Le grand cirque

mis en ligne le 23 septembre 2010
Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? Les mannes de Zyed et Bouna, petits morts de Clichy-sous-Bois, qui remuent la terre sous laquelle elles reposent depuis cinq ans. Si elles s’agitent c’est qu’un non-lieu vient d’être requis à l’égard de leurs assassins, poulaille aux semelles de vent mauvais lancée à la poursuite d’adolescents dont la malchance fut de croiser, ce triste soir, sa sale figure uniformée. Dame Moisson, néanmoins, procureure de Bobigny, estime qu’il « ne résulte pas de charges suffisantes contre les deux policiers ». On connaît tous assez les enregistrements radio-police, ô combien funestes, pour se souvenir parfaitement de comment la flicaille laissa griller les deux enfants dans le transformateur. Malgré le barbecue, non-lieu. Permis de tuer, autrement dit. Un permis délivré de la même façon à l’adjudant Monchal, lequel comparaissait devant les assises la semaine dernière, pour avoir tiré à sept reprises, sept ! sur un fuyard, et l’achevant alors même qu’il était menotté, entravé aux chevilles. « Je ne peux pas demander pardon, je ne regrette rien, j’ai fait mon travail », a déclaré Mon Adjudant. N’est-ce pas, ses paroles, de la pure, de la lourde ordure ? Mais son avocat en rajoute : « Je vois mal comment la justice va pouvoir condamner un de ses collaborateurs. » Tirer sur les gardés-à-vue revient donc à collaborer avec la justice ? Dont acte. Le jury ne s’y est pas trompé, qui acquitta l’adjudant. Ah, j’allais oublier : la victime était un tzigane. Ceci explique cela ?
Pas assez expliquée, la politique française de destruction des campements roms et les expulsions de masse : l’Union Européenne s’en est émue, un brin, par la voix de Viviane Reding, commissaire aux droits des citoyens : « Ça suffit, c’est une honte ! » Tout ça à cause d’une bêtise, une idiotie de circulaire visant expressément les Roms, circulaire datant du mois d’août et malencontreusement rendue publique, il y a peu. Au sommet de Bruxelles, il paraît que ça chia un chouille entre Sarko et Barroso, lors d’échanges que d’aucuns qualifièrent de « mâles et viriles ». Selon le chanoine du Latran il n’y eut cependant « aucun éclat de voix, vous savez, ce n’est pas mon genre ». On sait… Pendant ce temps, restés en France, les chiens fous de la Sarkozerie étaient lâchés aux fesses de tous ceux s’apparentant, de près ou de loin, au droit-de-l’hommisme, ennemi déclaré et néologique de surcroît. Frédéric Lefèbvre : « J’ai lu comme vous des extraits de cette circulaire, et j’ai constaté que les Roms n’y sont en aucun cas ciblés. » Sur le même sujet, et avec la même mauvaise foi, le ministre de l’Immigration et de l’identité gnagnagna s’agaçait plus que de raison et balançait aux journalistes : « Je ne vais pas passer ma journée à répondre à des questions (sic !), je vous suggère de passer à autre chose parce que sinon je peux vous donner une leçon de catenaccio vraiment impressionnante. » Woa, ça fout la trouille, hein ? Délaissant, pour sa part, la métaphore footballistique, l’emblématique Pierre Lellouche nous en remettait une, « nous ne sommes pas à l’école et je n’ai pas l’intention, au nom de la France (?), d’être traité comme un petit garçon ». Bref, chacun y allait de son coup de boule dans la tronche à Bruxelles, en même temps que de son coup de langue au présidentiel postérieur, l’oscar de la lèche revenant à l’imbitable Mariani, lequel expliquait doctement et sans s’énerver le moins du monde qu’« en Europe, nous avons la liberté de circulation, mais pas la liberté d’installation ». De cette pensée profonde comme une tombe – pour ne pas dire une fosse commune –, naquit subitement la vision de millions de gens, errant sans pause ni repos, circulant circulairement selon les circulaires circonstanciées citées par les cintrés du grand cirque. Sont-ils au moins tristes, ces sires ? Rien n’est moins sûr.