Heureux les sourds, car ils connaîtront le vrai de la religion !

mis en ligne le 18 novembre 2010
La voix du Seigneur
La langue des signes française (LSF), que les sourds se sont donnés à eux-mêmes, est une vraie langue, avec une morphologie, une syntaxe, des lexiques, des nuances, etc. Se déployant dans le canal visuel, elle engage l’expression de tout le corps (pas seulement des mains comme on le croit parfois) et exige une précision des configurations (pour que les signes soient clairement identifiés) et une articulation rigoureuse des images pour comprendre qui agit sur quoi, quel est le sentiment éprouvé, dans quelle ligne du temps, etc. Exactement comme pour une phrase de langue orale, où l’on ne met pas les mots dans n’importe quel ordre, ni sans conjugaison, ni sans accords, etc.
L’invention du monothéisme, quelque part entre la Méditerranée et l’Euphrate, a lié son destin à la parole. Dieu est Verbe. Eh ! « per forza » (c’est obligé) comme on dit en italien : il ne pouvait pas être grand-chose d’autre le bougre, puisque sa complétude et sa perfection absolues sont par définition hors de l’expérience sensible de l’être humain.
D’où un hiatus intéressant avec la LSF, qui, par sa nature et son histoire encore jeune, a un rapport beaucoup plus immédiat et nécessaire au concret. Non pas que la LSF ne sache pas exprimer l’abstrait, mais le besoin impérieux d’images impose cette immédiateté avec le concret. L’apparente meilleure disposition des langues orales à dire l’abstrait est d’ailleurs à relativiser. C’est en réalité qu’elles ont développé depuis les origines tout un réseau de métaphores (dont on pourrait dire que l’étymologie est la science de leur ordonnancement), qui leur permet de cacher l’enchaînement de ces images – renvoyant au concret – dans le sens convenu des mots.
Imaginez-vous maintenant partager votre vie avec une interprète français/LSF (c’est mon cas, vous l’aurez compris), et vous retrouver on ne sait comment un dimanche matin devant l’émission « Le jour du Seigneur », sur France 2 (merci la laïcité du service public), avec une messe traduite en LSF pour les braves sourds du premier rang, regardés avec miséricorde comme des « disgraziati » (frappés de disgrâce) comme on dit en italien 1.

La (fausse) voie du seigneur
Et là, stupeur rigolarde ! Tout d’abord, le prêtre s’était affublé d’une chasuble verte, sur son aube blanche et une étole à liseré rouge : un vrai drapeau algérien ! Manœuvre grossière pour faire croire aux sourds mahométans qu’ils étaient à la mosquée ?
Mais surtout, la gestuelle molle et niaise de la liturgie catholique moderne, la contrition intériorisée qui freine l’expression tranchée de toute la gamme des émotions, et une ignorance évidente de la LSF par un pseudo-interprète (alignant une transcription signe pour mot, sans syntaxe et sans placement), qui a produit des approximations savoureuses !
Ainsi du prêtre qui pleurniche : « Dieu nous a créés avec la tendresse d’un père. » Ce que le non-interprète traduit par « Dieu + tendresse + avec [au lieu de « comme »] + père + créer + nous ». Que peut-on comprendre si ce n’est que nous sommes issus d’une relation incestueuse entre le père et le fils ? Comme quoi la pédophilie est vraiment le principe reproducteur de l’Église depuis l’origine des hommes !
Ou encore, le prêtre évoque un Dieu qui « accueille ses enfants que le péché avait éloignés ». Et l’autre de signer : « Dieu + enfant + accueillir + péché + déteste. » Autrement dit, un Dieu qui accueille dans le péché ses enfants qu’au fond il déteste. N’y a-t-il pas à nouveau une image frappante de cette destruction de l’enfant (aussi bien l’Autre que soi-même) que révèle une pédophilie traumatique et traumatisante ?
Passons à table maintenant. C’est l’eucharistie et le prêtre invite les fidèles « au repas du Seigneur », ce que l’autre signe en « manger + Dieu ». Ce qui est amusant ici, c’est qu’avec cette approximation, qui n’était certainement pas dans l’intention du prêtre, notre lamentable apprenti a retrouvé le sens originel de la liturgie chrétienne : une pratique anthropophage 2.
Mais il y a mieux. « Ceci est mon corps livré pour vous » devient, au bénéfice de signes mal configurés et mal placés, « corps + prison + vous ». Mon corps est votre prison. Voici un aveu bien singulier pour un zélateur de la religion !
Pour apothéose, ce cri de vérité : « Délivre nous du mal » bêle l’officiant, tandis que l’abruti à côté signe « liberté = mal ». La liberté est mauvaise ; tout est dit !
J’ai chez moi quelques vieilles affiches éditées par la Fédération anarchiste, et que je me remets à coller régulièrement dans mon quartier. Elles disent simplement : « Religions, oppression mentale ». Pouvait-on mieux dire ?

Le vrai de la religion
Heureux les sourds, donc ! Car dans la nullité même des officiants, ils se sont vu révéler le vrai de la religion : des curés pédophiles et incestueux, de père en fils, qui agissent dans la haine farouche de la liberté de l’être humain !
Mais quelle mouche a donc piqué l’Église pour se risquer ainsi à montrer ses fondements ? On peut hasarder une hypothèse en notant que le prêtre était le père Laurent Bonnot. Eh oui, Bonnot ! Comme la bande éponyme. Alors, des anarchistes masqués au cœur même de l’Église ? Avouez que ce serait un terrorisme fort réjouissant en ce début de XXIe siècle.

Cettia Cetti, groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste



1. Il s’agit de l’émission du dimanche 31 octobre 2010.
2. Lire sur le sujet mon précédent article, « 2 planches, 3 clous, le bon label », paru dans le ML n° 1568 du 15 octobre 2009.