Une rentrée prolétarienne

mis en ligne le 24 septembre 2009
Le titre de l’ouvrage de Philippe Geneste, Le Travail de l’école : contribution à une critique prolétarienne de l’éducation 1, à première lecture, pourrait étonner mais l’auteur n’appartient pas à un groupe de maoïstes décadents et attardés mais s’inscrit dans la grande tradition de la lutte prolétarienne et syndicaliste révolutionnaire à la suite de Marcel Martinet et d’Albert Thierry. Cependant, à la lecture du texte, malgré ma sympathie pour ce courant, le qualificatif « prolétarien », souvent employé, apparaît parfois désuet. Mais, au-delà de ce détail lexical, le livre de Philippe Geneste se propose de conduire une analyse prolétarienne et approfondie du système éducatif à l’aide de textes législatifs ou règlementaires récents concernant à la fois la formation initiale et la formation continue.
Après avoir rappelé aux oublieux que « la question éducative appartient à la question sociale », l’auteur démontre qu’après l’échec des mouvements sociaux de 2003 et la grande grève enseignante tous les textes récents, que ce soit la loi Fillon de 2005 ou la loi sur la formation professionnelle tout au long de la vie votée en 2004, convergent dans le même sens, à savoir dans l’intérêt du patronat 2. En effet, tout tend à développer tant chez les élèves que chez les adultes le fameux « esprit d’entreprise », ou en d’autres termes de nous faire accepter l’aliénation et la domination du capital sur le travail en préparant une main d’œvre à la fois docile mais surtout hautement qualifiée et si possible peu payée.
Pour aider à sa démonstration, l’auteur s’appuie aussi sur des travaux plus ou moins récents de la sociologie et de la psychologie. Ainsi convoque-t-il classiquement le concept de reproduction et la notion de darwinisme social. Ce qui apparaît plus convaincant dans son analyse, qui, avec force arguments, montre que ce mouvement touchant l’éducation remet au goût du jour et des intérêts du capital une vieille lune, en particulier celle de l’innéité de l’intelligence et des aptitudes. Vieille théorie éculée et au demeurant fausse, mais qu’importe aux imposteurs, il s’agit simplement de faire accepter volontairement les hiérarchies et les classements sociaux et de légitimer ainsi l’exploitation des uns et l’exclusion des autres au nom de la méritocratie. En bref, de renouveler le processus de soumission volontaire. Si la démonstration de Philippe Geneste est très convaincante quant à la dimension maréchaliste de certains textes concernant l’enseignement initial professionnel, si sa critique de la compétence – et sa dimension comportementaliste – qui vise bien à tuer le système des qualifications, est juste et si sa lecture de la loi sur la formation professionnelle s’avèrent pertinentes, son interprétation de la loi de 2002 sur la validation des acquis de l’expérience (VAE) demanderait a être débattue. Notons toutefois que l’auteur, même s’il critique cette loi, certes imparfaite, convient qu’avant même la loi le prolétariat depuis longtemps avait bien conscience que sa besogne était apprenante. Un autre point qui mériterait aussi discussion, c’est celui de l’intérêt de la pédagogie de l’alternance qui articule théoriquement temps d’apprentissage et temps d’expérimentation en entreprise. Sur cette dernière, l’auteur est très critique car elle a permis dans certains cas d’organiser la relégation scolaire et l’exploitation des plus jeunes, ce qui est vrai. Mais, la césure entre le travail et l’école est-elle légitime ? Il serait bon en l’état de reprendre notre réflexion et de revisiter sur ce point quelques grands textes de Proudhon ou de l’AIT et de se remémorer les expériences « d’école-atelier » comme celle de la Ruche de Sébastien Faure.
Pour conclure, ce livre dénonce avec force, et c’est tant mieux, la logique de l’employabilité au détriment de la logique du savoir et du connaître pour s’émanciper.
On peut regretter toutefois, au-delà de la stigmatisation des grandes confédérations syndicales qui globalement avalisent le processus de professionnalisation de l’éducation, que les préconisations ne soient pas plus développées dans l’ouvrage et surtout que l’auteur ne précise pas plus avant une notion qui lui semble chère, celle « d’éducation polytechnique et polyvalente 3 ». Par ailleurs, Sans être dupe d’une quelconque idéalisation d’un service public qui ne résoudrait rien, Philippe Geneste, hormis l’évocation d’un vague contrôle syndical, n’avance que peu de propositions de lutte immédiate et sur ce point le lecteur restera sur sa fin. Mais il est vrai que, pour ce faire, il faudrait déjà reconstruire le syndicalisme, et là, les anarchistes ont, comme en 1895 4, toute leur place.


1. éditions Acratie, La Bussières, 15 euros. En vente à la Librairie du Monde libertaire, 145 rue Amelot, Paris XIe.
2. L’auteur souligne à juste titre que cette inféodation de l’éducation au professionnel est partagée par tous les gouvernements. Mélenchon, en 2001, alors chargé de l’enseignement professionnel dans le gouvernement Jospin, a lui aussi œuvré dans de sens.
3. Même si ces termes fleurent bon le fouriérisme et le proudhonisme, ils mériteraient d’être repensés à l’aune de nos connaissances et de nos projets contemporains.
4. Voir l’appel aux anarchistes lancé par Fernand Pelloutier dans Les Temps nouveaux du 2 novembre 1895.