Un essai original

mis en ligne le 15 avril 2010
Dans l’essai intitulé Welke Vrijheid (Quelle liberté ; oui, sans point d’interrogation), la penseuse libertaire hollandaise Weia Reinboud a élaboré son idée sur « la liberté ». Bien sûr, elle le sait, il s’agit d’une « notion-conteneur », et pendant des siècles on a écrit sur ce sujet une pleine bibliothèque. C’est pourquoi elle ne va pas aborder ce sujet par la voie « essentialiste ». Elle veut démarrer dans notre monde. C’est pourquoi elle utilise, pour être clair, une sorte de théorie de l’action qui s’adapte à une voie « conséquentialiste ».

Comment a-t-elle travaillé ?
Elle a ouvert la notion de la liberté de deux côtés. D’une part, elle prête attention à la liberté individuelle. Dans le texte, elle parle de i-vrijheid (vrijheid = liberté, i = individu). Je vais écrire « i-liberté ». D’autre part, elle se concentre sur ce qu’elle nomme s-vrijheid (s = société), c’est-à-dire « liberté sociétaire ». Je vais écrire « s-liberté ». Entre les deux types de liberté, il existe une zone de tension.
L’i-liberté laisse tout individu libre de n’en faire qu’à sa tête. Cela peut aboutir à un comportement qui ne tient pas compte de la société, de la vie sociale. Pour illustrer son point de vue, Weia décrit deux formes de l’« ordre social » en les utilisant comme des exemples d’une « société ».
L’une est composée comme un banc pour quatre personnes dans un parc. Le banc est complet. Une cinquième personne ne peut s’asseoir que si l’une des quatre cède sa place. Cette cinquième personne représente un homme obèse qui à un cornet de frites à la main. L’autre exemple présente un monde simple, composé de mille personnes, dont deux « richards ». Ces deux exemples forment l’arrière-plan de nombre de manières de se comporter, décrites par Weia. Cela aide à commenter les effets désirables ou non.
Avec l’aide de ces exemples, il est facile de faire apparaître si un certain comportement de type « n’en faire qu’à sa tête » mène à des infractions dans l’s-liberté (le « bouffeur de frites » éjecte une personne du banc). Cela n’est pas la liberté qui est souhaitable, car Weia opte pour la s-liberté.

Comment pose-t-elle des limites ?
Elle décrit quatre sortes de limites, que je nomme les « conséquences de l’agir ». La première limite est : causer de la misère (pousser quelqu’un d’un banc). La deuxième est : on cause de la misère, mais en fermant les yeux. Ici, elle parle des effets de « nos » comportements sur des populations lointaines déjà confrontées à la misère (des effets environnementaux, le travail des enfants, etc.). La troisième est : causer de la pénurie (exemple : couper une tarte en huit parts alors qu’il y a dix personnes). La dernière est : si l’on cause de la pénurie, est-on prêt à réfléchir à la répartition ou non ?
Cela conduit à la conséquence suivante : si l’i-liberté de l’un cause de la misère pour l’autre, une telle i-liberté ne peut s’intégrer à la s-liberté, déclare Weia. Ainsi, l’i-liberté convenable est la liberté qui ne cause pas de misère.

L’individualité sociétale
D’après cette représentation schématique, Weia soulève un grand nombre de problèmes sociétaux qu’elle critique, ainsi que la culture capitaliste dans laquelle nous vivons. Elle plaide pour une position dans la société des hommes et des femmes que l’on peut qualifier de « communal individuality » (individualité sociétale) (voir A. Ritter, Anarchisme, 1980).
Le livre donne matière à réfléchir à une autre société que l’actuelle, par la voie d’actes individuels. Il est possible d’évaluer les conséquences de la façon d’agir dans la vie quotidienne et, connaissant ces conséquences, réviser cette façon d’agir. On peut immédiatement commencer à agir autrement. Ainsi, explicitement, elle n’a pas voulu esquisser une autre société. Il faut qu’elle se développe, parce que l’homme va agir autrement…
Il n’y a pas l’ombre d’un doute que le commentaire des adversaires sera que l’auteur simplifie excessivement la problématique socio-économique et écologique. Un tel commentaire, je vais le confronter avec ce que l’on peut lire dans un article du Monde du 5 mars 2010.
Dans cet article, nous apprenons que Sarkozy mise sur l’État pour sauver l’industrie. Sarkozy sait s’entourer d’un think tank composé de gens qui peuvent réfléchir à des problèmes sociétaux très profonds… Une partie du résultat de cette forme de réflexion est parue en pleine page avec toutes sortes de graphiques.
Mais on ne trouve pas dans ce plan de sauvetage de l’industrie le calcul des « frais sociétaux ». On ne trouve qu’une « phrase sournoise », comme Weia dirait. En effet, Sarkozy critique ses prédécesseurs en évoquant « l’héritage de décennies de mesures anti-industrie, couronnées par les 35 heures ». Là, on comprend pourquoi la France va mal ? Si cela n’est pas une simplification inouïe de la problématique, alors, je ne sais plus…
Dans l’Anarchisme Bulletin (n° 25, mars 2010), édité et diffusé en anglais par l’anarchiste hollandais et cosmopolite Bas Moreel, on prête attention au livre de Weia, en indiquant que c’est un livre qui rend inévitable l’apprentissage du hollandais… En effet, Weia a écrit dans un style et un langage qui mettent son texte à la portée de tous. Maintenant, on doit espérer que ceux pour qui elle l’a écrit vont le lire.