Les arnaqueurs

mis en ligne le 29 avril 2010
1593.Arnaqueurs2Dans mon précédent article qui suivait les manifestations du 23 mars, j’expliquais, concernant la contre-réforme des retraites, que le scénario politico-syndical était déjà bien ficelé par les appareils.
De Sarko à Parisot en passant par Chérèque et Thibault, chacun dans son rôle s’apprête à nous rejouer un mauvais film.
Tout ce que l’on a pu apprendre depuis trois semaines confirme cette analyse. Le calendrier est désormais précisément fixé et s’inscrit bien sûr dans le scénario : après la parution du rapport du Conseil d’orientation des retraites (Cor) le 14 avril, les syndicats de fonctionnaires seront reçus un par un par le ministre du Travail. Des groupes de travail seront mis en place jusqu’à la mi-mai. Ensuite, le ministre établira un « document d’options » d’ici la fin mai. Puis un projet de texte détaillé sera communiqué aux « partenaires sociaux » à la mi-juin. Début juillet, un projet de loi sera présenté au Conseil des ministres. Celui-ci sera examiné par l’Assemblée nationale début septembre.
Tout y est : simulacre de « concertation », un peu de temps laissé aux syndicats pour mettre en place une ou deux journées d’action bidon d’ici la fin juin supposées « faire reculer » le gouvernement, prise en compte de la situation particulière de Chérèque qui tient congrès en juin.
Pour l’instant, nous en sommes au début du processus : le pilonnage médiatique. Le Cor (instauré par le gouvernement Jospin) a rendu son rapport le 14 avril et partout déjà circulent ses « hypothèses de travail » concernant les déficits « abyssaux » prévisibles : entre 71 milliards et 114 milliards, d’après ces « experts ».
Il va de soi que ces hypothèses partent du principe qu’on ne touchera pas aux fondamentaux des politiques gouvernementales menées ces vingt dernières années par les gouvernements de droite comme de gauche : chômage structurel, baisse du coût du travail, maintien des exonérations patronales (véritable pillage de notre salaire différé). Rien que l’arrêt de ces exonérations, voire la restitution des 250 milliards donnés aux patrons depuis 1991, régleraient la question immédiatement et permettraient le retour aux 37,5 annuités avec une retraite complète.
Mais bien sûr, en partant de bases pourries, on aboutit à des propositions tout aussi pourries, présentées à longueur de journée comme inéluctables : en l’occurrence celle d’augmenter le temps de travail de dix ans d’ici 2050 ! Partir à la retraite à 70 ans alors que l’espérance de vie en bonne santé est de 63 ans pour les hommes et 64 pour les femmes… La retraite des morts en quelque sorte.
Après la propagande, vient l’heure des commentaires syndicaux et politiques : Chérèque, le curé en chef de la CFDT, se dit prêt à « tout mettre sur la table », il va même jusqu’à proposer « d’étudier d’autres systèmes comme celui de comptes notionnels ou par points » !
Thibault, comme le scénario le prévoit, fait mine de se fâcher : « Le maintien du droit de partir à la retraite à 60 ans fait partie des libertés des salariés. » Certes mais dans quelles conditions ? Avec quels calculs pour les fonctionnaires, par exemple ? Quelle décote ? Le choix de partir à 60 ans peut tout à fait devenir une fiction si les retraites sont misérables.
Sur le plan politique, le Parti socialiste, le Parti communiste tentent d’utiliser le sujet pour les prochaines échéances électorales, mais chacun sait qu’ils sont, au-delà des virgules, tout à fait d’accord avec les grandes lignes de la réforme sarkoziste. C’est le fameux consensus politico-syndical. Tout ce petit monde appelle à un grand 1er Mai qui « pèse » sur les choix gouvernementaux. Tu parles, Charles ! Ils savent tous précisément où ils vont. Tout a été négocié avec Sarko.
Quant à la proposition de Force ouvrière (courrier de Jean-Claude Mailly à tous ses homologues le 7 avril), suite à la réunion de son comité confédéral national fin mars, elle tient en une idée simple – il n’y a rien à négocier – et à une proposition, tout aussi simple : « grève interprofessionnelle de 24 heures » pour bloquer le pays. Rien n’est dit par contre précisément sur la position de FO si d’aventure les autres, comme cela a été le cas au printemps 2009, répondent négativement… FO y va, même seule, ou n’y va pas ? Un moment ou un autre, il faut savoir prendre ses responsabilités.
Thibault a répondu dès le 12 avril. Il invite FO sur le ton de l’ironie à rejoindre dare-dare l’intersyndicale et réaffirme en conclusion son attachement au « syndicalisme rassemblé », ce qui n’a rien à voir avec la véritable unité syndicale sur des bases et des revendications claires ; la réponse de Solidaires, par l’intermédiaire d’Annick Coupé, est nettement plus intéressante : « C’est la question du partage des richesses qui est posée, ce qui suppose un affrontement social avec le patronat, les actionnaires et le gouvernement qui agissent en leur nom. » Elle conclut en écrivant : « Nous sommes partants pour un mouvement de grève interprofessionnelle. » Cela dit, elle estime nécessaire de continuer de se situer dans le cadre de l’intersyndicale nationale. C’est là le hic. En effet, cette intersyndicale phagocytée par la CGT et la CFDT, loin d’être un outil pour gagner, est, au contraire, un obstacle, une machine à perdre, comme l’ont montré les manifestations gigantesques du printemps 2009 qui n’ont débouché sur rien.
Au risque de radoter, redisons la tâche qui nous revient : aider à multiplier les prises de position unitaires à la base, dans les ateliers, les bureaux, les services, sur des revendications claires et des mandats précis, bousculer les appareils, imposer la grève interprofessionnelle, tel est le taf qui nous revient dans les semaines qui viennent. Je sais, ce n’est pas nouveau mais c’est la seule issue.