanteur Jacques Prévert pouvait-il bien parler ?
Mais de Georges Brassens, bien sûr ; auteur de chansons, né à Sète un 22 octobre 1921, mort un 29 octobre 1981 (il n'est même pas parti un 22 septembre...).
Et des chansons de Brassens, nées entre Basdorf et la porte des Lilas, entre la rue Didot et la rue de Vanves ; et toujours vivantes, et pas seulement aux dates anniversaires, messieurs les programmateurs...
De par leur caractère universel, simple et intemporel, les chansons de Georges ne prendront pas plus de cheveux blancs ni de rides que les rimes de Villon, Paul Fort ou Victor Hugo, qu'on les grave ou non sur les monuments aux morts.
On finira par oublier qu'elles sont de lui et dans mille ans, un collégien ou bachelier sans vergogne découvrira dans un recueil Les Amoureux des bancs publics et Le Gorille, chansons traditionnelles du XXe siècle.
C'est à force de se cacher dans ses chansons qu'il leur a donné cette humanité, cette chaleur.
Humain jusqu'au bout des moustaches, il allait jusqu'à confesser quelques penchants plus ou moins pervers, voire de la lâcheté face aux coupeurs de cheveux. N'en rigole pas, ami lecteur, il s'en fallut de peu mon cher que ce bonhomme ne fut ton père.
Je ne puis m'empêcher, pour ma part, de l'appeler tonton Georges. Comme un oncle adoptif ou adopté, convié certains soirs à partager le souper et quelques souvenirs. Toujours une anecdote à portée de main et de guitare, sur tel ou tel cocu, telle fille à cent sous, Martin, la Jeanne, Léon, Archibald, Bécassine et cette camarde à qui il plantait des fleurs dans les trous de nez, tandis qu'elle lui semait des cailloux dans les reins. Un oncle citant Richepin pour évoquer Philistins et oiseaux de passage, ou les croquants. Et terminant son histoire par une boutade, un retournement, ou un simple clin d'œil pour avouer qu'il parle de lui-même.
Un p'tit coin de paradoxe, enfin. Auteur de chansons populaires aux mots et tournures ultra académiques, dans une langue verte et pure tout à la fois, peu avant de mourir, ce sont ses mélodies qu'il a confiées à Raymond Devos en « héritage ». Des mélodies simples, puisant leurs racines dans la valse, la sardane, le jazz, les marches, sur lesquelles plus d'un musicien s'est plu à se casser l'accord septième.
Comme quoi, l'admiration que nous sommes nombreux à lui porter ne tient pas en quelques mots. Mais en cent-cinquante chansons.

Nicolas Choquet