Affaiblissement syndical et réformes de structure

mis en ligne le 15 juillet 2010
HS39Grandjouan
L’affaiblissement du mouvement syndical est un constat que nous faisons tous mais la question reste posée de savoir si c’est le syndicalisme en tant que tel qui s’affaiblit ou si c’est la politique syndicale des hommes et des femmes qui sont à la tête du mouvement syndical qui en porte la responsabilité.
Le chômage de masse est bien sûr une des composantes qui expliquent l’affaiblissement du mouvement syndical ou, d’une façon générale, de la capacité des salariés à réagir aux atteintes à leurs droits acquis. La déréglementation de l’économie encouragée par les gouvernements successifs – qui n’étaient pas tous de droite, rappelons-le – n’explique pas à elle seule l’incapacité du mouvement syndical à réagir contre cette déréglementation.
Nous examinerons la question à travers les interrogations d’un certain nombre de militants de la fédération CGT du Livre. Nous sommes persuadés que les militants d’autres secteurs d’activité se retrouveront dans le présent texte.
Les craintes que certains militants du Livre éprouvaient concernant les projets d’insertion de la CGT dans l’usine à gaz du syndicalisme européen étaient accompagnées de craintes concernant les projets de la fédération du Livre concernant la restructuration de la fédération au niveau national. Ces craintes n’émanaient pas seulement des militants parisiens, loin s’en faut.
La direction fédérale entreprit des réformes de structure qui devaient permettre d’enrayer la baisse dramatique des effectifs. Comme c’est souvent le cas pour les appareils fortement constitués, la solution proposée ne fut pas un accroissement de la capacité d’initiative « en bas » mais une centralisation au sommet.
L’objectif était de supprimer l’organisation existante de la fédération en dix-sept groupes régionaux, ce qui impliquait la suppression des congrès régionaux, de l’élection des comités exécutifs, des bureaux et des secrétariats régionaux. Dans l’espace qui se trouvait entre les syndicats, au niveau local, et la direction fédérale, au niveau national, les structures intermédiaires démocratiquement élues étaient supprimées. À la place étaient instaurées sept « zones » animées chacune par un délégué membre du comité exécutif national (CEN) : en d’autres termes, les structures intermédiaires élues, qui constituaient l’épine dorsale du fédéralisme, étaient remplacées par des militants désignés par la direction fédérale. Concession à la « démocratie », le nouveau délégué fédéral devait être aidé dans sa tâche par des « collectifs » de département ou de site, etc., dont on ne savait trop comment ils étaient désignés. « Les raisons invoquées pour justifier le changement de statuts ne sont pas sans surprendre un esprit cartésien », commenta Jacky Toublet dans Cantonade, le bulletin du Syndicat des correcteurs (n° 193).
« L’objectif visé serait, louable préoccupation s’il en est, d’accroître la vie syndicale dans les entreprises. La modification statutaire adoptée favoriserait cette augmentation générale de la démocratie syndicale parce qu’elle permettrait une “activité décentralisée” de la fédération. Cette version d’une plus grande décentralisation de l’organisation fédérale autorisée par les nouveaux statuts recèle, apparemment, beaucoup d’importance pour la direction de la fédération. La camarade Morel, sans doute afin que l’on comprenne bien, lors d’une intervention d’environ vingt minutes devant le congrès peu convaincu, s’est ingénié à prononcer les mots “décentralisé” ou “décentralisation” toutes les trois ou quatre phrases – une nouvelle illustration de la méthode de persuasion par accumulation » (J. Toublet, ibid.).
En fait, « décentraliser l’activité fédérale » ne signifiait pas dans l’esprit des dirigeants fédéraux accorder plus de capacité d’initiative (et plus de moyens) aux syndicats, mais donner à des dirigeants fédéraux plus de moyens d’intervention dans les affaires internes des syndicats.
Jacques Toublet produisit alors une définition de la décentralisation, tirée de plusieurs dictionnaires, qui ne concordait pas du tout avec ce qui était annoncé : « Il n’existe plus de structures intermédiaires élues entre le syndicat local ou d’entreprise et la direction de la fédération : parler, en cette occurrence, de “décentralisation” ou “d’activités décentralisées” ne relève pas du contresens, c’est, pour parler poliment, une contrevérité ! » La « logomachie fédérale », dit encore Toublet, dissimule un projet qui « revient à envoyer dans les régions, rebaptisées zones, des “agents nommés par le pouvoir central”, tels les missi dominici des Carolingiens, les intendants des Bourbons de la monarchie absolue, les représentants en mission des jacobins, les préfets de l’Empire napoléonien, de la Restauration et des Républiques successives ».
« Comment peut-on prétendre à plus de démocratie syndicale alors que les congrès et les comités régionaux vont être supprimés ? Pour être remplacés par quoi ? Des collectifs réunis par le délégué de zone ? Comment, plus de cent ans après la fondation de la CGT, peut-on sous-entendre que l’informel pourrait être plus démocratique que le formel et le délibératif ? Et les camarades des syndicats de telle ou telle région auront-ils encore le droit statutaire de se réunir entre eux, comme ils l’entendent, ou devront-ils attendre l’autorisation du délégué de zone. Peut-être – qui sait ? – ne pourront-ils organiser une réunion que sous l’œil évidemment fraternel et bienveillant dudit délégué ? »
Un représentant du bureau fédéral déclara au congrès de l’union fédérale des retraités des industries du Livre, du papier et de la communication : a) « Nous avons fait des constats à l’époque dans le sens que des régions fonctionnent, et d’autres pas du tout… » ; b) « La mise en place d’une structure intermédiaire, avec ses élus, ses décisions, n’était pas de nature à confirmer les objectifs d’un syndiqué acteur et décideur, dans un syndicat en lien direct avec sa fédération… »
Ce qui revenait à dire : supprimons ce qui fonctionne parce que le reste ne fonctionne pas. La remarque du représentant fédéral révèle sans doute l’intention réelle du projet : les structures régionales, intermédiaires, avaient une vie propre ; le comité régional et les élus prenaient des décisions et entravaient le lien direct que la direction fédérale entendait instaurer avec les syndicats locaux.
« On comprend mieux pourquoi la fédération estime nécessaire de travestir cette orientation en prétendant qu’elle veut le contraire de ce qu’elle fait. Le double langage et le jésuitisme sont pourtant l’attitude politique la pire possible au sein des organisations populaires. Ces pratiques, outre l’absence d’éthique qu’elles révèlent, érodent peu à peu la confiance des militants de base et des adhérents envers les dirigeants et les organisations qu’ils incarnent. Or ce sont les hommes et les femmes du rang qui comptent vraiment ; ce sont eux qui comptent parce qu’ils travaillent dans les entreprises et vivent dans les quartiers – sans eux, pas d’organisation syndicale réelle, seulement des fantômes juridiques et des généraux impuissants. »
Les mesures de réorganisation étaient jugées nécessaires, selon la direction fédérale, pour faire face à l’affaiblissement du syndicalisme en général, qui ne se limite pas au Livre. Le mensuel de la fédération, Impac (septembre 1999), désigne comme l’une des causes de cette situation la délégation de pouvoir aux commissions paritaires qui aurait contribué à écorner le rapport de forces. On ne semble pas envisager que c’est au contraire l’affaiblissement du rapport de forces qui a diminué l’efficacité des commissions paritaires – une commission paritaire n’étant « efficace » que lorsque derrière les représentants syndicaux se trouve un moyen de pression effectif.
Il faut, dit Impac, « reconquérir le champ syndical » et combattre la remise en cause par le patronat des négociations de branche et des conventions collectives. Il existe un « décalage de plus en plus frappant entre les accords d’entreprise et les conventions collectives » qui doit être combattu afin de faire respecter les conventions collectives là où elles ne le sont pas. Il faut donc une « approche nouvelle de la politique revendicative et du rôle du syndicalisme », approche qui s’oppose à celle des multiples coordinations et « associations éphémères », qui sont condamnées à « disparaître quand colère et mécontentement » sont tombés, tandis que la fonction du syndicat est d’être une organisation permanente. Le rapport d’Impac affirme que « le syndicalisme a un rôle durable à jouer » et qu’il doit prendre sa place dans le mouvement social.
La question des coordinations constituées pendant les grèves de 1995 était, aux yeux de la direction fédérale, extrêmement sensible. Les grèves de 1995 avaient été menées sous le signe du métier. Les coordinations, constituées en marge des syndicats, n’avaient le plus souvent été rien d’autre que la forme d’organisation de catégories professionnelles détentrices d’un savoir-faire (infirmières, agents de conduite de la SNCF), dont les syndicats n’assuraient pas correctement la représentation : ces coordinations exprimaient la volonté de nombre de salariés de maîtriser leur lutte, de décider eux-mêmes de leurs mots d’ordre, de parler de leur métier, ce qui n’a pas du tout empêché en même temps une mobilisation intercatégorielle de grande ampleur et la remise en cause des effets de la mondialisation.
Cette mondialisation, ainsi que les contours que prenait l’Europe, lançaient effectivement un défi au syndicalisme. Il n’est pas certain, cependant, que les syndicats et les militants se soient montrés incapables d’« apprécier ce que cela supposait de modifications, de changements, de manières de travailler nouvelles » (Impac). Il n’est pas certain non plus, contrairement à ce qui est suggéré dans Impac, que seule une direction fédérale soit capable de « réfléchir », d’« anticiper », de percevoir les changements et les « modifications dans la société » tandis que les « militants centrés sur leur entreprise » se laissent aller à « l’émotion que la situation sociale du moment ou d’un endroit spécifique suscite ».
Cette analyse reflétait parfaitement la perspective dans laquelle se situait la réforme proposée par la direction fédérale, réforme qui visait à liquider les structures intermédiaires du syndicalisme, lesquelles constituent précisément le fondement du mouvement syndical français. Il y aurait donc les travailleurs cantonnés à leur entreprise, ayant une vision nécessairement étroite, et la direction fédérale, qui a une vue globale. Et rien entre les deux. C’est ce qu’on lit dans Impac : « Il est naturel qu’une direction fédérale perçoive des changements, des modifications dans la société et les solutions qu’il faut y apporter pour le syndicalisme, plus tôt que des militants centrés sur leur entreprise. »
Il est certain, dans cette logique, que si on supprime tout ce qui est intermédiaire entre l’entreprise et la direction fédérale, cela réduit d’autant la capacité globale de l’organisation à réfléchir.
Le syndicalisme serait donc une affaire exclusive d’entreprise. Il n’y a de syndicat que le syndicat d’entreprise. « Nous avons défini à Strasbourg la nécessité d’orienter toute l’activité fédérale prioritairement vers l’entreprise, vers le lieu de travail, vers nos structures d’entreprise », dit un document fédéral. « La reconnaissance du syndicat d’entreprise est une conquête extraordinairement importante s’il fonctionne comme il faut. » Entre l’entreprise et la direction fédérale, il n’y a rien, par conséquent. Pourtant, le syndicat d’entreprise n’est pas du tout une tradition du mouvement ouvrier français, qui est fondé sur le syndicat ayant un fondement géographique, avec des sections syndicales d’entreprise, ce qui n’est pas du tout la même chose. Le mot « section » est parfaitement explicite : une section syndicale est un « morceau » du syndicat dans l’entreprise, le syndicat lui-même ayant une assise plus large, locale ou régionale, englobant plusieurs « sections ». La vision du syndicat ne saurait donc être limitée à l’entreprise.
Une tribune libre parue dans le bulletin des correcteurs et consacrée à la critique du projet fédéral conteste catégoriquement que les militants syndicaux aient nécessairement une vision limitée à la sphère locale : « Il y a des adhérents de base tout aussi capables de mesurer les enjeux de la mondialisation, mais qui n’ont tout simplement pas envie de devenir des permanents fédéraux… Sans espérer que chaque syndiqué individuel puisse ou veuille contribuer à une réflexion sur les grands enjeux stratégiques, cette réflexion peut quand même être une œuvre collective dans une organisation syndicale. Entre l’élitisme de type léninien et la démagogie basiste, il y a un moyen terme » (René Berthier, « Comment la Filpac “décentralise” », Cantonade n° 193, novembre 1999).
Cependant, la pratique quotidienne tend à un encouragement implicite au localisme. L’accent mis sur la constitution de syndicats d’entreprise conduit à une situation où dans certaines entreprises on a un syndicat avec cinq adhérents (voire moins), ce qui n’a pas de sens. Dans une configuration normale, il y aurait dans l’entreprise une section du syndicat de la ville ; c’est-à-dire que les cinq adhérents en question seraient membres d’une structure plus large qui leur fournirait de la « logistique », et ils seraient forcément moins isolés. Cette situation, dont l’alibi est la « décentralisation » et le « retour à l’activité dans l’entreprise », ne présente d’avantage que dans la perspective d’une volonté d’accroître la centralisation réelle de l’organisation : les petits syndicats se trouvent ainsi complètement dépendants de la fédération. Autre conséquence : l’existence de cinq syndicats d’entreprise dans une même localité à la place d’un syndicat avec cinq sections syndicales présente l’avantage d’une plus grande dispersion politique et réduit les risques de concertation en cas de désaccord sur les orientations fédérales.
Il convient de dire cependant que les modifications de structure proposées par la direction fédérale ne relevaient pas toutes d’intentions machiavéliques et qu’elles étaient en partie parfaitement fondées. Le constat avait été fait de la modification sociologique de la classe ouvrière ou, pour parler politiquement correct, du salariat.
Il y a moins d’ouvriers, plus d’ingénieurs, de cadres, etc. Il y a également des modifications dans les structures économiques avec la prépondérance des services.
« La démarche unitaire nécessite une implication nouvelle des salariés et des syndiqués dans l’activité du syndicat ; et cela change aussi le fonctionnement du syndicat en lui-même » (Impac, septembre 1999).
On a affaire à « des industries et entreprises qui ne sont plus ouvrières dans leur majorité, qui se sont fortement féminisées, dont le salariat est globalement traversé par de multiples organisations syndicales et par de nombreuses diversités ». Il faut donc « s’ouvrir à d’autres secteurs d’activité à culture salariale différente, faire une place aux employés ». Il s’agit aussi de préserver, en quelque sorte, ces populations des modes d’organisation et méthodes d’action des ouvriers ; ainsi peut-on lire : « Nous n’avons pas imposé à ces salariés notre vision des choses inspirée de notre fonctionnement séculaire, mais nous sommes partis de leurs attentes et de leurs volontés. » Les moyens proposés consistaient d’une part à diluer l’organisation, d’autre part à concentrer les décisions.
Selon la Filpac, la question est moins d’organiser que de rassembler : « Gagnera celui qui rassemblera le plus pour peser le plus lourd. » Peser plus lourd où ça ? « Consulter les salariés sur le résultat d’une négociation », peut-on lire, « n’est pas seulement légitime, mais relève d’une volonté politique lourde (sic). D’abord, nous disons bien les salariés et pas uniquement les syndiqués. »
On veut nous rassurer, « c’est le syndicat qui est le garant de la démocratie et cela commence par le syndicat lui-même », mais sans doute s’agit-il du syndicat d’entreprise dont on nous vante les mérites.
Le fait qu’un syndicat consulte les « salariés » (c’est-à-dire les non-syndiqués) n’a rien de particulièrement original. Le problème n’est d’ailleurs pas là, mais dans le fait que les syndiqués doivent continuer à être ceux qui déterminent les orientations de leur syndicat, sinon ils peuvent tout aussi bien faire l’économie de leurs cotisations syndicales. Il ne semble pas être fait de différence entre la consultation des « salariés » dans le cadre d’une lutte ou d’une négociation et la définition par les syndiqués de l’orientation du syndicat. Sans doute cette distinction est-elle caduque dans la mesure où les orientations sont définies par la fédération…
Le « choix d’une décentralisation de l’activité fédérale avec pour cible le lieu de travail », « l’octroi de réels pouvoirs d’action et de décision aux structures syndicales sur le lieu de travail », la nécessité de « recentrer notre travail fédéral vers le lieu de travail » sont des mesures qui retiennent évidemment l’attention dans la mesure où il est question de « décentralisation » et de pouvoir de décision à la base, mais il ne s’agit là rien d’autre que de demander aux militants syndicaux dans les entreprises de faire leur travail syndical, et ils n’avaient probablement pas attendu les injonctions de la fédération pour le faire.
La crainte formulée dans les débats sur la « décentralisation » était que l’instauration de délégués fédéraux conduise à liquider de fait toute instance intermédiaire entre l’entreprise et la direction fédérale, ce qui équivalait à une centralisation masquée, qui ne voulait pas dire son nom. On soupçonnait que le discours sur la décentralisation masquait en fait une centralisation quasi totale de l’appareil syndical.
Dans une structure fédérale, les adhérents ne déterminent pas, par un processus référendaire ou identique à celle d’une élection présidentielle, la composition et les orientations de la direction fédérale, ils déterminent les orientations de leur syndicat et mandatent celui-ci pour défendre leurs positions dans les instances fédérales. Le syndicat (il ne s’agit pas ici du syndicat d’entreprise) est donc un intermédiaire entre le syndiqué et la fédération, et cette « intermédiation » est ce qui fait la vie de l’organisation syndicale.
Si cette vie syndicale n’existe pas, c’est qu’il y a des dysfonctionnements qu’il faut régler, mais il n’est pas certain que ce soit en nommant une sorte de « préfet » qu’on réglera le problème. La solution qui est mise en place par la fédération consiste en réalité moins à décentraliser qu’à diluer l’organisation pour ensuite mieux centraliser. (« Comment la Filpac “décentralise” », op. cit.)
L’agent de cette centralisation est évidemment le délégué fédéral, nommé par la fédération, et qui est « un dirigeant fédéral prioritairement chargé d’animer l’activité Filpac dans les bassins d’emploi ». Un permanent syndical serait donc mieux placé pour ce travail que les délégués régionaux élus ou les équipes qui animent les unions départementales ou les unions régionales. Cela restait à prouver.
La décentralisation version Filpac consistait en quelque sorte à envoyer un permanent fédéral dans les « structures locales » de la Filpac. Mais si les syndicats, les unions locales et départementales ne sont pas capables d’animer l’activité syndicale là où ils sont implantés, on pouvait se demander à quoi ils servaient, et on ne voyait pas en quoi l’envoi d’un permanent fédéral changerait grand-chose.
D’ailleurs, on ne savait pas très bien ce qu’étaient ces « zones fédérales » que la Filpac voulait instaurer à la place des structures régionales élues. La « zone fédérale », de l’aveu même de la direction fédérale, n’était « pas une structure constitutive de la fédération ». On apprend ainsi que « la définition des contours des zones est très arbitraire et peut évoluer en fonction de nécessités ». Par ailleurs, « l’absence de règles formelles de fonctionnement (par exemple statutaires) ne nuit pas à la mise en place, par les syndicats d’un bassin d’emploi, d’une équipe chargée d’impulser l’activité Filpac ».
En somme, un permanent syndical nommé par la fédération allait exercer son autorité sur une zone dont le contour est défini comme arbitraire, et en se fondant sur des règles non statutaires.
Les militants les plus critiques ne purent s’empêcher de penser que l’impasse qui était faite sur les structures intermédiaires de l’organisation visait en fait à accroître le contrôle du centre sur la périphérie, à limiter les fonctions dirigeantes élues et à assurer aux délégués de zone un pouvoir de type préfectoral. Il s’agissait d’une véritable dérive bonapartiste du syndicalisme.
Les « réformes de structure » adoptées par la direction fédérale du Livre étaient destinées à faire éclater les structures syndicales pour les mieux contrôler. La décentralisation masquée équivalait en fait à une centralisation. Un mot sinon nouveau du moins dans une acception nouvelle était apparu : « fédéraliser », « confédéraliser ». Pour le syndicaliste de base, cela signifiait évidemment le contraire de centraliser. Dans la langue de bois bureaucratique, cela signifiait : accroître l’intervention de la fédération, de la confédération dans les décisions des syndicats. La mystification au niveau du vocabulaire n’était évidemment pas innocente.
L’un des enjeux, et pas le moindre, dans cette affaire, était l’insertion de la CGT dans l’usine à gaz du syndicalisme intégré aux institutions européennes.