Trafiquants de mots ou le bal des menteurs

mis en ligne le 6 mai 2010
Bouffonnerie télévisuelle de droite
Il fut une époque où la télévision de masse était intellectuellement corrompue par ses histrions gonflés aux hormones de la vanité, gavés comme des oies d’une mixture grasse composée d’un tiers de leur ineptie, d’un tiers de leur suffisance et d’un tiers de leur inculture. Cette époque, c’est la nôtre… Je ne prendrai ici que deux exemples de cette « société du spectacle » : Claude Allègre et Éric Zemmour.
C’est principalement la télévision (privée et publique) qui a permis au bonimenteur Allègre d’organiser le plan marketing grâce auquel il a vendu en quelques mois 120 000 exemplaires de son brûlot L’Imposture climatique. On peut estimer que le beauf des entrailles de la Terre s’est goinfré plus de 200 000 euros ! Merci aux benêts qui ont acheté ce livre, attirés comme des mouches par une doxa du genre « Il dit le contraire du consensus des dominants, ça doit être vrai… ». Merci aux cons qui lui servent la soupe, pensant ainsi être de vrais « pros de l’info », englués qu’ils sont dans l’idée sotte qu’en science aussi la pseudo-démocratie prime et que, de fait, à une idée x doit nécessairement être opposée son contraire, anti-x. Dans ce cas, pourquoi ne pas faire médiatiquement prospérer les hurluberlus qui pensent que la Terre est plate, ou encore les faussaires créationnistes ? à la télé, on n’assiste à aucun débat, au vrai sens du terme, à aucune confrontation contradictoire entre un Allègre aux certitudes boursouflées et les acteurs légitimes de la recherche sur le changement climatique. Non, surtout pas, ce serait chiant et plat, tous ces chiffres, ces simulations numériques, ces courbes, ces incertitudes ou ces faits avérés dont il faut expliquer en détail la genèse, les méthodes, les bilans. Au lieu de cela, une tribune offerte avec complaisance par des gens qui ont cessé d’exercer le métier de médiateur – celui qui transmet – pour n’être plus que les godillots des auteurs les plus déficients. Pourtant, sans avoir à être un expert du climat 1, mais à condition d’être doté d’une vraie culture scientifique et épistémologique en lieu et place d’a priori infondés, ou encore d’avoir un peu de mémoire (ce qui est la moindre des choses pour un journaliste), il est patent qu’Allègre a cessé depuis longtemps d’être un scientifique crédible lorsqu’il s’aventure hors de son domaine 2. Ceux qui le connaissent vraiment, et non ceux qui le découvrent à l’occasion de sa dernière tocade, le savent pertinemment. (Rappelez-vous : c’est encore ce même Allègre qui affirmait qu’il n’y avait pas de problème d’amiante à l’université de Jussieu – trafiquant de mots, vous dis-je.) Allègre, depuis une vingtaine d’années, est devenu un politicard et un dévidoir de grosses ficelles, dont la « qualité » principale est de produire (au sens manufacturier du terme) des monceaux de livres criblés d’erreurs ou d’approximations, mais auxquels une presse télé et écrite d’une indigence intellectuelle sans nom assurent une promotion exceptionnelle. La liste de ses erreurs, de ses inepties est si longue que la restituer dans Le Monde libertaire demanderait un travail méticuleux de compilation et d’analyse nécessitant plusieurs articles… Je ne rappellerai que le cas de son Introduction à une histoire naturelle (1992), où le géochimiste qu’il est se targuait d’écrire sur la biologie, exercice qui se révéla calamiteux. À la fin d’une recension de ce livre, je concluais que l’élève Allègre aurait eu une note éliminative au bac. L’homme est persévérant et sa méthode fruste et paresseuse l’a conduit, cette année encore, à pondre un texte une fois de plus ridicule et vain.
Nul doute qu’Allègre et Zemmour – certes dans un tout autre registre – sont, en tant qu’outres vides de sens mais pleines d’arrogance, les signes éloquents d’une forme spéciale de décadence de l’entendement, celle du scepticisme généralisé et indifférencié. Le premier voit des imposteurs partout (« Je ne crois pas aux conclusions du Giec, aux « réchauffistes » », c’est mon droit) ; l’autre voit en tout Arabe et tout Noir des dealers, ou, le 6 mars, sur la chaîne France O, déclare avec son aplomb habituel que « les employeurs ont le droit de refuser des Arabes ou des Noirs », en justifiant cette saloperie par sa coutumière philosophie de comptoir (de la cafétéria du Medef), selon laquelle « discriminer, c’est choisir, c’est la vie et la vie est injuste ». Il lance alors cette éructation : « Je ne crois pas, et ne veux pas, que les humains soient égaux et puissent vivre ensemble », c’est mon droit.
Le premier est incontestablement un imposteur intellectuel au sens défini par Sokal et Bricmont, dans leur fameux livre de 1997, Impostures intellectuelles (ou dans celui auquel j’ai participé en 2001, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences) 3. Allègre parle depuis un promontoire – en l’occurrence son statut de scientifique – pour traiter de sujets qu’il ne connaît que superficiellement, tout en réclamant une pleine légitimité pour lui seul, en la refusant à ceux qui sont les experts légitimes.
Le second, pourfendeur des médias (« bien-pensants ») alors même qu’il en est un ustensile omniprésent, est une sorte de Juif honteux, comme le fut le polémiste professionnel Karl Kraus dans la Vienne du début du XXe siècle – bien sûr, la comparaison s’arrête là car Zemmour est un microbe à côté de Kraus, illuminé et génial 4. Le vermisseau du PAF ne cesse, au fil de ses pléthoriques interventions radiophoniques et télévisuelles, de trouver des excuses aux curés complices de la pédophilie galopante au sein de l’Église de Rome, de rendre hommage à cette dernière avec une déférence indigne. Son intervention du 18 janvier 2010 sur RTL, au sujet de Pie XII, souverain de la catholicité durant la Deuxième Guerre mondiale, est à cet égard exemplaire quand il défend avec une sidérante fougue « génuflexive » la mémoire de ce pape pourtant antisémite et complice tacite de la horde nazie (« Quoi de plus normal pour un pape », me direz-vous). Que dire aussi de ses déclarations sur l’existence des races humaines ; sur le scandale, à ses yeux, que représente le droit de tout un chacun, en France, d’attribuer à ses enfants un prénom étranger ; sur son assimilationnisme forcené ? Tout cela signifie : « Regardez, je suis plus français que vous, les Dupont-Durand, malgré mon patronyme (berbère, quelle plaie !), malgré mes origines, regardez comme je vous singe parfaitement, vous les Français de souche, les Français essentiels, les chrétiens. » Ainsi que le disent ses affidés des médias, ses admirateurs des feuilles cathos se délectant de sa papophilie surannée, Zemmour n’est aucunement raciste ! Ben voyons…

Des papes, oui mais des pédophiles !
Richard Dawkins est un important biologiste de l’évolution. Bien que ne partageant pas sa conception de la génétique (tout en appréciant sa théorie du « phénotype étendu »), je suis très admiratif de son action en faveur de l’athéisme et de la critique des religions. Dans son livre The God Delusion (traduit en français ainsi : Pour en finir avec Dieu), Dawkins argumente en faveur de l’idée que la question de l’inexistence de Dieu est redevable d’une réponse scientifique. L’hypothèse « Dieu » est testable et réfutable par les moyens de la science, au même titre que n’importe quelle hypothèse portant sur la nature et la structure du monde. Inutile de préciser que pour Dawkins, cette hypothèse est hautement improbable, et qu’il s’agit donc pour les diverses sciences anthropologiques de chercher les raisons de la prégnance de cette idée si largement partagée. Mais Dawkins n’est pas qu’un théoricien de l’athéisme, il est aussi un activiste assez gonflé. En effet, avec le militant athée Christopher Hitchens (journaliste anglais, virulent critique de Kissinger, de Mère Teresa, dans La Position du missionnaire. Mère Teresa en théorie et en pratique, et des religions, dans Dieu n’est pas grand. Comment la religion empoisonne tout), il veut faire arrêter Benoît XVI pour « crimes contre l’humanité » et le faire traduire devant la justice britannique et la Cour pénale internationale de La Haye pour « dissimulation institutionnalisée de viols d’enfants ». Bien entendu, le droit bourgeois est là pour protéger le pape en arguant qu’il bénéficie de l’immunité en tant que chef d’État. Rappelons ici que le Vatican est un État fantoche… Reste que le geste de Dawkins et Hitchens est courageux et rare, dans un monde où la révérence vis-à-vis de la théocratie vaticane est la règle tacite de la confrérie des lâches.

Crash-test
Allez Louya ! Le président polonais Lech Kaczynski s’est crashé en avion, avec tout un aréopage de dignitaires (dont les principaux chefs militaires et – cerise sur le vatrouchka – l’aumônier catholique de l’armée polonaise, l’évêque Tadeusz Ploski). La Pologne n’a plus de gouvernement et la Pologne est en deuil, pleurnichent les médias. Mais tous ces Polonais, dans leur ferveur immaculée, devaient pourtant se sentir protéger contre la gravitation par la divine Providence ! Et à quoi bon ce chagrin, puisque, n’en doutons pas, l’homophobe et partisan de la peine de mort Kaczynski est sans doute d’ores et déjà assis à la droite de son Seigneur.
Toutefois, pour que la nouvelle soit encore plus réjouissante, il faudrait que s’écrabouillent d’autres avions remplis de ce qui constitue le gratin (carbonisé) du pays. L’idéal serait qu’en plus un avion de la compagnie vaticane Soutane Airlines, bourré jusqu’à la queue de prélats en rut, bavant leur haine homophobe, fît de même, en s’écrasant sur le palais de Berlusconi, par exemple. I have a dream…

Allah est grand ! Attention à la tête !
« Amusant » d’entendre, ici ou là, les lamentations (à quand un mur idoine ?) des défenseurs des musulmans (rarement issus de cette religion) s’échiner à développer des arguties visant à hiérarchiser la critique des religions. Pour eux, le catholicisme est éminemment attaquable car nous sommes un pays catholique colonialiste, le judaïsme également car c’est la religion d’Israël, qui opprime les Palestiniens. On peut aussi y aller franco au sujet du protestantisme car, bien qu’assez exotique par chez nous, c’est la religion principale des impériaux États-Unis. Quant à la religion orthodoxe, tout le monde s’en fout ici, en dépit de son alliance caractérisée avec toutes les dictatures issues de la chute du bloc communiste en Europe et en Russie. En revanche, l’islam est titulaire d’un brevet d’innocuité théologique car il s’agit de la religion des opprimés, nous dit-on la voix tremblotante, les yeux mouillés.
Admettons. Mais alors, comme il est plausible que les Églises évangéliques connaîtront un essor prosélyte en France et que ce conglomérat de rites issus du protestantisme (pentecôtisme, adventisme, baptisme, etc.) se rendra aussi visible, dans ses actions et revendications, que les musulmans les plus dévots, faudra-t-il se taire à propos de leurs aberrations intrinsèques, du danger et de la puissance d’aliénation qu’ils représentent, au prétexte que ces Églises s’adressent principalement à des populations issues de l’émigration ? Je demande à voir…
La grande question de la relation des individus tendanciellement libres au religieux n’est pas tant celle de la liberté de conscience – une notion d’une coupable vacuité – ou du caractère privé de la foi que celle des propriétés métaphysiques des assertions communes à tous les monothéismes et de leurs concrétisations dans les actes et pensées quotidiennes des croyants, dans leurs rapports avec les choses et leurs prochains.
Dans le n° 1590 du Monde libertaire, je faisais état de l’absence de relation entre le prétendu libre arbitre des humains et les catastrophes naturelles. C’était compter sans les ravages des cerveaux pervers des théologiens… Deux exemples récents l’illustrent. Celui de l’ayatollah Kazem Sedighi, imam iranien porteur du titre honorifique d’hodjatoleslam, c’est-à-dire « preuve de l’islam » ou « autorité sur l’islam ». Pas le blaireau du coin donc… Ce délicieux tribun de la religion des opprimés, selon l’islamo-gauchisme susmentionné, a récemment affirmé que « beaucoup de femmes mal habillées corrompent les jeunes, et l’augmentation des relations sexuelles illicites fait augmenter le nombre des tremblements de terre » (source princeps : le quotidien iranien Aftab-e Yazd). Ridicule, peut-on se gausser. Mais ce serait passer à côté de l’essentiel : ce monothéisme, comme les autres, est une métaphysique absurde et monstrueuse, jamais à court d’une came de la pire sorte, un opium mental funestement aliénant. L’autre exemple concerne le télévangéliste baptiste Pat Robertson, membre du parti républicain états-unien, pour qui l’ouragan Katrina fut une punition divine infligée à ce pays qui ose admettre (partiellement) l’avortement ; tandis que le récent tremblement de terre à Haïti a été la conséquence (bien tardive !) d’un pacte passé par les Haïtiens avec le diable pour se libérer de l’esclavage, au début du XIXe siècle… Prosélytes de tous les pays, unissez-vous !


1. Ce qui ne s’improvise pas. Voir ce qu’en dit Jean-Marc Jancovici, dans sa « Lettre ouverte aux journalistes qui ouvrent leurs colonnes – ou leur antenne – à n’importe qui et n’importe quoi en matière de climat (et de science) pourvu que ça mousse » (www.manicore.com/documentation/climatosceptiques.html). Une précision s’impose : ce site est un excellent moyen de se renseigner sur les questions climatiques et énergétiques, grâce à une abondante documentation et à des analyses fouillées (qui plus est gratuites) ; toutefois, je n’adhère pas à toutes les réflexions et conclusions de l’auteur.
2. En 2007 – ce n’est vraiment pas vieux ! –, Allègre publie Ma vérité sur la planète, ouvrage bâclé (pourquoi s’appliquer puisque les médias de masse ne savent pas lire et que les éditeurs de ces livres agissent en tiroirs-caisses ?) portant sur un sujet très proche de L’Imposture climatique. Je ne résiste pas au plaisir de citer le début de la critique roborative de ce livre nul et vous conseille vivement de lire la suite sur manicore.com/documentation/serre/ouvrages/verite.html : « Il est difficile de dire si la consternation, l’admiration ou l’ébahissement est le terme plus approprié pour caractériser ce qui vient à l’esprit une fois refermé ce livre. Ce dernier comporte une telle densité d’âneries au centimètre carré de page imprimée qu’il en devient une énigme. A-t-il seulement été écrit par un adulte, ou bien par un petit-neveu d’Allègre dont ce dernier n’aurait pas relu les propos ? Comment une personne qui détient – normalement – un doctorat en physique peut-il, même très énervé (car cela fait des années qu’Allègre ne supporte plus le changement climatique, après l’avoir très bien supporté dans un livre qu’il a écrit en 1987 Les Fureurs de la Terre, ce qui est une énigme de plus) et même en dehors de son domaine de compétence (car Allègre n’a jamais publié de travaux scientifiques concernant l’influence de l’homme sur le climat) aligner une telle série de contre-vérités grossières, d’approximations qui en deviennent fausses, d’amalgames indus, d’erreurs de raisonnement indignes d’un collégien, de propos cités de travers pire que chez un très mauvais journaliste débutant, voire de tournures dignes d’un enfant de 6 ans ou de phrases qui ne sont même pas écrites en français ? »
On lira également avec grand profit les nombreuses analyses que le journaliste Sylvestre Huet consacre à l’élucubrant Allègre sur son site « Sciences2 » (http://sciences.blogs.liberation.fr/) et dans son livre L’Imposteur, c’est lui (Stock, 2010). On y constate qu’Allègre 2010 est encore plus inepte et mensonger qu’Allègre 2007. Voir aussi le récent ouvrage du physicien modélisateur et climatologue Hervé Le Treut, Nouveau climat sur la Terre (Flammarion, 2009).
3. On trouve également dans ce livre une critique véhémente de la position trouble d’Allègre concernant Galilée (chapitre « Convergences entre Claude Allègre et la hiérarchie catholique », par Jean Dubessy).
4. Jacques Bouveresse a beaucoup écrit sur Kraus. Voir notamment Schmock ou Le triomphe du journalisme. La grande bataille de Karl Kraus.