L’affront

mis en ligne le 1 juillet 1993
Cruelle déception en lisant le Journal Officiel du 23 décembre 1992. La loi du 28 juillet 1894 « ayant pour objet de réprimer les menées anarchistes » est abrogée dans le cadre de la réforme du Code pénal. Il n’y aura pas de centième anniversaire de la « loi scélérate » (dans ce monde lugubre, on nous prive de toutes les réjouissances !) À croire que l’anarchie ne fait plus peur à la bonne société. Inutile dès lors de la réprimer par des lois spéciales. Les lois banalement immondes, ignobles et abjectes feront largement l’affaire.
À partir du 1er mars 1994 – ça nous laisse même un peu de répit –, le fait de se livrer à la « propagande anarchiste » ne sera plus considéré comme circonstance aggravante lorsqu’on incitera ses semblables à voler, tuer, piller, mettre le feu ou manier l’explosif ou lorsqu’on cherchera, c’est la formule apocalyptique de la Cour de cassation, à « provoquer la destruction violente de la Société et de ses institutions, l’abolition de l’ordre social et la destruction des propriétés ». Impressionnant programme ! Même chose pour ceux qui essayeront de « détourner de leur devoir militaire et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs » les militaires des armées de terre ou de mer (les députés barbus de la IIIe République n’avaient pas prévu qu’un jour il y aurait des escadrilles volantes). Et moi qui, dans les années 60 et 70, ai été beaucoup poursuivi et condamné, je m’aperçois avec honte et consternation que je n’ai pas réussi à décrocher cette médaille de la provocation et que vraisemblablement je ne l’obtiendrai jamais.
Les scélérats ! Heureusement, il reste dans le Code pénal, revu et corrigé, bien des crimes et des délits que l’on peut encore s’offrir. Certes, les prix sont élevés. On n’a plus grand-chose maintenant d’intéressant en dessous d’un ou deux ans de prison ferme. Les amendes ont suivi, elles aussi l’inflation. Cela vous fait de sacrés trous dans le budget, ces petits amusements-là. Seuls les riches peuvent maintenant se payer une belle provocation, une étincelante apologie du crime, un admirable cri séditieux ou une sublime incitation à la désobéissance générale. Quant à la « subversion à l’ordre établi », ça n’a plus de prix. Disparue du commerce, seulement quelques jolies pièces historiques de collection vendues sous le manteau.
Où est-il l’heureux temps – c’était en 1905 – où l’on pouvait se retrouver dans le box des accusés comme anarchiste pour avoir « recommandé aux soldats de tourner leurs armes contre leurs chefs et de saboter des usines » ? En 1921 encore, rien n’était perdu et un fier libertaire encourait les foudres de la loi scélérate pour avoir « exhorté les soldats à fraterniser avec la classe ouvrière et aider la révolution à écraser le capitalisme ». En 1924, la bonne société tremblait sur ses bases et la Cour de cassation confirmait la condamnation d’un camarade qui avait « mis en œuvre de la propagande anarchiste en vue de la grève générale ». Il y a tout juste soixante ans – c’était hier –, on pouvait encore se retrouver derrière les barreaux avec l’étiquette « anar » pour avoir crié publiquement « les soldats avec nous ! » au cours d’une manifestation et « alors, note le jugement, que les gendarmes étaient déjà aux prises avec les manifestants ». Rien qu’à évoquer ces hauts faits d’armes, j’en ai, je l’avoue, les larmes aux yeux, même si je sais que tout cela s’est payé par des années de cachot, de bagne en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane, quand ce n’était pas la mort au petit matin.
Aujourd’hui, tout fout le camp. La mise au rancart de la loi scélérate, c’est aussi la mise au rebut de l’anarchie considérée comme inoffensive, l’entrée des libertaires au musée Grévin en tant que mannequins de cire. Bref, l’affront suprême.
Faudra-t-il (c’est une question d’honneur) descendre résolument dans la rue et marcher sur l’Assemblée et le Sénat réunis ? Je vois d’ici la banderole de tête : « Bas les pattes sur la loi scélérate ! Nous sommes toujours vivants ».

Denis Langlois



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


19172Pitor

le 28 juin 2011
Et oui ! Combien ont été malin les gouvernements qui se sont succédés en légitimant la "révolte", lui donnant un cadre pour s'exprimer, tant, selon leur discours, qu'elle ne porte atteinte à l'ordre public (mais surtout qu’elle ne dérange pas le pouvoir en place) ; on peut y aller, c’est permis !
Mais amusons-nous (si tant soit peu on puisse s’en amuser ! ?) à taper violemment du point sur la table à en faire trembler les chaises sur lesquels le cul de ses notables reposent de tout leur poids, et bien pour sûr que l’atteinte à l’Ordre Public sera immédiatement déclarée et que la répression s’abattra automatiquement comme la tapette à mouche s’abat sur le pauvre insecte ! Et, finalement, la qualification d’Anarchiste finira bien par tomber !
Mais par chance, nul besoin de pousser à des extrêmes : l’affaire en 2008 de la destruction de caténaires de la SNCF (acte mineur en soit (délit de droit commun) mais dont la législation Européenne anti-terroriste permet de requalifier en « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ») dont on fait les frais un groupe Anarchiste en est la preuve flagrante ! Nul besoin de bouger... !
Anarchy Not Dead !
: )))