Deux planches, trois clous : le bon label

mis en ligne le 15 octobre 2009
Acte Ier
« Prions, prions, prions ! » meuglaient les vaches dans les prairies d’Albion. Même pour des non-papistes, ça interpelle. Coups de filet dans les troupeaux, interrogatoires saignants, et les meneuses se sont vite mises à table : elles étaient folles. Folles d’un certain Creutzfeldt-Jakob, qui faisait trembler les moutons et s’écrouler les vaches (de mettre leurs pattes dans le même sabot). C’est ainsi que débuta outre-Manche, à la fin des années 80, cet heureux temps où crier à tout bout de champ « Mort aux vaches ! » était politiquement correct.
Mais pas de ça chez nous, bien sûr ! Au pays de Descartes, nos vaches à nous, Monsieur, ne sont nourries qu’à la Raison, et, dans les champs et les étables, la Marguerite, la Blanchette, la Noiraude ou la Lily continuaient à tailler des bavettes avec l’esprit de géométrie. Le consommateur devait en être convaincu et pouvoir s’en remettre à cet indice incontestable de qualité : le caractère français de la viande. La profession créa illico un label VBF (viande bovine française), dont le slogan, ô combien rassurant, était « Veau [ou bœuf] né, élevé et abattu en France ».
Quel formidable raccourci : à peine le veau sort-il la tête du cul de sa mère qu’il pourrait presque déjà apercevoir le bout du pistolet électrique qui le foudroiera plus tard. De quoi vous faire devenir végétarien, non ? Et pour quelle symbolique ce résumé tragique d’un destin de veau ? Pour celle de la France, tout à la fois lieu et motif d’une consommation sûre. Consommateurs, ayez la foi du charbonnier pour le foie de veau français !
Une catastrophe chassant l’autre au box-office des informations, les moutons ont fini par ne plus trembler, les vaches ont recouvré leurs esprits et les bouchers n’ont pas toujours renouvelé leurs étiquettes « VBF ».

Acte II

Me voici, plusieurs années plus tard, à un mariage « complet », comme les kebabs : salade, tomates, oignons, viande, frites, et sauce blanche sur le pain. En l’occurrence, la sauce blanche consistait en la cérémonie à l’église ; papiste et de la tendance triste et doucereuse pour être précis. Je ne défends certes pas les Églises, mais à combattre, je préfère la religion assumée, avec son vrai discours sur la transcendance et la masculinité, fondements de ses schémas de domination, et non pas les discours pseudo consensuels, et d’autant plus perfides.
On se levait, on s’asseyait, on se relevait, certains chantaient, on se rasseyait. Quelques monstruosités banales sur Dieu à l’origine de tout et l’Amour plus grand que l’amour (sic). À ce dernier égard, la première lettre de saint Paul aux Corinthiens se termine par une polysémie révélatrice. Après avoir prêté à l’amour les vertus morales et sociales les plus hautes, la phrase de fin assène : « L’Amour ne passera jamais. » L’acception de passer pour disparaître étant plus désuète que celle d’avancer ou franchir, on crut entendre à ce moment-là une inversion des premières campagnes contre le sida (« Le sida, il ne passera pas par moi »). Du pape au dernier des curetons, le vrai message de l’Église catholique est, de fait : « L’Amour, il ne passera pas par moi ! »
Hormis ce moment quasi luciférien, l’ennui l’emportait et je peinais à le combattre mentalement en me remémorant les tentures de la Bible surréaliste de Gisèle Prassinos, merveilleuse œuvre féministe en ce qu’elle va combattre le principe de transcendance masculine directement dans les représentations traditionnelles des récits biblique et évangéliques, pour y replacer notamment des références plus proches du mythe originel féminin de la Grande Déesse : son principe de vie à la base (dans tous les sens du terme) sans recours à des schémas de domination *.
Vint la liturgie eucharistique avec l’ana-mnèse (qui comme chacun sait est constituées par les prières à la mémoire de la Passion, de la Résurrection et de l’Ascension). D’une oreille distraite, j’entendis ceci : « Christ est venu, Christ est né, Christ a souffert, Christ est mort, Christ est ressuscité, Christ est vivant, Christ reviendra, Christ est là. » Surgit alors la vision du label VBF, que je substituai mentalement en : « Christ né, élevé et abattu en France ! »
Quelle vision réjouissante pour un anticléricalisme paillard, au demeurant fort cohérent vis-à-vis d’une religion qui revendique le cannibalisme à travers l’eucharistie. De quoi vous faire redevenir carnivore, non ? !
Anarchistes et athées de tout poil, n’ayez plus peur de la maladie de Christfeldt Jakob ! Exigez et consommez la VCF, Viande de Christ Française, certifiée de Christ né chez les faibles d’esprit français, élevé dans les églises françaises, et abattu dès que possible par des anticléricalismes de France.
Ami lecteur, bon appétit ! Et ensemble scandons : tous les prophètes à l’abattoir !

Cettia Cetti, groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste

*. Se procurer absolument le livre La Bible surréaliste de Gisèle Prassinos commentée par Annie Richard, Éditions Mols, 2004 (disponible à la librairie du Monde libertaire, librairie-publico.com