Le syndicalisme chrétien, piège pour imbéciles

mis en ligne le 1 mars 1955
Alors que nous dénonçons la « jaunisse » des grandes centrales C.G.T. et F.O. qui ont abandonné toute velléité de transformation sociale, il convient, une fois n'est pas coutume, de dénoncer la plus grande farce du siècle : le syndicalisme chrétien. La C.F.T.C., créée en 1919, groupait à l'origine environ 300 syndicats et se déclara pour l'amélioration du sort des travailleurs. L'encyclique « Rerum novarum », écrite en 1891, sur la condition ouvrière, est en quelque sorte « la Charte d'Amiens » du syndicalisme chrétien.
Ce petit résumé d'histoire était nécessaire pour fixer la position du syndiqué à la C.F.T.C. Il ne peut agir comme catholique d'un côté et comme syndiqué de l'autre, il agit comme « syndiqué chrétien » ou comme « syndiqué non chrétien ».
La C.F.T.C. d'ailleurs, si elle prône l'amélioration du sort des travailleurs, se déclare pour le maintien de l'ordre établi et c'est le pape Léon XIII dans son encyclique du 1er novembre 1885 qui défini les principes fondateurs de toutes les activités chrétiennes lorsqu'il cite saint Paul dans son épître aux Romains : « Non est potestas nisi a deo ». « Il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu ».
Ce qui veut dire que ceux qui possèdent l'autorité suffisante pour exploiter les travailleurs ont été investis de cette autorité par Dieu lui-même et la C.F.T.C. en se déclarant pour l'amélioration du sort des travailleurs va à l'encontre de la volonté de Dieu ou, plus simplement, se moque éperdument du sort des miséreux.
Et Léon XIII ajoutait encore, se référant à saint Paul : « Toute âme doit être soumise aux autorités supérieures… quel que soit celui en qui réside cette autorité. »
Et voilà ! La loi du plus fort, tel est le grand principe chrétien. Ce grand principe que de nombreux travailleurs soutiennent, par ignorance ou par fainéantise. C'est un nom sens de penser qu'on puisse être à la fois syndicaliste, c'est-à-dire partisan d'une transformation sociale et en même temps chrétien obéissant à l'autorité établie.
La plus vaste des galéjades actuelles réside dans le fait que les grandes centrales F.O. et C.G.T. tendent régulièrement la main à la C.F.T.C., on a même entendu, dans certaines conférences « d'unité » des militants qui se prétendent révolutionnaires, concevoir une unité organique avec le syndicalisme chrétien.
Car je défie qui que ce soit, raisonnant sainement, de prouver que la C.F.T.C., depuis sa fondation, ait apporté la moindre amélioration dans le sort du prolétariat. Au contraire la C.F.T.C., employant les méthodes chères aux cléricaux en général et aux jésuites en particulier, s'est toujours jointe aux mouvements ouvriers lorsqu'elle était sûre d'en tirer un profit pour l'Eglise ou pour briser l'élan révolutionnaire de la classe ouvrière. La C.F.T.C. sur le terrain ouvrier joue sur tous les tableaux, comme l'Église jouait gagnante à coup sûr pendant la guerre, ayant des hommes dans tous les camps.
S'affirmant pour l'autorité, la C.F.T.C. est le meilleur bastion de défense de la hiérarchie et la plus sûre plate-forme des maîtres pour maintenir les travailleurs dans un état social qui, tout en faisant miroiter l'espoir d'un avenir meilleur, les empêche de se rebeller contre l'autorité et conserve la majorité du prolétariat dans une semi-misère permanente.
Les travailleurs qui vont se fourvoyer dans la C.F.T.C. et tous les organismes cléricaux devraient se souvenir de cette phrase de Proudhon : « Quand on me parle de Dieu, on en veut à ma bourse et à ma vie. »
Le syndicalisme ouvrier ne peut grouper que les victimes des exploiteurs et ce n'est pas plus par des prières qu'en changeant l'étiquette politique d'un gouvernement que les travailleurs obtiendront le bien-être et la Liberté.
Les lois sociales sont toujours le résultat de la trouille des maîtres devant l'action des travailleurs. L'autorité ne recule que si elle sent qu'elle risque de perdre le bénéfice de la loi du plus fort.
C'est pour cela que les anarchistes ne se contentant pas seulement d'affirmations platoniques se déclarent prêts à se solidariser à toute action révolutionnaire ayant pour but de porter atteinte à toute forme d'autorité.
La présence de la pensée anarchiste dans la lutte syndicale contribue par-dessus toutes les centrales, à convaincre les travailleurs que l'autorité est l'ennemie de leur bien-être et de leur Liberté. Si le droit à la vie peut être le même pour tous, le principe de la hiérarchie inventé et farouchement défendu par les chrétiens fait qu'il y a des premiers et des derniers, des riches et des pauvres.
La présence de la pensée anarchistes dans le combat ouvrier contribue, contre toutes les centrales, à maintenir sur les lieux de travail les principes d'action directe en dehors desquels toute lutte syndicale est une imposture.
La présence de la pensée anarchiste dans le monde contribuera, face aux hyènes cléricales, aux vautours militaires, à la syphilis capitaliste, et par-dessus l'infect cloaque des gouvernants, à ouvrir la porte de la grande Révolution pour la vraie Liberté, la vraie Égalité et la vraie Fraternité.

Raymond Beaulaton