Kinsey est mort… Vive Mac Carthy !

mis en ligne le 1 octobre 1956
Certains se souviennent peut-être encore de l'éclat de rire homérique qui secoua les bons esprits lors de la publication en France des deux rapports de l'Américain Kinsey sur le comportement sexuel de l'homme et de la femme.
Rabelais n'avait sans doute pas pensé que les bons esprits pourraient utiliser le rire pour se défendre des iconoclastes ; mais le reproche de facilité ne les émeut pas, non plus que le manque d'esprit critique. Bien au contraire Marie-Chantal, si j'ose dire, en avait plein la bouche. Les snobs et les bons esprits procèdent souvent de la même mentalité ; comme quoi les extrêmes se touchent, car si la prétendue « sagesse des nations » tisse des voiles pudiques les exaltés n'arrivent qu'à déprécier ce qu'ils louent exagérément.
Notre camarade Bontemps faisait justement remarquer, l'année dernière, dans une étude publiée par Défense de l'Homme, que Kinsey n'avait rien appris aux initiés. Mais combien sont les initiés ? Il faut reconnaître que la sexologie, dont le marquis de Sade fut sans doute un des pionniers, n'a pas encore atteint l'état d'épanouissement de nombreuses autres sciences ; au moins pour le public. L'apport des romanciers tel de Sade, Zola, D. H. Lawrence, Henry Miller, etc., n'est pas encore loin de peser autant que celui des chercheurs. Car ces derniers se dépouillent difficilement du rôle concomitant et dangereux de moraliste. Freud, par exemple, se proposait en même temps de guérir, et qui dit guérir suppose inévitablement le retour à une norme.
Le premier mérite de Kinsey fut justement de ne pas se soucier d'une norme. Pour cela certains l'accusaient de naïveté, évitant ainsi de reconnaître son honnêteté. Ses collaborateurs interrogèrent quelques milliers de sujets. Combien ? Trente mille disent les uns ; d'autres prétendent dix mille. Nous ne voyons pas là matière à chicaner car il est ridicule à partir d'un si petit nombre d'établir une statistique valable pour deux milliards cinq cents millions d'humains, ou même pour cent soixante millions de citoyens des U.S.A.
Comparés aux enseignements d'une bonne vieille morale que nous traînons comme un boulet, les résultats parurent effarants. Le second mérite de Kinsey et de son équipe fut de les rendre publics, en courant le risque prévisible de voir l'esprit qui présidait à ces travaux déformé par les profanes, au lieu de les réserver uniquement aux initiés. Certains bigots cardiaques succombèrent sans doute à des attaques et doivent siéger maintenant à la droit de leur seigneur. Ceux-là auront eu la chance de ne pas connaître les premiers signes d'une nouvelle reculade de son Église. Cette reculade nous y assisterons sans doute avant la fin du siècle, si les recherches dans ce domaine se multiplient. Si… ?
Car la liberté en matière sexuelle apparaît comme l'un des aspects de la liberté individuelle. Aux progrès sur l'un des points les autres apportent une aide ou un frein suivant leur état de développement. Et comme une libération à sens unique entraînerait inévitablement un déséquilibre momentané (à ce sujet il serait intéressant d'étudier l'exemple de la Suède), les tenants de la morale traditionnelle en tirent argument pour freiner dans tous les sens et protéger ainsi, et d'une manière combien précaire, un équilibre instable. Aussi il ne leur plaît pas de voir publier, preuves à l'appui, qu'un certain nombre d'humains ne se conduisent pas comme eux le voudraient. Il ne leur plaît pas d'apprendre ce qu'enseigne la biologie, à savoir que chaque humain, dès sa conception, est singularisé par son hérédité et qu'ensuite à tout moment cette hérédité est, au moins en partie, responsable de son comportement. Il ne leur plaît pas non plus de se demander qui a raison de leurs règles ou des faits, quand ils entrent en contradiction. Il ne leur plaît pas car pour beaucoup être moral consiste à se bander les yeux et à se laisser conduire par le guide de service.
Il nous plaît à nous, après la mort de Kinsey, de voir saisir ses documents par la commission d'enquêtes sur les activités antiaméricaines. Les gardes-chiourme n'ont pas le sens du ridicule car ils ne peuvent supporter la liberté, même comme masque sur leur laideur.