L’affaire Florence Rey et Audry Maupin. Les anarchistes de plus en plus crédibles : Pasqua panique !

mis en ligne le 13 octobre 1994

Un artisan ruiné se tue après avoir abattu sa femme et ses fils de 18 et 20 ans. Acte de désespéré et incompréhensible pour le voisinage de cette banlieue pavillonnaire tranquille.
Un type massacre son frère et sa famille dans un village paisible. Acte de folie qui laisse la communauté villageoise atterrée.
Ces deux faits divers n’ont pas plus de trois mois et sont pris parmi toute une série d’autres.
Qui y a-t-il de si différent lorsque deux individus font un carton sur des policiers, dans la nuit d’un mardi bien ordinaire, pour qu’un ministre d’Etat monte au créneau médiatique des journaux télévisés de 20 h ? La cible bien entendu.
Que des citoyens ordinaires se suicident avec leurs proches ou qu’ils assassinent leurs voisins, il n’y a pas de mal… Ça profite à l’idéologie sécuritaire par le simple fait que cela renforce le sentiment de désordre et d’instabilité sociale ressenti par tout un chacun.
Tout va bien tant que celles et ceux qui sont broyés par le libéralisme démocratique paient les pots cassés de leur « échec » social et/ou personnel en se culpabilisant au point de se faire du mal, de sombrer dans la dépression, le suicide et l’assassinat.
La police enquête, la justice juge et les pisse-copies peuvent dégoiser sur les drames de l’incompréhension sociale, la misère, la jalousie.
Finalement l’ordre règne. Absurde sans doute, mais il règne !

Pasqua manque de sang-froid !
Par contre, que deux personnes décident que leur désespérance n’est pas le simple fruit du hasard et de leur seule responsabilité individuelle et qu’en conséquence, ils décident de faire payer le prix fort à des représentants de l’ordre… ceci est inacceptable pour l’Ordre.
Imaginez que tous ceux qui sont mal dans leur peau passent à l’acte. En particulier ceux qui sont humiliés, stockés et comptabilisés en lots de chômeurs, RMIstes, précaires, parqués dans des zones d’éducation prioritaire, des ZUP, des quartiers à risques, rentabilisés dans des usines à flux de production tendue, gérés depuis des bureaux à communication multimédias.
Tous ces gens ont forcément une bonne raison de déconnecter à un moment ou à un autre. Imaginez qu’au lieu de continuer à subir et se détruire, ils décident de retourner cette violence contre ceux qui l’organisent, la gèrent et en profitent.
Pasqua a eu beau faire le mariolle sur le petit écran et cracher son venin, il n’empêche que sa réaction est celle d’un représentant d’une classe paniquée par une situation sociale explosive. Un simple petit événement, insignifiant à l’échelle des luttes sociales et le voilà qui injurie, menace, s’agite en tout sens. Pasqua manque de sang-froid.

Un appareil répressif pour assurer les profits !
L’inquiétant, c’est que ce faisant l’État développe une paranoïa sécuritaire tous azimuts.
Aujourd’hui, les gouvernants essaient de réduire les possibilités d’expression publique et préparent de nouvelles lois contre les immigrés.
Aujourd’hui, ils réorganisent leur appareil répressif et le dotent de moyens plus puissants afin de le préparer aux « menaces sociales » à venir.
Aujourd’hui, ils conditionnent l’opinion publique et distillent de manière systématique la haine de l’étranger.
Aujourd’hui, ils imposent leur conception politique comme étant la seule possible et dénoncent toute volonté d’émancipation sociale comme étant non seulement utopiste mais criminelle.
Ça commence à faire vraiment beaucoup.
Mais cet acharnement à constituer un appareil répressif puissant s’explique plus facilement lorsque l’on s’attache à faire le point sur toutes les lois, tous les décrets et directives ministérielles pris pour favoriser les transferts d’argent public vers le privé, pour faire baisser le coût de la main-d’œuvre, pour favoriser les placements financiers contre l’investissement industriel, pour diminuer les investissements sociaux, pour diminuer la pression fiscale sur les plus riches et augmenter les impôts indirects payés par tous…
Il s’agit, bien sûr, d’assurer de substantiels profits aux classes dirigeantes par une exploitation encore plus rationnelle des salariés.
Rien de bien nouveau pour les anarchistes, mis à part le fait que la capacité des exploiteurs à faire participer les exploités à ce jeu mortel à rarement été aussi poussée. Le cynisme est de règle dans les sphères du pouvoir.

Un univers sans ambition ni enthousiasme !
Mais que penser de ceux qui s’échinent à susciter des associations en tout genre pour apprendre à gérer 2 400 balles par mois, apprendre le lavabo municipal le matin pour être « présentable » comme on apprend le caniveau à un chien, apprendre à se vendre mieux que les autres pour une place de CES, apprendre à intérioriser sa condition de chômeur comme un effet normal et fatal de la « crise économique », apprendre à vendre un journal à un feu rouge en exposant publiquement son statut de clochard officiel badgé, apprendre à décortiquer la dernière réforme des droits au chômage pour surnager dans ce merdier juridique, jongler à chaque mois avec son découvert pour éviter l’interdiction bancaire… quand on a encore un compte en banque !
Contrairement aux discours mille fois répétés, ces associations ne suscitent ni début de prise de conscience ni remise en cause de sa condition sociale. Ces structures organisent et pérennisent l’exclusion et la marginalité, en dépit des rares cas exemplaires que l’on agite trop bruyamment à la télé.
Que penser de ceux qui en pincent pour l’humanitaire et donnent généreusement de leur temps à préparer des colis et distribuer la soupe à des populations toujours plus nombreuses chaque hiver ou à chaque nouvelle guerre, ici ou là-bas. La plupart des fonds de l’aide sociale et humanitaire provient de l’État et des surplus de Carrefour ou Mammouth. Les dés sont pipés quelque part. Mais c’est comme la religion, ça aide à vivre et permet à quelques-uns de faire carrière.
Il est facile de comprendre que cet univers apparaît sans issue pour ceux et celles qui ne se complaisent pas dans l’acceptation de l’existant, qui pensent que leur dignité d’être humain implique la révolte face aux injustices.
Nous oublions parfois que ce sont les jacqueries paysannes brûlant les châteaux qui ont préparé la révolution de 1789-1793.
Les émeutes répétitives des banlieues révèlent la brutalité de cette société, tout comme l’acte de ces jeunes gens tirant sur les premiers uniformes venus.

Le mouvement anarchiste dans le collimateur !
La raison d’être du mouvement anarchiste est bien d’être une force de proposition ou donner des perspectives sociales à ces révoltes légitimes mais trop souvent sans lendemain. Et c’est parce que nous sommes en capacité d’être influents sur les luttes sociales que nous sommes dans le collimateur de Pasqua. Prenons garde !
Nous ne pouvons totalement exclure, au vu du peu d’informations que nous avons, une provocation policière dans l’affaire qui a vu la mort d’un jeune révolté, d’un chauffeur de taxi et de trois policiers. Ce drame arrive fort à propos, au moment où l’Assemblée vote une série de lois répressives. L’histoire est riche en manipulations et combines menées par la police.
Nous ne pouvons pas exclure dans un proche avenir, cette fois-ci ou plus tard, d’être au cœur d’une opération de déstabilisation.
Les idées libertaires passent plutôt bien dans l’opinion, mais nous ne pouvons pas dire que les structures militantes anarchistes soient encore suffisamment fortes pour résister à une manœuvre policière de grande ampleur.
C’est donc bien maintenant que le pouvoir peut chercher à nous briser. Sachons donc raison garder et continuons à affirmer qu’il ne s’agit pas pour nous de s’attaquer à des individus, même s’ils ont un uniforme et un flingue… à bavure, à la ceinture.
L’enjeu est de mettre en œuvre une dynamique sociale porteuse d’un projet sociétaire, aspirant à organiser l’égalité économique et sociale.

Bernard, groupe Déjacque (Lyon)