Tous des ânes : du bâton à la carotte

mis en ligne le 16 septembre 2010
Pour les dominants, nous ne sommes que du bétail à exploiter, une force de travail à entretenir : suffisamment pour assurer la productivité, mais jamais plus que nécessaire.
La métaphore de l’âne est la plus explicite pour comprendre le mécanisme de notre exploitation. Pour asservir les ânes que nous sommes, les dominants utilisent deux instruments : le bâton et la carotte.
Le bâton, c’est-à-dire la coercition, la contrainte, est le plus ancien des deux. C’est aussi celui, historiquement, contre lequel se dressent les anarchistes. La carotte, c’est le confort moderne et la surconsommation, dont dépend directement la croissance.
Alors qu’il s’agit de la principale méthode des dominants dans les pays proies, le bâton, malgré une efficacité uniquement à très court terme, est encore employé au sein des pays prédateurs mais y est à présent principalement utilisé comme piqûre de rappel, car une autre méthode, plus efficace à long terme et ayant déjà fait ses preuves, y a supplanté le bâton.
La focalisation contre le bâton de la part des courants antiautoritaires a laissé le champ libre aux dominants pour mettre au point une arme de domination à très long terme : la carotte. Lorsque l’âne reçoit des coups de bâton dans l’arrière-train, il regarde derrière lui et ne voit pas que sur son dos, le dominant est également celui qui agite la carotte qui pend devant ses yeux. Si tu ne peux vaincre ton ennemi, arrange-toi pour l’acheter. Si tu ne peux agenouiller le peuple, nourris-le.
La carotte est la meilleure méthode de domination, bien plus évoluée et bien plus efficace que le bâton, dont l’emploi ne s’est réellement généralisé qu’au cours du xxe siècle, avec des rendements toujours grandissants. La domination sur les pays proies avait atteint un niveau de rentabilité tel qu’il était devenu plus intéressant de manipuler les pauvres des pays prédateurs que d’agenouiller l’ennemi intérieur, dont les grèves n’avaient plus la même portée dès lors que les productions étaient délocalisées. L’idée de soudoyer la classe ouvrière des pays prédateurs – potentiellement révolutionnaire – à l’aide des ressources des pays proies, fut également l’idée – de génie – de la changer en une classe qui participe à l’exploitation de la nouvelle classe ouvrière et paysanne, c’est-à-dire les pauvres des pays proies.
Tout l’art de l’usage de la carotte consiste à en faire goûter suffisamment pour montrer à l’âne qu’elle a meilleur goût que l’herbe, mais ne jamais lui en donner trop afin qu’il se dirige toujours vers la carotte.
La carotte, ce sont tous ces objets qui étaient auparavant réservés aux nantis et que les classes dominées des pays prédateurs peuvent s’offrir depuis la délocalisation de leur production, c’est-à-dire depuis qu’ils sont fabriqués par de plus pauvres encore.
Être anarchiste aujourd’hui et ne combattre que le bâton, c’est ignorer l’existence de notre principal ennemi.
Mais si l’âne prend conscience que la pâture qu’il broutait depuis plusieurs millénaires lui suffit amplement, qu’il n’a pas besoin des carottes corrompues du capital pour être heureux, et qu’il peut se satisfaire des pâturages le temps d’apprendre à cultiver lui-même ses propres carottes, alors ce jour-là l’âne, d’une simple ruade, désarçonnera le dominant.
Ceci est impossible tant que l’âne est persuadé d’avoir besoin du dominant. Celui qui te nourrit est ton maître. Viva l’âne-archie !

Justine N’Boko