Un géopolitologue du sport au pays des islamistes et du flouzeball *

mis en ligne le 20 mai 2010

L’Iris, l’Institut de relations internationales et stratégiques est une association reconnue d’utilité publique – ils font bien de le préciser sur leur site ! Intéressons-nous à son directeur, Pascal Boniface. Dans son dernier « livre », Pourquoi tant de haines (Éditions du Moment), il est présenté en quatrième de couverture comme spécialiste de la « géopolitique du sport ». Cet ensemble de feuillets imprimés recto verso et reliés entre eux (soyons objectifs) avait pour objet de s’en prendre à ceux ayant osé critiquer un footballeur qui, en trichant (il a marqué un but de la main), avait qualifié l’équipe de France pour la grand-messe des crétins en crampons qui se tiendra cet été en Afrique du Sud. Feuilletant ces pages, on trouvait avant tout des attaques ad hominem, car, selon l’auteur, « ce geste [la main du footballeur] a été condamné par des personnalités dont pourtant chaque instant de la vie n’est pas exemplaire, qui ne sont pas toujours à la pointe de l’arbitrage des élégances, dont la pureté morale [sic] comporte des zones d’ombre » (p. 11). À ce catalogue non raisonné, notre chevalier de la morale mêlait maladroitement une défense inconditionnelle des milliardaires jouant à la baballe, et qui, eux, « ne génèrent pas du chômage mais des emplois » (p. 48).
Ce florilège de propos de comptoir a fait l’objet d’une promotion impressionnante dans les principaux médias, à laquelle on a aisément accès en devenant « fan » de la page de Boniface sous Facebook. L’expérience est édifiante. Le 11 février, notre grand spécialiste de géopolitique écrit : « 15 500 militaires et policiers, un coût de 667 millions d’euros (sur un budget global de 3,9 milliards d’euros) pour la sécurité des JO de Vancouver. Pas une zone géopolitique à risque, pas de mouvement séparatiste armé comme en Angola ou de violence quotidienne élevée comme en Afrique du Sud. Désormais, les événements sportifs mondialisés seront toujours entourés de dispositifs impressionnants de sécurité. Leur hypervisibilité est le gage d’une hyperfragilité. » On aurait pu espérer du fin géopolitologue une lueur de lucidité sur la nature réelle de cette manifestation, mais non ! 1
Passé la mi-février, tout s’emballe pour la promo de son livre : le mardi 16, c’est France Info à 8 h 45 puis le « Grand journal » de Canal+ en soirée ; le 3 mars, on l’entend au « Fou du roi » et le lendemain dans l’émission « Les grandes gueules », sur RMC. Le 9 mars, il nous annonce qu’il « sera ce soir à "C dans l’air" à propos de l’équipe de France et Raymond Domenech ». On le retrouve ensuite au forum-débat de Beur FM, « sur l’actualité internationale et son livre Pourquoi tant de haines ».
Mais il ne faut pas croire qu’il ne pense qu’à la promo de ses écrits ! Le 23 mars, il gratifie ses « fans » de cette information : « Pascal Boniface [était] heureux d’avoir organisé ce matin une réunion au siège de la Fédération française de football entre Jean-Pierre Escalette et Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, sur le problème des enfants étrangers privés de licence pour lutter contre le traffic [sic] de jeunes joueurs. » Comme si les formes d’esclavage moderne que la planète foot a mises en place allaient être critiquées par M. Boniface !
Et il voyage, le bougre ! Toujours sur Facebook, il s’est enorgueilli de participer, du 28 mars au 1er avril, au séminaire franco-chinois organisé par Mme Fu Ying, vice-ministre des Affaires étrangères, destiné à préparer la visite en Chine du président Sarkozy à la fin du mois. Le Figaro, dans son édition du 2 avril, nous apprenait que « la rencontre a [vait] été organisée par les autorités de Pékin, soucieuses de mieux faire passer leur message auprès d’une opinion publique française qu’elles jugent parfois « antichinoise » ». Enfin, last but not least, toujours le 2 avril, le grand voyageur postait sur sa page : « Conférence demain au Bourget à 11 h 40 pour la réunion annuelle de l’UOIF sur le thème « Conflit des civilisations : une peur légitime ? » ». L’UOIF, c’est l’Union des organisations islamiques de France, le fer de lance des Frères musulmans, violemment hostile à la laïcité. Les conférences du congrès étaient retransmises en direct sur l’internet. Dans une salle mêlant femmes voilées et barbus, Boniface a tenu des propos tout simplement démagogiques, quelques heures avant Tariq Ramadan. Critiquant (avec raison) la théorie du choc des civilisations (de Samuel Huntington), il s’est plaint du fait qu’aujourd’hui la présence occidentale dans les pays arabes soit « vingt-deux fois plus importante qu’au temps des Croisades » – comparaison dénuée de sens. Mais l’essentiel de son propos concernait la lutte contre le terrorisme. Et là, pas un mot sur l’islamisme ! Bien sûr, dans le conflit israélo-palestinien, il a plaidé pour une solution de deux États et un partage de Jérusalem en deux capitales (et on peut le rejoindre sur ce point), mais il est pour le moins curieux que le simple nom d’Al-Qaida n’ait pas été mentionné dans sa conférence. Sa conclusion fut : « La meilleure façon de s’attaquer au terrorisme, c’est de lutter pour qu’enfin les Palestiniens puissent exercer leur droit légitime [droit des peuples à disposer d’eux-mêmes]. » Un peu léger, non, pour un géopolitologue ? Le 6 avril, juste après son intervention chez les barbus, Boniface invitait dans son institut quelques personnes triées sur le volet pour écouter Alain Cayzac qui donnait « les clefs de la réussite pour mériter sa Rolex » (titre de la conférence). Cayzac, c’est l’ancien président du PSG, qui sort justement un livre, Tout ce qu’on ne vous a pas appris à l’école aux Éditions du Moment chez qui vient de paraître le « livre » de Boniface. Reste à voir si les barbus de l’UOIF auront le droit, eux aussi, à leur retour d’ascenseur, et sous quelle forme.

Jérôme Segal


*. Pour une critique radicale du sport marchandisé, voir la revue Quel Sport ? (quelsport.org), notamment le n° 10/11, décembre 2009, « Flouzeball : les crétins du crampon », p. 143-161.
1. Pas un mot, par exemple, sur le conflit opposant les Indiens habitant la région choisie pour les JO et les autorités olympiques (voir « Voleurs olympiques », Le Monde libertaire, n° 1585, p. 12).