Hors-la-loi… énerve les vieilles badernes

mis en ligne le 14 octobre 2010
Protestations d’anciens combattants de la guerre d’Algérie avant la projection de Hors-la-loi de Rachid Bouchareb à Cannes. Même phénomène à la sortie du film, le 22 septembre. Il est vrai que Bouchareb ne parle pas de sujets anodins : après Indigènes, qui débouchait sur des mesures concrètes pour payer la même pension aux anciens de la guerre d’Algérie, qu’ils soient soldats de l’armée française ou venus des colonies, il s’attaque avec Hors-la-loi à un sujet encore plus délicat : raconter des pans de la guerre d’Algérie – qui ne disait pas son nom – qui, de 1954 à 1962, a fait des milliers de morts et allait mener à l’indépendance algérienne. Bouchareb montre les prémices : le massacre de Sétif et de Guelma de mai 1945, les milliers de morts algériens (« indigènes » dans le discours officiel) seraient le berceau d’un certain extrémisme de l’armée française et des militants nationalistes algériens. Le cinéaste filme du côté algérien, et il ne se départit jamais de ce point de vue. Des milliers de manifestants furent tués et des centaines de personnes emprisonnées. Bouchareb raconte, dans l’ordre chronologique, le parcours d’une famille algérienne, expropriée dans les années vingt. Le père est tué pendant les massacres de Sétif et de Guelma. Les trois frères se retrouvent avec leur mère en France, à Nanterre.
Ce film s’attaque à des tabous multiples : montrer des colons français tirer sur de paisibles manifestants, et des Algériens, serviteurs du pouvoir colonial, méprisant leurs compatriotes, agents zélés de toutes les injustices. Hors-la-loi est une sorte de western politique comme si c’était Il était une fois dans l’Ouest transposé dans la boue du bidonville de Nanterre. Il était une fois une famille d’agriculteurs qui travaillait la terre en Algérie, mais – tout comme les Palestiniens aujourd’hui – ils ne peuvent prouver qu’il s’agit bien de leur terre et de leur petite exploitation agricole avec son puits hérité des ancêtres. C’est avec cette expropriation injustifiée que le film démarre : la thèse est donnée. Saut dans le temps : les massacres de Sétif et de Guelma, mai 1945, sonnent le glas d’un espoir d’égalité des droits, un moment crucial de l’histoire algérienne, où se politise un certain Kateb Yacine. La mort du père justifie leur départ en France, car un des fils, arrêté pendant la manifestation (Sami Bouajila) y est emprisonné, l’autre frère est soldat en Indochine (Roschdy Zem) et c’est donc le troisième (Jamel Debbouze) qui décide et amène sa mère en France, dans la misère indescriptible du bidonville. L’activisme au service du FLN exige collecte d’argent, trafic d’armes et autres trafics inhumains. Même le fils sensible et bon devient un tueur, un étrangleur ; le plus filou, souteneur et créateur d’une salle de boxe, évite de justesse l’exécution par ses frères comme une honte à la cause algérienne. Et puis le troisième, le plus instruit, qui a engrangé en prison la rage d’en finir – n’a-t-il pas vu un camarade se faire guillotiner ? –, devient un des responsables de la Fédération de France. Il embauche le frère revenu de la guerre d’Indochine pour ses sales besognes. Tuer le responsable du MNA, ne tolérer personne sur la route vers la victoire du FLN. Les dissensions entre Fédération de France et les autres fractions nationalistes n’ont jamais été montrées, excepté par Okacha Touita qui raconte l’histoire de son frère dans Les Sacrifiés. Touita créait une émotion insoutenable là où Bouchareb démontre seulement que les responsables de la Fédération de France succombent au dogmatisme ou éprouvent honte et regrets face à l’échec de leur vie personnelle. Car tous vont perdre leur humanité et être marqués à vie. La collecte de fonds nécessite l’aide de Français, échappant aux contrôles du couvre-feu. Beau personnage que la porteuse de valises, rappel des nombreuses femmes acquises à la cause algérienne.
Rachid Bouchareb est résolument avec eux, sans taire les ignominies commises sur ordre du FLN, ni la contre-offensive de la Main rouge (plastiquages), lancée par l’OAS et mise en pratique sous l’ordre de Papon par la police et l’armée française (tortures). Bouchareb choisit de parler du sort fait aux Algériens dans une guerre coloniale. Transportée en métropole, elle tuera à Paris un certain futur de l’Algérie en éliminant les meilleurs militants, jetant les manifestants pacifiques à la Seine. La plaque commémorative (plusieurs fois dégradée) des événements d’octobre 1961 sur le pont de Saint-Michel en témoigne encore. Saluons les interprètes : Roschdy Zem avant tout. Et Chafia Boudraa, la mère, bouleversante.

Heike Hurst